LES CIGOGNES
Extrait de la brochure :
Soixante ans de l'Orphelinat Israélite Haguenau
Maison d'Enfants "Les Cigognes" (1962)


Le Refuge

Le Refuge
Comme toute communauté juive de quelqu'importance, celle de Haguenau possédait déjà au 18ème siècle son hospice pour ses malades et vieillards indigents. Dans le Recensement des juifs d'Alsace de 1784, on signale dans la liste de Haguenau, que 13 personnes pauvres sont logées à "l'Hôpital". C'est là sans doute le nom officiel pour la maison que les Juifs appelaient leur Heqdiche ou "Jedespital", car il est peu probable, sinon impossible, que des Juifs aient pu trouver asile en 1784 dans l'hôpital de la ville. Mais nous ne savons pas où se trouvait cet "Hôpital" ni ce qu'il est devenu (1). Les archives de la Communauté ont été perdues ou détruites pendant la deuxième guerre mondiale. Toutefois d'après une indication tirée d'un exemplaire des Statuts de 1897, statuts qui devaient être soumis au Ministère d'Alsace-Lorraine, le Refuge actuel a été fondé en 1852. Il a été déclaré d'Utilité Publique par décret impérial du 28 février 1866.
En 1897 le Conseil d'Administration (le premier que nous connaissons) était composé de MM. Samuel Weill, président ; Arthur Moch, trésorier; Lazare Bloch, rabbin; Arthur Hemmerdinger, secrétaire; Marem Bloch, Isaac Weill et Léon Weill, membres.
Lorsque la maison du Refuge s'avéra trop petite et menaça ruine, le Conseil, d'accord avec la Commission administrative de la Communauté, décida, en octobre 1913, d'élever une nouvelle construction qui fut exécutée en 1914 sous la direction architectonique de M. Cromback, de Strasbourg.
Les frais s'élevaient à 70.000 Marks, auxquels la ville contribua par une somme de 4.000 Marks.
  1. 1 Quoique J. Klélé, dans son ouvrage "Ursprung und Entwicklung der Stadt Haguenau nebst Anhang der Hâusernamen", sous Stiegelmannsgasse ne fasse pas mention d'un " Hôpital juif ", il est fort probable que celui-ci s'y trouvait déjà avant 1852.

Le bâtiment offre un très bel aspect extérieur. Il renferme à l'intérieur une vaste cave où fut installé plus tard le Bain rituel. Le rez-de-chaussée donne place à une cuisine, deux chambres et une salle qui sert pour les séances des différentes commissions, comme ouvroir pour les dames et comme salle de conférences; au premier étage sont hébergés les pensionnaires, dont chacun dispose d'une chambre individuelle. Un oratoire accueillant et bien aménagé fait partie de ce bâtiment qui, pendant la guerre, avait été transformé en logements pour des particuliers.
Après la guerre, les conditions de confort ont été améliorées par l'installation du chauffage central et de l'eau courante. C'est sur le terrain dépendant du Refuge que fut construit l'Orphelinat israélite de Garçons. Les deux établissements ont une direction et une administration communes.
Depuis sa fondation, le Refuge a rendu des services appréciables ; des vieillards de Haguenau et de ses environs, mais aussi originaires d'autres communautés, y ont été admis, de sorte que toutes les chambres sont en général occupées.

L'Orphelinat

Aron-Marc Rehns
L'Orphelinat Israélite de Haguenau fut fondé par Aron-Marc Rehns qui était né dans notre ville le 2. 11. 1832 ; il était issu d'une vieille famille alsacienne dont on peut suivre les origines jusqu'au 16e siècle. A l'âge de 12 ans il avait quitté sa ville natale pour faire des études de droit à Lunéville, et ensuite à Strasbourg. Après son mariage avec Melle Betty Meyer, il s'installa comme avocat à Strasbourg. Comme beaucoup d'autres Alsaciens, qui ne voulaient pas rester sous la domination allemande, il vint habiter Paris en 1872, où il prit la direction d'une entreprise commerciale de renommée universelle.

Malgré les longues années de séparation, M. Rehns avait gardé pour son pays natal le plus grand attachement. Au cours d'un séjour dans la ville où il avait passé son enfance, il exprima le désir de créer une oeuvre philanthropique en faveur des nécessiteux des communautés israélites de Haguenau et de Schirrhoffen. Le Rabbin M. Marc Lévy et M. Arthur Moch lui suggérèrent de fonder un orphelinat de garçons pour nos trois départements, un établissement similaire existant déjà à à Strasbourg pour des filles.
Par donation du 4 août 1902, M. Aron-Marc Rehns mit le capital initial inaliénable de 100.000 Marks à la disposition du Comité du Refuge, qui, de son côté, céda le terrain nécessaire pour la construction. Une Assemblée Générale des membres du Refuge du 31 mai 1903 donna son avis favorable pour l'acceptation du don, et celui de l'administration civile s'ensuivit le 24 septembre de la même année.
Le projet reçut l'appui financier des autorités et de l'administration municipale et celui de plusieurs communautés israélites ainsi que de nombreux donateurs privés.

La construction fut commencée en 1904, inaugurée en 1906. L'architecte municipal Guillaume Stoll avait surveillé les travaux à titre bénévole.

Deux plaques commémoratives apposées à l'entrée de la maison devaient faire connaître son origine aux générations futures.

Sur l'une on pouvait lire:
Aron-Marc Rehns,
né à Haguenau le 2 novembre 1832,
a fondé cette maison en 1904
en souvenir de ses parents Marc-Aron Rehns
et Reine Rehns née May, de Schirrhoffen, ainsi
que de ses ancêtres qui, pendant des siècles,
ont fait partie de la Communauté israélite de Haguenau.
Sur l'autre plaque se trouvait le texte suivant :
Administration de l'Orphelinat lors de sa fondation et de sa construction :
Marc Lévy, Rabbin et vice-président
Samuel Weill, Président
Arthur Moch, Trésorier
Marem Moch, Membre
Léon Weill, Membre
Isaac Weill, Membre
Arthur Hemmerdinger, secrétaire.
Président de la Communauté israélite : Joseph Lévy.
G. Stoll, Architecte municipal.
Ces plaques ont disparu pendant la dernière guerre.

Le Tableau d'Honneur, dans le Rapport de l'oeuvre des années 1910 et 1911, porte les noms suivants des premiers bienfaiteurs :

M. A.-M. Rehns, Paris Marks 100.000
La Ville de Haguenau " 4.000
M. Arthur Moch, Haguenau " 4.000
Ministère d'Alsace-Lorraine " 2.000
M. Ferdinand Oppenheimer et famille, Strasbourg " 2.000
M. Léon Moch, Haguenau, et Mme S. Bernheim-Moch " 8.400

Les pupilles de 1910
Très nombreux étaient, à cette époque déjà, des dons de 50 à 1.200 Marks. Des centaines de cotisations parvenaient à l'oeuvre ainsi que de nombreux dons en nature.
Une quête de Pourim fut organisée par les rabbins, les présidents, les instituteurs et les ministres-officiants de nos communautés et contribue, encore à l'heure actuelle, efficacement aux besoins financiers de la Maison. En plus, des Fondations de "Jahrzeit" nous sont très souvent confiées : le souvenir d'un être cher étant ainsi perpétué par une "bonne action'.
En 1920 les Dames Israélites de notre ville ont créé la société "Les Abeilles" qui avait pour but essentiel le soutien de l'oeuvre. Et maintenant encore la sollicitude des "Abeilles" fait la joie des "Cigognes" à 'Hanouka et Pourim.

Le rapport 1902/10 compte 17 enfants.
Le rapport 1910/11 compte 24 enfants.
Le rapport 1912/13 compte 39 enfants.

Voici la liste des Présidents et des Directeurs de notre oeuvre, qui se sont succédé depuis sa fondation à ce jour :

Présidents :
M. Samuel Weill de 1904 à 1908
M. Arthur Moch de 1908 à 1910
M. Armand Lévy de 1911 à 1926
M. Léon Moch de 1926 à 1943
M. Robert Roos depuis 1945.

Directeurs :
M. & Mme Simon Weill de 1904 à 1933
M. & Mme Sylvain Koch de 1933 à 1942
M. & Mme Nathan Samuel de 1946 à 1955
M. & Mme Jacques Lévy depuis 1956.

 
M. & Mme Sylvain Koch

Après la guerre : les Cigognes

Après la guerre des changements profonds ont été introduits tant au fonctionnement qu'à l'administration de notre établissement: Pour éviter de séparer frères et soeurs devenus orphelins par suite de la plus terrible des persécutions jamais vécues et dans un but simplement humanitaire, le Conseil d'administration décida d'admettre aussi des filles, chose qui compliquait le travail, surtout de la direction. Pour venir à bout de l'immense tâche à accomplir, le Comité sollicita la collaboration de l'Oeuvre de Secours aux Enfants (OSE). Un accord de caractère financier et pédagogique (conclu en août 1946) fit prendre un nouvel essor à l'Orphelinat, nommé, à partir de ce moment, "Maison d'Enfants les Cigognes". 45 enfants peuvent y être hébergés.

L'inauguration
Pendant la guerre (1939 - 1945) l'immeuble avait été occupé et transformé par l'administration allemande, qui en avait fait des bureaux de service. Grâce à l'appui des Pouvoirs publics et aux multiples démarches de notre Président, M. Robert Roos, les travaux de reconstruction pouvaient être menés à bonne fin en 1947.

L'inauguration solennelle eut lieu le 11 juillet 1948 en présence des autorités officielles et de nombreuses autres personnalités.

La guerre avait décimé notre Administration : Nous avons perdu : MM. Léon Moch, président et bienfaiteur, Sylvain Koch, directeur, Bernard Picard, secrétaire, décédés.
Ont été victimes de la déportation: les membres MM. François Halff et Edmond Marx.

Une table du réfectoire
Malgré tous les efforts de notre trésorier, M. Simon Sichel, notre fortune avait sensiblement diminué par suite de la dépréciation de la monnaie.
Un nouveau Conseil d'Administration qui se mit courageusement au travail, se constitua dès le retour de l'exil.

Notre établissement dispose de bâtiments spacieux, ensoleillés et bien aérés.
Au sous-sol : une grande cuisine avec installations modernes et dépendances, une laverie et aménagement de douches pour les enfants.
Au rez-de-chaussée: un grand réfectoire, des salles de séjour et d'étude et en plus le bureau de la direction ; aux 1er et 2ème étage: des dortoirs, l'appartement du directeur, une infirmerie, les chambres des éducateurs et des salles d'eau; au 3' étage : la lingerie et les chambres du personnel.

Les loisirs :
La vaste cour qui entoure la maison, a été tout récemment aménagée par les soins de la Municipalité de Haguenau. Elle permet aux enfants de s'ébattre pendant leurs moments de loisirs.

Deux médecins sont attachés à notre Maison : Le docteur Lucien Roos, au Refuge,
et le docteur Willy Frank, à l'Orphelinat.

La maison de vacances "Les Cigognes" à Luttenbach

La maison de vacances
En l'année 1953, le Conseil d'Administration a fait l'acquisition d'une belle maison à Luttenbach, dans la vallée de Munster, qui, après transformation et installation, devint la Colonie de Vacances "Les Cigognes", dirigée par l'OSE. Actuellement des travaux d'agrandissement sont en cours pour faire face à des demandes toujours plus nombreuses de séjour de vacances.
Merci à nos nombreux bienfaiteurs et amis de leur compréhension et de leur fidélité effectives. Ce sont eux qui ont rendu possible toutes ces réalisations par lesquelles notre Orphelinat est devenu une des plus belles oeuvres de la France juive.
Nous espérons qu'à l'avenir aussi ils voudront bien nous maintenir leur soutien bienveillant.
Puissent nos établissements, sous la protection divine, prendre un développement toujours plus heureux, afin d'être pour nos vieillards un gîte reposant et pour nos enfants un véritable foyer israélite.
Joseph Bloch, Grand-rabbin, vice-président

M. Nathan Samuel et Mme, née Hélène Neher, parlent de leur activité dans les lignes suivantes :

M. & Mme Nathan Samuel

Notre activité à Haguenau de 1946 à 1955. Un peu moins de dix ans dans une existence humaine... Mais cette période qui se place à l'époque où nous sortions des "années terribles" pour avoir le redoutable privilège de nous voir confier ces nombreux enfants privés de leurs parents par suite de la cruauté de l'ennemi, est sans précédent dans l'histoire.

Ce furent des années exaltantes. Pour nous, une expérience. La récompense de notre travail était quotidienne, et c'est cela, bien sûr, qui facilitait notre tâche et stimulait notre ardeur. Les difficultés de toutes sortes étaient compensées par des satisfactions substantielles dans l'affection de tous ces jeunes qui, à défaut de leurs parents, avaient retrouvé une maison.

L'expérience était aussi ailleurs. Il nous a été possible de faire vivre une collectivité jeune dans le cadre d'une vieille communauté juive pour le profit des uns et des autres; de rajeunir, ou mieux de faire revivre, une institution vieillie, dans un esprit jeune et dynamique. Notre action, loin d'être freinée par un comité timoré ou paralysant, était soutenue par un conseil d'administration actif et efficace. Nous avions eu la chance, il est vrai, de trouver partout des personnes éclairées et compréhensives. M. Roos, le président, notre vice-président le rabbin Bloch, cet érudit ouvert à tous les problèmes, ce "sage" dont nous nous enorgueillissons d'avoir vécu à ses côtés, M. Sichel, le Dr. Frank, tous ceux qui avaient des responsabilités dans la gestion de l'Institution, oeuvraient dans notre sens pour le plus grand bien de tous.

Notre joie au travail, l'ambiance si réconfortante, le charme de cette maison, nous le devions, pour une très grande part, à tous nos collaborateurs. L'équipe était homogène, et chacun était conscient de travailler pour une oeuvre commune en vue d'arriver à ce but : des enfants heureux.

Ces enfants dont l'éducation nous incombait, devaient recevoir aussi une instruction et une formation qui ferait d'eux des personnes normales qui, en dépit d'une jeunesse perturbée par les circonstances, trouveraient leur place dans la société. Le personnel éducatif nous venait en général de l'OSE C'est grâce à la compétence et au dévouement de nos éducateurs tels que Régine, Rita, Jeanine, Dina, Raymond qui se dépensaient sans compter et qui donnaient le meilleur d'eux-mêmes aux enfants, en leur communiquant le goût des études, en leur faisant comprendre le sens de notre éthique juive, que nos jeunes étaient pourvus de ce qui devait les armer pour la vie.

Nous ne saurons exprimer ce que signifiait pour nous cette vie intense, ce qu'étaient les fêtes juives avec leurs offices religieux, ces veillées et ces onègues Shabath, le Séder, la Soukah, le Talmud Torah, où les enfants de la ville et les nôtres se retrouvaient ensemble.

Et que sont devenus tous ces jeunes qui étaient "nos" enfants ?
Le "pari" de les intégrer dans une vie normale, pareillement à ceux qui avaient eu une enfance normale, a-t.il été tenu ? Nous ne cacherons pas notre amertume devant certains échecs, et nous nous demandons souvent si la sollicitude dont bénéficiaient ces jeunes en maison d'enfants n'a pas été rompue trop brutalement au moment où ils la quittaient. Les institutions juives ont-elles toujours fait leur devoir à l'égard de ceux qui du jour au lendemain se trouvaient de nouveau sans foyer, sans famille et sans attaches affectives ? Dans l'ensemble cependant nous pouvons dire que nous avons enregistré de très nombreuses réussites, conformes à la moyenne habituelle.
Et quoi de plus réconfortant que de recevoir tant de messages de nos anciens, de nous voir confier leurs peines et leurs joies actuelles, de les voir se joindre, aujourd'hui comme naguère, à nos propres peines et joies ?

M. et Mme Jack Lévy

M. & Mme Jacques Lévy
M. et Mme Jack Lévy ont pris la succession en 1956 de M. et Mme Samuel, ils décrivent leur activité ainsi :
La période des huit dernières années durant lesquelles nous venons d'assumer la direction de la Maison d'Enfants "Les Cigognes" nous a permis, grâce à l'expérience de tous les jours, de mettre au point au bénéfice de l'enfant deshérité, une méthode qui centre principale-ment son action à la fois sur les rapports humains et sur les besoins réels de l'enfant.
Les enfants qui nous sont confiés après dépistage par les services sociaux de l'Oeuvre de Secours aux Enfants (O.S.E), souffrent en premier lieu d'une carence affective que nous cherchons à combler.
Lorsqu'ils se sentent en sécurité, les enfants peuvent alors se considérer et doivent être considérés comme des enfants socialement normaux. Les différences, la pitié, l'excès de prévoyance à leur égard sont de mauvais amis, et c'est en les traitant comme tout père agit envers son fils, que nous avons réussi à faire aimer notre Maison par les enfants. Et une fois partis, ils nous écrivent alors des lettres attendrissantes de reconnaissance et de regrets. C'est là notre meilleure récompense.


Après 1962
Le texte ci-dessus est extrait d'une brochure publiée en 1962 à l'occasion

du soixantième anniversaire de l'Orphelinat israélite de Haguenau, devenu après la seconde guerre mondiale la Maison d'enfants Les Cigognes.
Monsieur et Madame Joseph Luisada ont succédé à M. et Mme Lévy à la direction de l'établissement en août 1971. Puis cette fonction a été assurée par le Rabbin Claude Heymann.
En 1974 Monsieur Philippe Créange a succédé à Robert Roos à la présidence de l'institution.

L'orphelinat a fermé en 2002 et quinze enfants y résidaient encore. L'association Les Cigognes existe toujours et elle subventionne des structures qui accueille ces enfants l'après-midi pour leur assurer un suivi. A Strasbourg cette structure s'appelle Relais J et elle est dirigée par Madame Elbaz . Un programme existe pour des actions similaires en Israël.

Site internet des Cigognes de Haguenau : http://cigognes-asso.org/

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