ASHERN
association des Amis des Sites Hébraïques des Environs de Reichshoffen et Niederbronn-les-Bains présente :
La maison des mystères : le Kahalshaus (maison de la Communauté) de Niederbronn
Texte et photos : Raymond Lévy pour ASHERN


Le bâtiment est situé rue du Quillier, à l'angle de l'avenue Foch, et date probablement du début du 19e siècle.

Au rez-de-chaussée se trouvait une salle dédiée à l'abattage rituel pour petits animaux, équipée de crochets de maintien des chèvres, moutons ou volailles, ainsi que d'un caniveau d'évacuation du sang, interdit à la consommation car symbole de la vie.

Une autre partie de ce rez-de-chaussée contenait le mikvé ou bain rituel dont la tradition oblige à faire usage lors des rites de purification, notamment (mais pas exclusivement) pour les femmes après les menstruations.
Outre le bain proprement dit, on pouvait y voir les restes des réservoirs de chauffage de l'eau. La provenance de cette eau, obligatoirement pure, est aujourd'hui incertaine (source ou eau de pluie). L'eau usée, elle, était rejetée dans le ruisseau du Falkenstein, contigu.
Selon la tradition juive, l'équipement le plus important pour fonder une communauté est le mikvé qui nécessite des installations fixes et strictement codifiées pour obtenir une eau d'une pureté totale. Le mikvé est donc le symbole même de cette communauté, plus que la synagogue, car prier, on peut le faire partout. D'anciens Niederbronnois me rapportaient que ce lieu était considéré comme suspect par le voisinage. En effet, des femmes venaient pour s'y baigner... !

Les étages supérieurs servaient de logements. Ainsi, après 1945, restés intacts, ils ont abrité jusqu'à quatre familles juives (dont la mienne), le temps de reconstruction des maisons bombardées.
Aujourd'hui, en très mauvais état, le bâtiment a été racheté par la Ville en 2001. Il est en attente de restauration depuis longtemps. Pourtant, le mikvé s'inscrirait parfaitement dans l'historique thermal de Niederbronn...


l’ancienne Kahalshaus avant 2016


1. Le mystère de sa date de construction

Ni la maison juive, ni aucune autre de l’actuelle avenue Foch ne figure sur le plan d’alignement de 1839-41, et pour cause : toute la zone est marécageuse et annotée comme domaine d’élevage de moutons. Le train arrive à Niederbronn en 1867. La "Neue Strasse" est alors percée pour y mener.

La salle de she'hita (abattage rituel) aujourd’hui disparue
Dans toute la rue, entre la synagogue, l’église et l’ancienne gare, aucun édifice n’est bâti sur cave enterrée puisque le sol est un marécage instable.
Notre bâtiment figure sur le cadastre allemand de 1897. Il est donc construit entre les deux dates. Cette maison juive est alors contemporaine à vingt ans près de la nouvelle synagogue de 1867, ainsi que de l’ancienne école juive de la rue des Romains, ce qui démontre un extraordinaire dynamisme de la communauté juive de l’époque.
Les appuis de croisées, retrouvés dans le catalogue De Dietrich de 1867, ne permettent pas une datation certaine, car fabriqués avant et après cette date.
La date de construction reste donc mystérieuse à ce jour.

2. Eau sanitaire et chauffage : des inconnues

La salle de chauffage de l'eau
Dans une autre salle, on trouve un réservoir métallique accroché en haut d’un mur, une pompe à bras au centre, et les traces de suie d’un poêle sur le mur opposé. La pompe s’alimentait dans un puits métallique à l’extérieur du bâtiment, de profondeur d’environ 6 m. On suppose qu’elle remplissait d’eau sanitaire le réservoir, puis s’écoulait gravitairement via un tube à travers le mur du fond, chauffée au passage par le poêle disparu.
A quoi servent alors les petites poulies fixées au plafond entre pompe et réservoir ?
Mystère …

3. Le plus grand des mystères : d’où vient l’eau pure du mikvé ?

Le mikvé (bain rituel) se trouvait de l’autre côté du mur du poêle.
L’eau primaire du mikvé, eau de source ou eau de pluie, doit le remplir sans conduite métallique et sans aucune intervention humaine, donc en aucun cas par la pompe à bras qui ne servait alors qu’à compléter le bain avec de l’eau réchauffée.




Le mikvé (bain rituel)
Le bâtiment est gravement fissuré.
Devant le péril, la Ville, impécunieuse, le revend, avec clause de préservation du mikvé. D’importants travaux de consolidation sont alors entrepris en novembre 2014.
Ces travaux permettront-ils d’éclaircir le mystère ?

Le plan ci-dessous montre que cinq excavations ont été creusées pour permettre de consolider les fondations en injectant du béton.


On découvre, à 3 mètres de profondeur, une épaisse couche d’argile verte à bleue, totalement étanche. Des poches d’eau s’écoulent au-dessus de l’argile lors des fouilles. On voit bien alors pourquoi la zone est marécageuse.
Il n’y a donc aucune source permettant d’alimenter le mikvé en eau pure, de même qu’aucune conduite ne permet de récupérer l’eau de pluie de la toiture.
On découvre aussi deux arches de pierres remplies d’argile qui encadrent le bassin souterrain du mikvé.

Tout s’éclaire alors : les deux arches souterraines forment syphon. Lors des fortes pluies le sol est gorgé d’une eau qui ne peut pénétrer plus profondément, car elle est stoppée par l’argile. Les deux arches obligent ces eaux à ennoyer le mikvé par l’extérieur, puis à remonter à l’intérieur par la bonde selon le principe des vases communicants.

Le mystère est éclairci ... si cette hypothèse est la bonne !
Ce mikvé est alors véritablement un "rassemblement des eaux" comme le définit la Halakha (la loi rabbinique).
Il faut donc rendre un hommage appuyé à son architecte, génie inconnu et fin connaisseur de l’hydrogéologie locale.

Les spécialistes des mikvaoth pourront-ils confirmer ou infirmer cette hypothèse ? Leurs critiques et suggestions seront les bienvenues par courriel à l’adresse : ‘raymlevy@gmail.com’, avec nos remerciements anticipés.


la souka au grenier

l’ancienne Kahalshaus depuis 2016

Aujourd’hui, le kahalshaus de Niederbronn-les-Bains est transformé en logements locatifs. Les salles communautaires ont disparu.


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