Le judaïsme rural dans le Bruch de l'Andlau : l'exemple de Fegersheim
Bertrand Rietsch
Publication de la Société d'Histoire des Quatre Cantons
(Benfeld, Erstein, Geispolsheim, Illkirch-Graffenstaden) - 2003

VIII.   RÉPARTITION DANS L'ESPACE ET LIEUX DE VIE

Répartition de l'habitat juif en 1700 à Fegersheim


Répartition de l'habitat juif en 1842 à Fegersheim

1. Répartition de l'habitat juif en 1700

Sur ce plan de Fegersheim datant de 1823 ont été représentées les 7 propriétés juives issues du "Livre Terrier" de 1700. En noir gras sont figurées les limites approximatives des propriétés bâties à la même époque (1700). On remarquera que, si l'on excepte la maison n° 45 de "Schlomen der Juden", sise au début de l'actuelle rue du Général de Gaulle, les six autres maisons sont déjà regroupées dans le sud du village, à proximité du lieu-dit "Carpen Loch". Maison n° 10 : BORACH der Juden.
Maison n° 45 : SCHLOMEN der Juden.
Maison n° 58 : JOSSEL der Juden.
Maison n° 65 : ALEXANDER der Juden.
Maison n° 67 : COSCHEL der Juden.
Maison n° 68 : GIMPEL der Juden.
Maison n° 69 : JACOB den Juden.

2. Répartition de l'habitat juif en 1842

Afin de pouvoir cerner l'évolution de l'habitat juif, le même plan de 1823 a été utilisé, bien que l'habitat juif en question se situe en 1842.

L'essentiel de cet habitat juif s'est concentré dans le sud-ouest du village, une maison s'est transmise (l'ancienne maison n° 45) et deux familles non regroupées sont venues grossir le nombre d'habitations.

Ainsi, dans la rue dénommée Nesselgass en 1700 et "Rue des Juifs" en 1842, représentant en fait l'ensemble du quartier sud formé par la rue de la Libération et la place de la République, limité au nord par la rue Henri Ebel (anciennement Herrengass) et comprenant une rue transversale (l'actuelle rue des charrons, "Oberzwerckgassel" en 1700), on pouvait dénombrer 40 maisons juives et 1 maison de bain pour 16 habitations non juives. Il n'est pas fait mention d'une synagogue, alors que l'on sait par ailleurs que ce bâtiment existe et que la construction du second lieu de culte remonte à 1809 (voir ci-dessous). Il ne s'agit pourtant pas là d'une "ghettoïsation", les deux habitations juives à l'est et au nord du village ainsi que les habitations catholiques dans le "quartier juif' le prouvant, mais plutôt d'un regroupement volontaire de la communauté dans un même espace géographique situé autour du lieu de culte.

Au début du 20ème siècle, le quartier restera à forte prédominance juive, mais l'habitat se créera également le long de la rue de Lyon, entre le feu rouge du carrefour sud et la mairie.

Pour se donner une idée de la forte présence juive dans le quartier de la rue de la Libération et alentours, il faut se remémorer certains événements "catholiques" : lors des processions annuelles, toute la communauté catholique, prêtre en tête, faisait le tour du village afin de s'attirer les bonnes grâces du Tout Puissant. Ce "tour du village", qui n'en était pas vraiment un, se faisait dans le sens des aiguilles d'une montre et se trouve représenté sur la carte ci-dessus en trait pointillé tel qu'il se faisait lors de ces processions : le quartier juif était soigneusement évité, les deux confessions souhaitant vraisemblablement éviter tout conflit potentiel.

C'est au milieu de ce quartier sud-ouest du village que se construiront les synagogues successives et c'est également là que se trouvent les quelques particularités architecturales ainsi que les rares poteaux corniers en caractères hébraïques encore visibles de nos jours (voir le chapitre suivant).


Carte signée Léonie Levy (1869-1955), datée du début du siècle et représentant le restaurant Haussmann situé 7, rue de Lyon

IX.   LA VIE RELIGIEUSE

La question de la vie religieuse de la communauté israélite de Fegersheim mériterait un article indépendant, mais nous allons néanmoins poser quelques jalons permettant de se faire une idée de l'organisation de la communauté villageoise. Dans un premier temps, nous trouverons la liste des différents rabbins et chantres, Vorsinger, ayant officié à Fegersheim.

1. Rabbins

1784 :

Samuel Hemmendinger, né en 1742 à Scherwiller, décédé le 3 janvier 1813 à Fegersheim, âgé de 71 ans.
Auschel Levi, né vers 1772, décédé à Haguenau.
Isaac Samuel Blum, né le 30 avril 1788 à Bischheim, rabbin en 1826.

 

Josué Wahl, né vers 1800 à Sierentz, rabbin en 1832, a démissionné le 19 août 1834.

1834-1874 :

Alexandre Aron, né en 1796 (gendre de Loeb Ascher, rabbin à Karlsruhe), décédé à Fegersheim le 1er août 1874 à l'âge de 78 ans. Installé par le Consistoire central le 19 septembre 1834.

1874-1886 : Félix Blum, né le 10 février 1847 à Bischheim.
1886-1889 : Isaac Weill.
1889-1892 :

Isidore Dreyfuss.

1892-1898 : Ernest Weill, nommé le 1er novembre 1891.
1899-1904 :

Edmond Weill, né le 9 janvier 1878 à Erstein, décédé à Geispolsheim le 3 avril 1962, rabbin du 1er mars 1904 au 2 septembre 1939.

2. Chantres juifs (par ordre alphabétique)

Tout d'abord, il faut remarquer l'esprit communautaire fort qui existait dans la communauté juive : à preuve, lors des partages et donations du 18ème siècle, il est systématiquement fait mention de la "place d'homme" à la synagogue qui revient en général à l'un des garçons de la famille. Il était impensable que ce "bien" se retrouve hors de la famille. Cette mention dans un acte notarié est un usage chez les juifs de Fegersheim et on ne retrouve pas l'équivalent chez les catholiques. Il faut croire que cette donation revêtait une grande importance dans l'esprit du donateur. De nombreux actes d'achat-vente de place d'homme sont aussi transcrits par devant notaire.

Bolsenheim (84)  
Gerstheim (168)  
Osthouse (161)  
Uttenheim (181) 872
Westhouse (245)  
Woerth (33)  
Itterswiller (175)  
Krautergersheim (161)  
Obernai (214)  
Ottrott le bas (112) 1228
Stotzheim (60)  
Valff (88)  
Zellwiller (254)  
Et bien entendu, Niedernai (164)  
A partir de 1838, Alexandre Aron, rabbin de Fegersheim, tente de réunir différents villages dépendant du rabbinat de Niedernai au rabbinat de Fegersheim. A cette époque, le rabbinat de Niedernai menait la vie spirituelle des villages suivants (entre parenthèses, le nombre d'habitants juifs en 1838) :

Par ailleurs, Illkirch (32), bien que faible en nombre, n'était officiellement rattaché à aucun rabbinat.

Au même moment, Fegersheim, forte de 467 juifs, faisait office de "capitale locale", mais ne gérait que ces propres résidents, alors que Niedernai, dont la communauté équivalait au tiers seulement de celle de Fegersheim, assurait le suivi spirituel de 2100 israélites. Le rabbin Alexandre Aron, soucieux de rééquilibrer les deux centres, et peut-être aussi pour accroître son aura personnelle, proposa au Consistoire de Strasbourg de distraire de Niedernai les six communes citées en premier pour les rattacher à Fegersheim en même temps qu' Illkirch. On passerait ainsi d'une parité Niedernai/ Fegersheim de 2100/467 à 1228/1371, la différence au global étant due aux juifs d'Illkirch non rattachés au départ.

Après bien des tergiversations des uns et des autres, finalement, en 1864, l'empereur Napoléon III donne son accord pour le rattachement d'Erstein au rabbinat de Fegersheim. Les autres communes resteront sous gouvernance de Niedernai.

Un article de M. Paul Muller (34) nous laisse penser qu'il existait un four à pain azyme en plein air, devant le 12, place de la République. Par ailleurs, le même document mentionne qu'il existait un mikvé (bain rituel) dans la cour de l'actuel n° 1 de la même place.

A l'issue de la deuxième guerre mondiale, la population juive de Fegersheim est très réduite, pour ne pas dire inexistante ; de ce fait, le rabbinat est transféré à Erstein dès 1945.

Décret de Napoléon III indiquant que la communauté israélite d'Erstein est rattachée à la circonscription rabbinique de Fegersheim en 1864 (ABR V 515).

X.   L'ÉDUCATION, L'ÉCOLE

Un autre aspect de la vie religieuse concerne l'éducation des enfants juifs. A cet effet, les archives nous apprennent qu'une école juive fut construite en 1862 et fermera ses portes en 1919, par manque d'effectif ; l'école juive se situait dans la Nesselgass (rue du Maréchal Leclerc de nos jours), derrière l'actuelle mairie, et était fréquentée par 25 garçons et 20 filles.

Cette construction n'était que l'aboutissement d'une situation existante depuis des temps reculés. Ainsi, nous trouvons par exemple Marc Mannberger, instituteur et chantre (voir ci-dessus), décédé en 1809 : l'éducation scolaire devait donc déjà exister à cette époque à Fegersheim, vraisemblablement en lien étroit sinon total avec l'éducation religieuse. Sans doute la synagogue ou un local situé à proximité immédiate devaient-ils jouer le rôle d'école.

Instituteurs juifs (ou maîtres de langue hébraïque), par ordre alphabétique :


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