Les Juifs à Rosheim (suite et fin)

La synagogue

© M. Rothé
Les évêques de Strasbourg se sont toujours préoccupés du statut des juifs vivant sur leurs terres. Un règlement publié en 1613 par Léopold 1er, évêque de Strasbourg, disait dans son article 3 : " Ils n'auront ni synagogues publiques, ni écoles. Ils pourront quand même faire donner l'instruction à leurs enfants." Wilhelm Egon de Furstenberg, évêque de Strasbourg, publia en 1700 un nouveau règlement dont l'article 3 stipulait : "ils ne sauront avoir de synagogues publiques" Armand Gaston 1”, Cardinal de Rohan, reprit en mains le règlement de son prédécesseur, en 1706, et écrivit : "Ils n'auront pas de synagogues. Ils pourront faire la prière chez eux et y donner l'instruction à leurs enfants."

Il est vrai que Rosheim n'appartenait pas aux territoires de l'évêché de Strasbourg, mais à la préfecture impériale devenue après 1648, la préfecture provinciale de Haguenau, mais dans le domaine doctrinal, la parole de l'évêque ne s'arrêtait pas aux limites de ses terres. La construction des trois synagogues de Wintzenheim, Hagenthal et Biesheim en haute Alsace fut jugée en 1726 comme "un attentat également scandaleux et téméraire qui choque le droit, la justice et la religion", et elles furent démolies par ordre du Conseil Souverain d'Alsace.

On constate un assouplissement dans l'attitude de l'autorité à cet égard à partir de 1760 avec la nomination du duc de Choiseul comme Grand Bailli de la préfecture provinciale de Haguenau, et l'on commence à construire quelques synagogues. En 1786, Louis René Edouard, Cardinal de Rohan, daigna assister pendant une demi-heure à l'office donné à la synagogue de Mutzig, et écouter les cantiques composés en son honneur pour l'heureuse issue de l'Affaire du Collier. Mais on n'en était pas là lorsqu'en 1720, Itzig Netter construisit une synagogue sur sa propriété. C'était une maison à ossature en colombage, comme les maisons environnantes, entièrement consacrée au culte. Le magistrat de Rosheim était parfaitement au courant de la situation: et à plusieurs reprises réclama la convocation de l'ensemble de la population juive en sa synagogue pour lui donner lecture par le sergent de ville de décisions qui la concernaient. Cette situation aurait pu durer si un violent incendie n'avait détruit la synagogue.

Dans la nuit du 30 septembre au 1er octobre 1731, qui correspond au premier jour de Rosh Hashana, le nouvel an juif, alors que les juifs avaient quitté la synagogue pour rentrer chez eux, laissant imprudemment les chandelles se consumer sans surveillance, un violent incendie prit naissance dans la synagogue, la réduisant en cendres, ainsi qu'une grange et le magasin de fer. L'intervention des habitants de Rosheim alertés au son du tocsin, permit d'éviter un plus grand malheur, l'extension de l'incendie à tout le quartier. Mais lorsque quelques temps après Itzig Netter présenta une requête au magistrat de Rosheim afin d'obtenir de lui l'autorisation d'acheter du bois de charpente dans la forêt communale, bois nécessaire à la reconstruction des immeubles sinistrés, on lui accorda bien le bois nécessaire à la reconstruction du magasin de fer et de la grange, mais, â la requête du procureur fiscal, il lui fut formellement interdit, ainsi qu'a tout autre juif, de rebâtir la synagogue "pour l'exercice public de leur religion". Liberté était laissée aux juifs de se réunir pour les "exercices de la religion dans une chambre et lieu caché, ainsi que bon leur semblera ". L'arrêt du Conseil Souverain d'Alsace du 1" février 1726. ordonnant la destruction des synagogues de Wintzenheim, Biesheim, et Hagenthal, construites en violation des interdits, avait fait jurisprudence.

La synagogue ne fut pas reconstruite et une chambre dans la maison de Itzig Netter servit d'oratoire à la communauté de Rosheim. Mais Itzig Netter n'était pas au bout de ses peines : le procureur fiscal - on dirait aujourd'hui le ministère public - dressa une plainte contre lui, le rendant responsable de l'incendie, car, disait-il,

"les juifs ne respectent pas le règlement de. police d'incendie de la ville de l'an 1528, interdisant d'entretenir la lumière et le feu dans les maisons à heure indue. nocturnement, de porter la chandelle nue dans les écuries et granges. Or, dans la synagogue, pendant les fêtes solennelles, ils laissent brûler la chandelle toute la nuit suivant les maximes de religion aussi dangereuses que condamnables, pendant qu'ils se retirent dans une chambre écartée à y faire la baffre"

ce qui est arrivé dans la nuit du 30 septembre au 1°' octobre, entre 2 et 3 heures du matin, lorsque le feu prit dans la synagogue et se propagea. La plus grande partie des maisons bourgeoises risqua d'être brûlée sans l'intervention des secours. C'est pourquoi le procureur fiscal réclama à l'encontre de Itzig Netter 500 livres de dommages et intérêts, pour réparation des troubles causés et pour le secours apporté par la ville avec ses pompes à feu et ses seaux et 500 livres d'amende. ltzig Netter déclara pour sa défense que c'était un cas fortuit et un malheur dont il ne pouvait être rendu responsable.L'affaire fut renvoyée à une audience ultérieure, mais nous ignorons comment elle fut jugée, car les registres d'audience n'en font plus état. Il est fréquent que des affaires plaidées devant le magistrat soient remises à une audience ultérieure, pour disparaître sans laisser de traces. Il n'est pas interdit de penser que des tractations avaient lieu en coulisses, et que des personnes influentes intervenaient.

Pendant plus d'un siècle, les juifs de Rosheim. comme la plupart des juifs de la province, ne devaient plus avoir de véritables synagogues, mais un simple oratoire, "une chambre pour prier", située dans la maison de Itzig Netter. A sa mort, la maison devint la propriété de Lehmann Netter, puis celle de Meyer Netter. C'est lui qui connut les spoliations de l'époque révolutionnaire, ce qui nous a valu un état des luminaires confisqués dans la synagogue: "In der juden Schuhl hat sich vorgestanden : erstens 13 von verschiedener Grösse von Mösing gegosene Hangleuohter mit Armen, von welchen der Bürger Mayer Netter zwei ais Eigenthum reclamiert, item sin Sternleuchter von egliche Materie mit 9 Hacken, item 2 gaar alte Wandleuchter von Mesinblech." (Arch. dép. Bas-Rhin, C 12.)

Ce n'est qu'en 1833 que l'on décida la construction d'une nouvelle synagogue, et une taxe de cinq centimes par livre de viande vendue devait procurer une partie des fonds nécessaires à la construction. Ceci nous est connu par la véhémente protestation d'Emmanuel Bloch, père de dix enfants, qui souligna l'injustice de ce prélèvement. Le Consistoire devait lui donner raison. La synagogue, inaugurée en 1835 fut en service jusqu'en 1882, lorsqu'à son tour elle fut remplacée par la synagogue néo-romane que l'on peut encore voir actuellement.

Rabbinat et rabbins

La synagogue de Rosheim sur une carte postale ancienne
© Collection A. et M. Rothé
On est assez mal informé sur les rabbins alsaciens pour toute cette période allant des persécutions du 14ème siècle jusqu'à l'annexion de l'Alsace par la couronne de France. On pouvait s'attendre à trouver de nombreuses informations dans les Memorbücher des communautés alsaciennes, or il n'en est rien, et Ginsburger pensait qu'ils avaient tous été rédigés au début du 18ème siècle. De temps en temps, un nom de rabbin alsacien apparaît dans un document d'archives. Ainsi Josel de Rosheim détenait la "Semi'ha", la dignité rabbinique.

Lorsque l'Alsace devint française, l'autorité éprouva le besoin d'avoir en face de soi un représentant qualifié de la nation juive en Alsace. En 1681, on fit venir de Metz le rabbin Aaron Worms qui connaissait les usages et parlait français. Sa juridiction s'étendait sur la haute et la basse Alsace; il siégea d'abord à Brisach, puis à Ribeauvillé. Rosheim dépendait donc du rabbin Aaron Worms de 1681 à 1684. Ce fut le rabbin Samuel Levy qui lui succéda (1702-1704), puis le rabbin Samuel Weyl qui régna de 1704 à 1753, mais dont la juridiction fut réduite à la haute Alsace, lorsque le Grand Bailli nomma au nom du roi un rabbin pour la basse Alsace, avec siège à Haguenau. Les lettres patentes du rabbin Elie Schwab sont datées de 1721, mais durant une assez longue période de flottement, le rabbin Samuel Sanvil Weyl s'occupa encore des affaires de basse Alsace. Son successeur, le rabbin Elie Schwab fut contraint de démissionner en 1746, et ce fut le rabbin Samuel Halberstatt (1746-1753) qui lui succéda. Le rabbin Lazar Moyse Katzenelnbogen régna de 1755 à 1771, encore que tout ne soit pas très clair, car à l'audience du magistrat de Rosheim du 19 août 1760, le serment est déféré à un juif en présence du rabbin Joseph Steinhart, "der Rabbiner des Niederrhein".

Le dernier rabbin de la basse Alsace fut Jacob Wolf Guggenheim (1771-1793) qui émigra durant la terreur. Il y eut une longue période de vacance, jusqu'à ce que Napoléon 1er entreprit de réorganiser le judaïsme, et adopta le système consistorial. Rosheim fut rattaché au rabbinat de Mutzig, dont le premier titulaire fut Israël David Dürckheim (1806-1816), auquel succédèrent les rabbins Juda Moyse Nathan (1816-1864), Samson Lévy, Jacques Schwab et Goldstein. En 1909, Rosheim fut détaché de Mutzig et rattaché au rabbinat d'Obernai dont les titulaires successifs furent Armand Bloch, Jérôme Levy et Emile Schwartz.

C'était là le rabbinat officiel, celui qui avait la juridiction sur la communauté de Rosheim. Mais il y avait à Rosheim même des rabbins, des rabbins enseignants, des enseignants et des chantres, gagés par la communauté ou par des particuliers. Les rabbins portaient le titre de commis-rabbin ou de substitut-rabbin. Il y eut d'abord les deux Schopflich, Hirsch et Anschel, qui moururent tous deux en 1773. Ils formèrent de nombreux élèves et créèrent à Rosheim un centre de culture juive.

Le rabbin Mathias Weyl, fils du préposé général Jacob Baruch Weyl, lui-même rabbin, né en 1736, était rabbin en titre.
Le rabbin Marx Cahn, fils d'Alexandre Cahn de Metz, né en 1753, avait épousé Reichelé, fille du rabbin Anschel Schopflich. Le rabbin Marx, fils de Joseph de Dossenheim, né en 1758, était à Rosheim "pour se perfectionner dans l'étude de la loi". Le rabbin Seligmann Michaël, de Ebersbach am Neckar, né en 1747, avait épousé la fille du rabbin Leïser de Mutzig. Le rabbin Samuel Prague, fils de Moyse de Mannheim, né en 1726, avait épousé Madel, fille du rabbin Hirsch Schopflich; il faisait fonction de maître d'école. Isaac Ephraïm de Romanswiller, né en 1746, maitre d'école, avait épousé la fille du chantre Ruben. Löb Bingen, fils de Flirts de Forbach, né en 1751, était précepteur chez des particuliers. Schille Joseph de Krautergersheim, né en 1754, était maître d'école. Götschel, fils d'Abraham Levy de Mutzig, né en 1732, était précepteur de plusieurs enfants de la communauté. Mayer Oeben, de Pologne, né en 1744, était l'instituteur des enfants pauvres de la communauté. Ruben Lewin, fils de Löb de Pologne, né en 1711, était le chantre en titre de la synagogue. Bernard Nachen, de Berlin, né en 1755, était chantre, pour venir en aide à Ruben, qui avait atteint 73 ans en 1784. "On ne peut se passer de chantre, et ils sont devenus rares à trouver dans la provinceé.

On remarquera que douze chefs de famille sur un total de cinquante-trois étaient voués au rabbinat, à l'enseignement ou au culte, ce qui est considérable et permet d'expliquer la présence à Rosheim de ce "collège juif " dont il est question dans un arrêt du directoire du département du Bas-Rhin de 1792, analysé dans notre chronique de Rosheim, et dont l'histoire n'a pas gardé le souvenir. Le directeur en était Lazare, fils du préposé général Aaron Mayer de Mutzig. On noiera aussi que ces rabbins, enseignants et chantres étaient venus d'horizons très divers, d'Alsace, de Lorraine, d'Allemagne, de Bohême ou de Pologne. Or le parler judéo-alsacien de Rosheim ne semble pas avoir adopté d'expressions appartenant au judaïsme d'Europe centrale. et les nigunim, les mélodies religieuses alsaciennes, sont restées très différentes de celles chantées à Prague ou en Pologne.
De la Révolution aux temps modernes

Après la Révolution

L'ouragan révolutionnaire, parti de Paris le 14 juillet 1789, passa par Strasbourg le 21 et atteignit Rosheim le 22 juillet 1789. On s'en prit en premier lieu au prêteur royal Jean Christophe Müller et à un fonctionnaire, Sonntag, qui furent tous deux malmenés. On fit beaucoup de bruit et quelques dégâts. Lehmann Netter, âgé de quatre-vingts ans, se sentait totalement dépassé par les événements. Son fils Mayer était un homme cultivé puisque. tout en se trouvant dans les affaires, il avait obtenu le titre de rabbin. Il se révéla tout à fait incapable de s'adapter à la situation nouvelle. L'inquiétude allait s'installer parmi les juifs de Rosheim. Une expérience séculaire leur avait appris que chaque fois que l'autorité s'affaiblissait, les juifs avaient à en souffrir. Le décret de l'Assemblée Nationale du 27 septembre 1791, voté malgré l'opposition des députés alsaciens, en faisait des "citoyens actifs" égaux en droits à leurs concitoyens non juifs, qui firent quelques difficultés à l'admettre. Amusant et symptomatique nous parait ce début de lettre d'affaires d'un patriote, datée du 23 Ventôse de l'an III : "Citoyen, frère et ami, le juif Jacques Lévi auquel j'ai vendu..."

Lors de l'élection d'un juge de paix, les électeurs juifs furent empêchés de voter et expulsés de la salle, parce qu'ils ne voulaient pas lever deux doigts et ôter leurs chapeaux pour prêter serment. Les élections furent d'ailleurs annulées, puis recommencées. Lehmann Netter mourut le 5 janvier 1792, de sorte qu'il ne connut pas tous les excès que l'on commit au nom de la liberté et de l'égalité, comme la destruction des stèles funéraires du cimetière juif de Rosenwiller, les cérémonies d'abjuration d'Obernai durant lesquelles on essaya d'arracher à l'unique rabbin présent (on ignore son nom) une déclaration contre sa foi, l'autodafé des objets religieux lors de la fête du décadi du 10 décembre 1793, où l'absence de participation juive fut signalée, l'arrestation des rabbins et instituteurs juifs de Rosheim transférés à Strasbourg. On trouvera, dans la chronique des juifs de Rosheim, la relation de tous ces événements.

Une autre conséquence de la Révolution fut la ruine des familles dirigeantes juives. Le directoire du département du Bas-Rhin avait, dès novembre 1792, mis fin à l'autorité des préposés, caissiers et rabbins. Beaucoup de juifs en prirent prétexte pour ne plus contribuer à l'entretien des institutions religieuses et sociales qui demeurèrent à la charge de quelques familles. Or celles-ci éprouvaient des difficultés financières de plus en plus grandes, leurs capitaux prêtés en bons écus leur revenaient sous la forme d'assignats, dont la valeur se dévaluait de jour en jour. Les paysans en étaient les premiers bénéficiaires. Ils avaient acquis des terres, biens nationaux, grâce au prêt de banquiers juifs, qu'ils remboursaient pour le prix de quelques poulets. Les deux branches de la famille Netter se retrouvèrent totalement ruinées. La plupart des jeunes quittèrent Rosheim. On retrouve à Strasbourg, David, le fils de Mayer Netter qui avait épousé la belle-fille de Cerf Berr, Zardele Ratisbonne. Ce mariage ne fut pas heureux. Les Netter demeurés à Rosheim se replièrent sur eux-mêmes. On ne les retrouvera, ni à l'Assemblée des notables, ni même à la tête de cette communauté créée par leurs ancêtres. Ce fut la revanche des petites gens. En 1809, on trouve à la tête de la communauté, Jonas Weil. colporteur, et Léopold Halbronn, marchand de peaux.

Si l'on compare l'état des juifs ayant obtenu la Patente en 1808 avec le dénombrement de 1784, on est frappé de voir combien la situation des juifs s'est dégradée. La communauté juive sous l'empire semble un agglomérat de marchands de vieux habits (avec un sac, est-il précisé), de ferraille (avec un sac), de marchands de peaux de cheval, de colporteurs, de marchands de bestiaux, de quelques épiciers, un fabricant de "Schlappe" (savates) et un autre de savon. De 268, leur nombre était tombé à 205 personnes. La Révolution avait appauvri les riches sans pour autant donner l'aisance aux plus pauvres, et les lois d'exception de l'empire avaient encore aggravé la situation financière.

Très lentement, la situation ira s'améliorant; en 1835, on décida la construction d'une nouvelle synagogue dans la rue des Juifs. En 1839, la magistrature d'Alsace, qui continuait imperturbablement à exiger des juifs un serment particulier tenu à la synagogue devant rabbin, dut s'incliner devant un arrêt du Conseil d'Etat, provoqué par l'attitude ferme du rabbin Isidore et de son défenseur Crémieux.

On aurait pu s'attendre à ce que la population juive de Rosheim vive désormais des jours sans histoire au milieu de la population chrétienne et pourtant, elle connut une nouvelle émotion en 1848, lorsque parvint à Rosheim la nouvelle des troubles révolutionnaires de Paris, qui eurent comme écho des manifestations antisémites dans de nombreux villages alsaciens. Comme l'écrivit un chroniqueur, "les rebelles ont profité de l'absence d'autorité, croyant que tout leur était permis". Le rabbin Juda Nathan de Mutzig ordonna des prières sur tout le territoire soumis à sa juridiction et fit parvenir à Rosheim une lettre par laquelle il informait la communauté, réunie pour la prière du vendredi soir, que cette même nuit les juifs de Mutzig allaient être massacrés, et qu'un jour de jeûne était fixé au lundi suivant pour la communauté de Rosheim, que la population juive réunie en sa synagogue devait lire les Seli'hoth ou supplications comme pour le jour solennel de Kippour. C'était le lundi 10 avril 1848. Le rabbin Juda Nathan vint à Rosheim, et prêcha durant deux heures devant une communauté en larmes. Le rabbin était un pessimiste et la vie lui avait donné toutes les raisons de l'être. Sa première femme et trois de ses enfants étaient morts, et son dernier enfant, un fils, allait les rejoindre peu de temps après. Les craintes de la communauté juive furent vaines. Il ne se passa rien, ni à Rosheim, ni à Mutzig, et la fête de Pessa'h fut célébrée dans la joie. Mais pour que le souvenir de ces événements demeure pour les générations futures, un juif de Rosheim les relata à l'intérieur de la couverture d'un livre, une Hagada (voir Chronique).

Deux détails de la mappa patriotique de Rosheim de 1881, alors que l'Alsace était annexée à l'empire allemand. La mappa s'achève sur une image prophétique, le tiromphe de l'armée française. © Collection Robert Weyl
Il y eut, en 1849, une nouvelle émotion pour la communauté juive, lorsqu'elle apprit que le maire de Rosheim avait fait mettre en prison une jeune fille juive, Henriette Blum, qui refusait de se laisser convertir au catholicisme, en dépit de tous les efforts déployés dans ce but par une dame Bisch, soeur du maire de Rosheim (voir chronique).

En 1852, Aron Blum fut élu maire de Rosheim. A la tête de la communauté juive, les Blum avaient pris le relais des Netter. Ils descendaient des rabbins Kirsch Schopflich et Samuel Prague. L'entente entre juifs et chrétiens était bonne. Il n'est pas rare de trouver des témoins chrétiens qui signent des actes de mariage civils juifs en qualité d'amis des jeunes mariés.

La défaite de 1870 fut douloureusement ressentie par les juifs d'Alsace. La jeune génération quitta Rosheim et alla s'établir en vieille France, le plus souvent à Paris. Dans les familles aisées, il était devenu d'usage d'envoyer les jeunes filles passer quelques années en pension dans la capitale. Pour ceux qui restèrent, il leur était difficile de proclamer ouvertement leur attachement à la patrie perdue. Leurs sentiments, Ils les exprimèrent sur les Mappoth ces bandes de toile décorées que l'on enroule autour des rouleaux de la Torah pour les maintenir fermés (voir Saisons d'Alsace n° 55-56). Celles que nous possédons de Rosheim sont toutes décorées du drapeau français, plus particulièrement l'une d'entre elles, datée de 1881, montrant des images de combat entre Français et Prussiens. et s'achevant sur l'image triomphante d'un officier français porte-drapeau. Le recensement de 1905 indiquait encore une population juive forte de 213 personnes. Ce chiffre ne cessa de décroître, pour tomber à 69 personnes au recensement de 1936.

© M. Rothé
Vingt-trois juifs de Rosheim devaient périr durant la guerre de 1939-1945, la plupart en déportation. Le premier recensement fait après la guerre, en 1953, indiquait une population juive réduite à 29 personnes.
Conclusion

Au lendemain du Traité de Westphalie, nous avons vu cette communauté naître, se structurer, se développer et se défendre. Nous la voyons lentement se défaire. Selon nos traditions, une communauté n'existe qu'aussi longtemps qu'il se trouve dix fidèles de sexe masculin âgés de plus de 13 ans, réunis matin et soir pour la prière collective. Dans nos communautés rurales d'Alsace, l'office quotidien devient l'exception. On se réunit encore les Shabath et jours de fêtes, et le jour du Jahrzeit (anniversaire de deuil). Puis vient un moment où ces dix hommes ne se trouvent plus, et c'est la fin de la communauté.


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