OTTROTT-LE-BAS

REPÈRES CHRONOLOGIQUES
établis par Alain Kahn
1716 : 40 juifs (autorisés depuis la fin du 16ème siècle par les Chamley avec une présence observée à partir de 1701)
1721-1776 : acquisitions de quelques maisons modestes par actes notariés (80 à 200 florins)
1766 : 150 juifs résident à Ottrott
1784 : 185 juifs (environ 1/3 de la population du village)
1808 : 124 juifs (dont 6 marchands de bestiaux, 3 bouchers, 6 revendeurs)
1822-1832 : Aron Blum, ministre officiant
1824 : construction d'une synagogue
1846-1865 : Samuel Gougenheim, ministre officiant
1866-1869 : Raphaël Wolff, ministre officiant
1881-1905 : Meyer Lehman, ministre officiant
1882 :

47 résident à Ottrott

1910 : 35 résident à Ottrott
1936 : 10 juifs résident àOttrott
1945 : victimes du nazisme : Abraham Dreyfuss (1877), Germaine Dreyfuss (1911), Melanie Dreyfuss née Lehmann (1871), Fanny Lehmann (1881), Florine Lehmann (1878), Moise Lehmann (1873), Gilbert Wertheimer, Liliane Wertheimer, Marguerite Wertheimer née Levy (1893)
disparition de la communauté 
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Guerre de religion à Ottrott
Extrait des Archives Israélites, 1860, Tome XXI
Ce récit abrégé est emprunté à la petite Gazette des Tribunaux de Colmar.


COUR IMPÉRIALE DE COLMAR (Chambre correctionnelle).
Présidence de M. Hamberger. Audience du 25 octobre 1859.

Catholiques et israélites. — Nouveau mode de conversions. — Une mauvaise plaisanterie. — Scénes tumultueuses. — Coups et blessures. — Prévention d'outrage à la religion catholique.

Dans la matinée du 1l juin dernier, des jeunes gens de quinze à dix-neuf ans sortaient de l'église d'Ottrott (Bas-Rhin), portant des vases remplis d'eau bénite ; chemin faisant, ils rencontraient un jeune israélite, plongeaient leurs mains dans l'eau bénite et en aspergeaient le chapeau de ce petit israélite en lui disant : "Maintenant, te voici baptisé !" Puis ces convertisseurs d'une nouvelle espèce continuaient à cheminer avec leur précieux fardeau, en riant aux éclats de leur excellente plaisanterie.

Bientôt vint à passer la famille Samuel Aron qui se rendait avec recueillement à la synagogue ; le cortège se composait de tous les membres de celle famille qui semblait entièrement détachée des choses de ce monde ; mais une ondée qui les assaillit, par un ciel des plus sereins, les rappela bien vite aux choses d'ici-bas ; ils recherchèrent les causes de ce phénomène et aperçurent alors les facétieux habitants d'Ottrot, qui procédaient à leur nouveau système de conversion; ils protestèrent contre cet arrosage insolite et l'un d'eux, le fils Aron Aron, se mit à dire qu'il ne savait pas si c'était de l'eau pure, du purin ou de l'urine, et déclara qu'il ne tolérerait pas plus longtemps cette malencontreuse aspersion.

Devant l'attitude déterminée d'Aron, les jeunes porteurs d'eau jugèrent prudent de détaler et, en opérant leur retraite, on entendit quelques-uns d'entre eux s'écrier : "Eh bien ! puisqu'ils ne sont pas contents, allons dans la synagogue avec notre eau bénite, pour en chasser le diable !" Mais ces exorciseurs adolescents, au lieu d'aller à la synagogue, pour y procéder à cette opération, retournèrent chez leurs parents et agirent sagement.

Puis la famille Aron put continuer son chemin, pour se rendre, sans nouveaux embarras, à la synagogue, et ne se préoccupa plus de ce qui venait de se passer ; et cependant les quelques mots proférés par le jeune Aron devaient être singulièrement dénaturés par les passions populaires et renfermaient le germe de scènes déplorables.

En effet, le lendemain, jour de la Pentecôte, une sourde agitation régnait dans la petite commune d'Ottrott ; parmi les groupes, qui se formaient çà et là, couraient des bruits étranges : un juif, disait-on, avait outragé la religion catholique ; un juif avait osé dire que l'eau bénite était de l'urine! On criait au scandale et l'on s'excitait mutuellement contre les israélites, comme aux temps orageux de 1848.

Des imputations aussi graves, répandues dans le public, devaient, on le conçoit. exaspérer contre les israélites la population catholique d'Ottrott et surexciter des sentiments de haine, qui, vers le soir, se manifestèrent dans toute leur force : un rassemblement considérable se forma devant la maison habitée par la famille Aron : dans la rue, des cris menaçants s'élevaient de la foule; plus loin, sur la route, des enfants emplissaient leurs blouses de pierres ; on leur demandait la destination de ces projectiles : "Aujourd'hui nous tombons sur les juifs !!" répondaient-ils.

Enfin l'orage éclata : des cailloux, des pavés volèrent dans toutes les directions ; une israélite, Henriette Aron, vieille femme de 74 ans, recevait sur la bouche un coup de pierre qui lui écrasait les lèvres et lui brisait une dent. Les dix familles israélites d'Ottrott se portaient au secours des Samuel Aron et la mêlée devenait générale. Au milieu d'un vacarme épouvantable, on entendait les cris : "Il nous faut la mère ! tombons sur elle ! démolissons la maison !"

A cette menace, qui ne s'est que trop souvent réalisée en Alsace contre les israélites, le jeune Aron Aron, qui voyait sa vieille mère couverte de sang, se précipite éperdu vers la demeure du sieur Messmer, appariteur de la commune, pour demander aide et protection à cet agent de l'autorité ; avec une force doublée par son indignation et par l'impérieux besoin d'un secours, il se rue sur la porte de Messmer : la porte se brise sous l'effort ; à cette vue, Messmer, qui était resté simple spectateur dans un cabaret voisin, et qui semblait contempler avec un certain intérêt ces scènes tumultueuses, accourt enfin, se jette sur le malheureux Aron, qui, dit-il, a méchamment brisé la porte de son habitation, et accable ce jeune homme de coups de poing et de bâton.

Enfin l'adjoint de la communes put interposer son autorité, et, vers onze heures du soir, l'ordre si gravement compromis par les passions populaires, se rétablit.

C'est à raison de ces faits, que plusieurs habitants de la commune d'Ottrott, qui devaient avoir joué un rôle actif dans ces scènes de désordre, furent poursuivis et renvoyés devant le tribunal correctionnel de Schlestadt. A l'audience du 23 août dernier, sept d'entre eux comparurent devant le tribunal sous différents chefs de prévention : parmi ces prévenus, l'un était Aron Aron, âgé de 18 ans.

Aron Aron fut prévenu d'avoir publiquement outragé la morale publique et religieuse, et tourné en dérision la religion catholique, en disant publiquement à Ottrott que l'eau bénite était de l'urine, de l'eau dans laquelle le curé avait pissé ; d'avoir de plus commis un bris de clôture en enfonçant la porte de la chambre d'habitation du nommé Messmer.
Aron Aron fut en outre poursuivi, avec Joseph et Simon Berger, Augustin Dreyer, Reiss et Fastinger, pour s'être volontairement et réciproquement porté des coups et fait des blessures.
Fastinger fut aussi prévenu d'avoir volontairement porté un coup de pierre et fait des blessures à la femme de Samuel Aron, âgée de 74 ans.
Simon et Joseph Berger comparurent en outre sous la prévention d'avoir troublé la paix publique, en excitant le mépris ou la haine d'une classe de citoyens contre les autres, en disant publiquement à Ottrott, le 12 juin dernier, "il faut qu'aujourd'hui tous les juifs crèvent !"

Aron Aron a été renvoyé de la plainte ; voici le considérant qui le concerne : "Considérant, en ce qui concerne Aron, qu'il ne saurait être retenu pour le fait d'outrage à la religion, parce qu'il ne paraît pas suffisamment établi qu'il savait que le liquide contenu dans les vases que portaient les enfants dans les rues d'Otrott, le samedi onze juin, fût de l'eau bénite ; que sa rencontre avec ces enfants a eu lieu dans un quartier assez éloigné de l'église pour lui laisser ignorer que le liquide, dont ils étaient si prodigues, venait d'y recevoir la consécration religieuse ; qu'il ne saurait pas non plus être condamné pour les délits de bris de clôture et de coups et blessures, puisque d'une part en forçant la porte de la maison de l'appariteur, il n'était poussé par aucune méchanceté et qu'il n'avait d'autre but, en cherchant à pénétrer dans cette maison, que de chercher dans un agent municipal une protection qu'il croyait être en droit de réclamer ; que, d'un autre côté, il a été révélé par l'instruction qu'Aron n'a usé de violence que lorsqu'il avait été lui-même attaqué et qu'il n'a fait que de se défendre contre l'agression dont il liait été lui-même victime ;
"Considérant qu'il est de principe, que toutes les religions reconnues par l'Etat doivent trouver protection dans la loi et devant les tribunaux ; que s'il avait été établi, dans l'espèce, qu'Aron, israélite de religion, ait commis un outrage à la religion catholique, il aurait subi une juste répression de son acte ; qu'il doit aussi être protégé, lorsqu'il est attaqué à raison du culte auquel il appartient."

Les autres ont été condamnés à trois jours de prison et chacun à 16 fr. d'amende ; Messmer, l'agent de la police locale, qui, au lieu de porter secours à l'israélite, l'a maltraité, à six jours de prison et solidairement aux dépens, liquidés à 110 fr.
Seul des condamnés il a interjeté appel devant la Cour de Colmar, qui a confirmé le jugement.


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