Inauguration de la synagogue
22 mars 1959


Le dimanche 22 mars 1959 a été inaugurée la synagogue restaurée de Haguenau. La cérémonie placée sous le haut patronage de M. Maurice CUTTOLI, Préfet du Bas-Rhin, et la présidence de M. F. LECHNER, Sous-Préfet de Haguenau et de M. A. DEUTSCH, grand rabbin du département comportait un beau programme de chants religieux de M. O. KUGLER, ministre officiant et du choeur sous la direction de M. le Docteur W. FRANK.
Ont pris la parole : MM. Joseph STRAUSS, président de la Communauté, le rabbin Joseph BLOCH, le Docteur Joseph WEILL, président du Consistoire, le Grand Rabbin Abraham DEUTSCH et le Maire Désiré BRUMBT.

Allocution du Rabbin Joseph BLOCH

"Mon temple abandonné,
Mon héritage rançonné,
Le mont de Sion détruit !
Dieu fort, tu t'es rendu,
Bienfaiteur, tu m'es devenu,
Vers le Horeb je te suis."

Mes frères, mes soeurs,

Un contraste, pareil à celui exprimé dans cette dernière strophe d'une élégie de Tichâh beâbh, domine en ce moment  solennel nos sentiments. Nous pensons à ce premier Vendredi soir qui, après une journée grise de décembre 1945, nous réunissait de nouveau dans notre oratoire à peine illuminé et précairement aménagé : sur les pâles figures, encore les frayeurs d'une menace de mort de tout instant, dans nos oreilles tintantes, encore le tonnerre du canon et le fracas des bombardements, dans nos yeux terrifiés, encore le spectre d'une soldatesque prête à toute cruauté, dans nos pensées troublées, encore le souvenir affreux d'un récent passé.

Et aujourd'hui, une foule en fête chantant des hymnes, réunie dans un temple rénové dans son ancienne splendeur, baigné dans une mer de lumières éclatantes, les yeux rayonnants de joie, le coeur plein d'espoir.
Pourtant, cette joie est tempérée, l'espoir seulement est confiant.

Dans un tel ordre d'idées, nos Sages, ordonnateurs de nos prières, ont prescrit de dire, à la vue d'une synagogue reconstruite, la bénédiction suivante :

"Béni sois-tu, Eternel, maître du monde, qui rétablis le domaine de la veuve."

Non pas chéhé'héyonou, cri de joie pure et exubérante, mais matziv guevoul almonoh, satisfaction du rétablissement d'un état douloureux. Même reconstruite, une telle synagogue est comparable à la veuve qui ne peut effacer de sa mémoire un pénible passé, mais qui s'attache à l'espoir d'un meilleur avenir.

Le Rabbin Bloch pendant son allocution
Toutes ces synagogues reconstruites dans nos provinces, sont en premier lieu les témoins de la justice immanente de Dieu, témoins que la force n'est pas le dernier mot dans l'histoire des hommes. Elles sont un fanal qui écrit, avec des lettres de feu, dans les consciences humaines :
"Ce n'est pas la puissance des armes, ni la force des bras qui décident du destin du monde, mais mon Esprit, dit l'Éternel Dieu." (Zacharie 4:6).
Quelle leçon humiliante pour ces incendiaires de "la nuit de cristal" et pour ceux qui ont continué leur oeuvre funeste aussi chez nous ; pour ces conquérants orgueilleux qui pensaient dominer le monde pendant des milliers d'années.

Voici le chant de la dédicace du temple :

"Je t'exalterai, Seigneur, car tu m'as relevé, et tu n'as pas réjoui contre moi mes ennemis." (Psaume 30:1-2).

Chaque maison de prières restaurée est un symbole ; un symbole de l'espérance que, malgré tout ce que nous avons vu, vécu et souffert, un monde meilleur mûrira, comme l'ont annoncé nos prophètes. Cette confiance en une humanité meilleure, cet espoir messianique, le judaïsme les a maintenus dans les pires époques de sa longue, et souvent douloureuse histoire. Sans eux, sans cet opiniâtre optimisme, il y a longtemps que notre collectivité aurait disparu.

Mais à côté de cette signification symbolique d'actualité, nos synagogues gardent, c'est tout naturel, leur caractère idéal de toujours. Une maison, même une maison de prières, est une chose matérielle, un corps inerte, construit de bois et de pierres; ce sont les hommes qui y introduisent l'âme et la vie. Et si nous implorons Dieu, chaque Shabath, "de bénir ceux qui consacrent des maisons à la prière", nous ne manquons pas d'ajouter : "et ceux qui viennent y faire leurs dévotions".

Comme pour tant de générations précédentes, comme pour vous-mêmes, mes chers amis, depuis votre plus tendre enfance, cette maison doit redevenir un maître éloquent de vertu et un appel perpétuel à ce qui est divin dans l'homme. A ceux qui savent écouter et comprendre, le temple parlera puissamment de Dieu, car c'est à Dieu qu'il est dédié, et c'est Dieu qui l'embellit par sa présence (Exode 40:37).

Il vous parlera aussi de la destinée humaine ; il vous dira : Le travail n'est pas tout. le succès n'est pas tout ; il vient un jour où cela n'est même plus rien. Mais ce qui reste éternellement, c'est la Thôrâh, 'hayè ôlom nota. bethôkhênou, c'est la vertu, c'est le bien ainsi que le dévouement à la famille et à la communauté, à la patrie et à l'humanité. Car ici nous sommes les créatures du même Dieu, avant les mêmes besoins d'appui, les mêmes besoins de courage, d'espérance et de consolation ; les mêmes créatures aussi qui doivent marcher vers le même but, vers un jour, où les haines tomberont, les passions se tairont et où l'amour fraternel seul se fera entendre dans le silence apaisé de l'âme ! Chaque prière devient ainsi un cri du coeur, et la recherche d'un idéal. Le mot hébreu pour "prière" est tephillâh qui signifie aussi "juger", se juger soi-même pour s'approcher de cet idéal. Et cet idéal est Dieu, Père de tous les hommes, Loi éternelle de toutes les consciences, Lumière de toutes les âmes.

Pour que notre temple, mes frères, mes soeurs, nous donne ces hautes et précieuses leçons, il faut le considérer comme nos anciens qui l'appelaient "Schoule", il faut le considérer comme une Ecole, où nous parle Moïse, notre Maître, où nous parlent nos prophètes et nos psalmistes, pour nous enseigner d'aimer Dieu et de servir les hommes.

Remercions donc, en cette heure, les hommes qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes pour faire disparaître de cette maison les traces de la destruction, et qui, avec un dévouement exemplaire, l'ont rendue de nouveau habitable.

Prions Dieu que cette journée ouvre, dans notre communauté, une nouvelle période de piété, de foi, d'activité religieuse, d'union et de prospérité. N'oublions pas que Dieu a dit, dans une des dernières lectures sabbatiques :

"Que mes enfants me construisent un sanctuaire, et je résiderai au milieu d'eux. » (Ex. 25: 8).
Là où est Dieu, tout doit être pur, noble, droit et élevé, car Dieu est toute pureté, toute vérité, toute perfection ; comme Il est la source de toute bénédiction. Et la plus belle bénédiction pour nous sera la concorde et la paix :
"Si Dieu veut donner la force à son humanité, Il la bénit dans la Paix." (Ps. 29:11).


Au premier plan Joseph Strauss, président de la Communauté
au second plan le Dr. Joseph Weill


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