Le cimetière israélite de Gundershoffen (suite et fin)


E. Organisation du cimetière juif de Gundershoffen


Il est entièrement fermé par un mur d’enceinte en moellons de grès des Vosges ouvert par deux portails, dont l’un d’accès piéton et l’autre de service.
Deux parties se succèdent, séparées par un mur, et formant ainsi l’ancien et le nouveau cimetière, soit les périodes de 1815 à 1954 pour l’ancien, et de 1922 à nos jours pour le nouveau. Il s’agit très certainement de deux parcelles achetées à des dates successives.
Les rangées s’organisent de part et d’autre de l’allée centrale et en 9 sections notées A-B-C-D-E-F pour l’ancien cimetière et G-H-I-K-L pour le nouveau.


L’ancien cimetière


Dans les sections A et B, les plus anciennes, des n° Z pour Zeile ("rangée" en allemand) sont frappés sur le chant de la première stèle de chaque rangée.
Dans chacune de ces rangées, les numéros des tombes sont frappés sur le fronton de chaque stèle.
Découverte par J-P. Kleitz, cette numérotation est reprise dans la présente conservation. Elle a certainement été mise en place durant la période de l’Annexion, entre 1871, voire 1895, et 1914.
Elle permet de connaître de façon assez précise le nombre de stèles disparues dans l’Histoire.
Cette pratique, très commode, a pourtant été abandonnée à partir de la section C.
Comme indiqué plus haut, toutes les tombes sont orientées vers l’Est.


Dans l’ancien cimetière, section A exceptée, les tombes sont implantées selon deux critères :

Il est à noter que deux sections sont réservées à une population particulière :


Dans le nouveau cimetière, à partir de 1922, la règle du sens de lecture hébraïque n’est pas respectée, pour des raisons pratiques. L’ordre chronologique s’y incrémente de gauche à droite.
On y trouve de nombreuses mentions en souvenir de déportés et de "morts pour la France".
Un carré réservé aux Cohanim, les descendants d’Aaron, le Grand Prêtre, est nouvellement implanté en section K.
D’autre part, la réservation de tombes doubles pour les couples se généralise, le marbre et le granit aussi.
Cette nouvelle parcelle n’étant pas arborée d’origine, des plantations de thuyas ont été effectuées. L’ambiance générale est donc très différente de l’ancien cimetière.
Enfin, un monument aux disparus en déportation a été implanté après-guerre en section L, financé par un donateur ou une donatrice anonyme.




F. Géographie : la "maison des mondes"


1. L’ancien cimetière (1815 - 1954)


Niederbronn-les-Bains 280 tombes
Reichshoffen261
Gundershoffen  68
L’étude de l’origine géographique des défunts inhumés à Gundershoffen donne un aperçu intéressant de l’importance des communautés juives de sa zone de "drainage", ainsi que de leurs apogées et disparitions.
Les trois communautés principales d’origine des défunts sont évidemment les plus immédiates, mais aussi issues des bourgs les plus importants.

Oberbronn et Mertzwiller ne sont
mentionnés qu’une seule fois car ces
communes possèdent chacune leur
propre cimetière juif.
Froeschwiller 11 tombes, la dernière en1869
Goersdorf131869
Langensoultzbach371902
Rothbach  11885
Muhlhausen   1 1873
Bitche (Moselle)  71944
Baerenthal (Moselle)  41908


28 autres communes d’origine sont mentionnées, correspondant dans la majorité des cas à des conjoints issus d’une localité proche de Gundershoffen. Elles démontrent l’étendue des origines dans les mariages et donc aussi des liens avec les communautés :


Evidemment, les 294 emplacements vides de cet ancien cimetière sont de nature à fausser les éléments relevés.
Sur les 783 tombes de la zone, seules 43 (moins de 6%) n’indiquent aucun lieu d’origine ou de vie.
Cela démontre assez l’attachement de nos juifs d’Alsace du Nord à leur lieu de vie, part constituante de leur identité.
Ces lieux figurent soit dans le texte en hébreu, soit en français et souvent dans les deux langues.


2. Le nouveau cimetière, la "maison des pères" (1923 - ...)


Il a été défini, après 1945 et la disparition de nombreuses petites communautés juives rurales, que sa zone de drainage sera Bitche, Niederbronn-les-Bains, Reichshoffen et Gundershoffen, où des communautés subsistaient encore dans les années 1970.
Elles sont toutes aujourd’hui disparues. Les descendants de leurs membres continuent de s’y faire enterrer auprès de leurs ancêtres dans leur "maison des pères".
A noter que les Juifs bitchois sont inhumés à leur choix ou celui de leurs familles à Gundershoffen ou à Ingwiller.
Quelques personnes étrangères à la proche région ont souhaité y être inhumées pour des raisons qui leur sont propres.
D’autres y sont venues suite à leur immigration après-guerre dans la région : Juifs polonais, roumains, marocains, égyptiens.


G. Un peu d’histoire


On peut légitimement s’interroger sur les lieux de sépultures des Juifs d’Alsace du Nord avant la création du cimetière de Gundershoffen. Un premier indice est donné par l’âge des nécropoles à proximité :

Pour mémoire : à Rothbach : présomption de cimetière juif disparu au lieudit "Judenacker".


D’autres indices permettent de préciser, mais toujours sans certitude :


Tout cela porte à croire que le lieu de sépulture des Juifs du Pays de Niederbronn-les-Bains était le cimetière d’Ettendorf. C’était très malcommode : long chemin - 21 km - très vallonné, donc difficile pour le transport.


Au Haut moyen âge, l’usage de la taxe de traversée de chaque ban communal pour chaque Juif, même mort, a été supprimé par les comtes de Hanau-Lichtenberg. Ils ne se privaient pas, en revanche, d’encaisser un droit pour chaque enterrement. Cela explique en partie qu’ils aient autorisé un cimetière juif centralisateur.
Puis vient l’émancipation des Juifs en 1791, une révolution dans la Révolution. A peine une génération plus tard de nouveaux cimetières israélites sont créés :


Qui les a créés et dans quelles circonstances ? A ce jour, on n’en sait rien, hélas.
Pourquoi ? Pour réduire les distances sans doute, dans un territoire éloigné des grands centres, mais dont la population juive est importante. Ainsi, vers 1860, on recense plus de 200 Juifs à Oberbronn, un peu moins à Niederbronn-les-Bains, 250 à Reichshoffen.


On peut certainement admirer le dynamisme de ces anonymes fils de persécutés devenus créateurs de lieux de tradition - maisons des mondes et futures maisons des pères.
Ce n’est que la génération suivante qui s’attaquera à la création de nouvelles synagogues. Les cimetières constituaient bien la priorité pour les Juifs d’Alsace du Nord en ce début du 19ème siècle.


Postérieurs au décret sur la prise de nom des juifs promulgué en 1808 par Napoléon 1er, les noms gravés se retrouvent donc tous dans l’état civil.
Parmi les défunts inhumés à Gundershoffen, nous ne trouvons aucune célébrité. Cependant, on y rencontre la famille maternelle de Pierre Dac (les Kahn).
Une curiosité : Salomon Trost, un soldat juif allemand tombé près de Woerth lors de la bataille du 6 août 1870 dite "bataille de Reichshoffen" (F67Gun-R12-N11 en section B).


Les plus anciennes stèles connues se trouvent évidemment en section A :

Au passage, ces trois tombes démontrent toute la difficulté à trouver de la cohérence en section A :


La deuxième guerre mondiale n’a pas épargné notre cimetière. Selon des témoignages recueillis :


Le remplacement des couvertines en grès par des couvertines en béton sur les murs d’enceinte de part et d’autre de l’ancien cimetière du côté de l’entrée semble confirmer une réfection partielle des murs après-guerre, suite au passage du panzer.
Tout cela peut largement expliquer les 247 emplacements vides en sections A, B et C, ainsi que les 103 emplacements vides en section E, celle des enfants, autant de tombes probablement disparues.
Nous avons donc environ 350 noms disparus de la mémoire collective, comme un assassinat post mortem. 350 sans-nom que les nazis ont réussi à effacer définitivement.


Dans ses souvenirs écrits en 2017, M. Jacques Strauss, parisien originaire de Reichshoffen, parle de son père André Abraham Strauss : "Je suis né en 1937 et j’ai maintenant 80 ans. Quand nous sommes rentrés d’exil en 1945, j’avais huit ans, et j’étais orphelin de ma maman. Mon papa m’a emmené au cimetière pour procéder l’inventaire des tombes et faire le constat des dégâts sur les tombes. Il devrait exister des documents qu’il a réalisés méticuleusement, sur des grandes feuilles à petits carreaux, mais qui ont dû être perdues. Toutes les tombes de l’époque dans l’ancien et le nouveau cimetière ont été alors identifiées et leur état signalé. J’ai passé de nombreux week end avec lui pour déchiffrer les inscriptions. Je suis donc très intéressé par le travail que vous allez entreprendre pour l’identification et la publication par livre et internet des informations."


Dans l’immédiat après-guerre, des volontaires bénévoles et anonymes ont dû restaurer ce qu’ils ont pu du cimetière, puisque très peu de stèles restent renversées en 2016 (elles ont été redressées depuis). On peut le constater dans quelques très rares incohérences de numérotation en zone A, la plus touchée. Hommage soit rendu à ces bénévoles.


Dans le présent recensement des sépultures, nous n’avons numéroté que les tombes existantes. Cependant nous avons soigneusement repéré sur les plans et mentionné dans le fichier Excel les emplacements vides et le nombre de tombes qu’ils peuvent approximativement contenir.


Texte et photos : Raymond LÉVY pour ASHERN

C’est notre manière de ne pas insulter une fois de plus des existences passées dont on ne sait plus rien, sauf à y imaginer l’un ou l’autre de nos ancêtres dont la sépulture n’a pas été retrouvée.


Les derniers présidents de la commission de gestion :

Depuis 2020, M. et Mme Lopez sont nommés Veilleurs de Mémoire pour notre nécropole par la Collectivité Européenne d’Alsace, en réaction aux nombreuses profanations de cimetières juifs alsaciens de ces dernières années.


Le fichier complet de la conservation de notre cimetière sera prochainement publié sur le site du judaïsme d’Alsace et de Lorraine sous la direction de Michel Rothé.


Terminé à la fin septembre 2021, le présent travail est évidemment évolutif. Il pourra être complété à l’avenir par des découvertes ou études ultérieures qui feront "vivre" ce lieu dans le futur, et notamment le registre du nouveau cimetière.


Ce cimetière, comme toutes les nécropoles, est un livre d’histoire à ciel ouvert, un "Memorbuch", un mémorial aux personnes disparues autant qu’à cette culture d’Alsace du Nord pleine de retournements de situations, de rejets et d’intégrations successives. Comme partout, l’histoire des Juifs d’Alsace est le miroir de l’histoire générale du pays.
L’on peut penser que les défunts contribuent, par leurs vies faites de vicissitudes et de succès, à la lutte contre l’antisémitisme qui renaît, tel une hydre, à chaque génération.
C’est pourquoi il appartiendra aux générations futures, juives ou non, de conserver cet endroit intact et ouvert au visiteur de bonne volonté.
Comme le galet que l’on pose sur la tombe d’un être cher, elles apporteront de la sorte leur pierre à sa conservation.
Ce lieu d’histoire, témoignage fragile, restera ainsi "lié au faisceau des vivants".



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