Une communauté disparue :
DANGOLSHEIM
Extrait du Bulletin de nos Communautés, 1956 (2 mars - 23 mars - 13 avril)
les sous-tites sont de la Rédaction du site


Sous le nom de Thancaradesheim cette localité est mentionnée pour la première fois dans les documents écrits en 760, du temps de Pépin le Bref, à l'occasion d'une donation. (On sait que les Mérovingiens possédaient dans le voisinage, à Marlenheim, une "villa" où ils venaient parfois séjourner avec leur cour). Dans un autre document de l'époque, le nom est écrit dans la forme de Danckratzheim, nom que nous retrouvons ensuite à nouveau au 12ème siècle, orthographié à peu près de même manière.
Les abbayes de Schwarzach et de Wissembourg possédaient à Dangolsheim des biens dès l'époque des Mérovingiens, plus tard aussi l'abbaye de Marmoutier et le couvent de Gengenbach (au 12ème siècle).
Au 16ème siècle, le nom devint Denkoltzheim, assez semblable au nom actuel (en langage populaire on prononce Dangeltzé). Une grande famille noble, ceux de "Denkoltzheim" a perpétué le nom de la localité, mais cette famille a disparu dès le 16ème siècle, par extinction de la ligne mâle.
Après avoir été passagèrement "Village d'Empire" (Reichsdorf) et propriété de la Ville de Strasbourg, le village fut donné en gage aux seigneurs de Hohenstein ; il fut aussi administré un certain temps par le grand bailli de Haguenau, sous la domination de l'Electeur palatin.
Le petit village de Dangolsheim, accroché de façon pittoresque aux flancs de la montagne de Mutzig, n'héberge plus de juifs depuis bientôt 150 ans. Mais on trouve dans cette localité la trace d'habitation de juifs depuis la fin du 15ème siècle déjà. Ils y vécurent à certaines époques, particulièrement durant le 16ème siècle, des moments tragiquement mouvementés, dont nous allons évoquer les principaux dans les lignes qui vont suivre.

Arrivée des premiers juifs

Les premiers juifs trouvèrent sans doute abri à Dangolsheim dès le 14ème siècle, au moment de la peste noire, lorsqu'ils fuirent les villes et les villages lors des persécutions. Le village est en effet situé à l'écart des grandes voies de communication, dans une région plutôt isolée. Non loin de là se trouvent les grandes étendues des forêts vosgiennes, où l'on peut cheminer pendant de longs kilomètres sansrencontrer la moindre localité habitée, vers l'ouest jusqu'à l'autre versant, dans l'actuel département des Vosges. C'est probablement pour des raisons similaires de sécurité qu'on trouve de très bonne heure des juifs établis dans diverses autres localités de la région, comme à Traenheim, Balbronn, Westhoffen, etc., d'où peut gagner en très peu de temps les immenses forêts et s'y dissimuler.

Le nombre des habitants juifs de Dangolsheim ne semble pas avoir été bien élevé, pas plus au cours du 15ème que dans les siècles suivants. Pourtant les archives ont conservé de nombreux documents relatant les événements, parfois sanglants, ainsi que les expulsions multiples dont les juifs du village eurent à souffrir.

Menaces d'expulsion

Dangosheim sur une carte postale ancienne
Dans un document du début du 16ème siècle (Arch. Bas-Rhin, C78) où il est question des premières expulsions, mention est déjà faite d'un cimetière juif à Dangolsheim, ce qui semble indiquer que les juifs y étaient établis depuis assez longtemps, car une communauté de peu d'importance ou de création récente n'aurait certainement pas eu, à cette époque un cimetière lui appartenant. On peut donc affirmer que ce cimetière, avec celui d'Ettendorf et de Rosenwiller, compte parmi les plus anciennes nécropoles juives de notre département. (Nous parlerons plus loin de ce cimetière, abandonné depuis longtemps).

Les premiers incidents entre les juifs et la population de Dangolsheim se situent au début du 16ème siècle. Les premières menaces d'expulsion eurent lieu en février 1519 et ne furent déjouées que grâce à. l'intervention du célèbre Joselmann de Rosheim "der Jüdischeit Befehlshaber". Celui-ci, dans ses Mémoires, parle à plusieurs reprises de ses interventions en faveur de ses frères de Dangolsheim. Jusqu'à, la fin de sa vie, en 1554, il eut àdéfendre leur cause, ce qui l'obligea même à s'adresser à l'autorité impériale, particulièrement à Charles-Quint. On relève ainsi dans une supplique adressée à l'Electeur palatin le 27 novembre 1544 par un habitant de Dangolsheim, que justice soit faite contre le juif Elie, "qui s'est indûment emparé d'une vigne appartenant à son frère décédé depuis peu".

Ensuite ce fut l'incident du nommé Maennel, juif accusé par les habitants de divers méfaits, et qui dut quitter la localité pour habiter à Worms. Mais même l'intervention de Josselmann n'était en ce cas pas très efficace, et il dut le menacer d'excommunication (la seule arme dont il disposait en sa qualité de "chef des juifs" !) pour le faire revenir et se justifier devant les autorités. Plus tard, deux autres juifs, accusés eux aussi de divers méfaits, durent quitter le village, mais ceux-là, à titre définitif, leur expulsion n'ayant pas pu être révoquée. En 1553 eut lieu un incident sanglant, dont les détails manquent: il s'agissait d'un jugement contre le meurtrier d'un juif de Dangolsheim (mentionné dans une lettre de H. de Fleckenstein).

De nombreuses plaintes contre les juifs de Dangolsheim furent enregistrées durant les années 1550 à, 1554. Nous lisons par exemple dans un document, la réponse donnée par le sous-bailli à son chef l'Electeur palatin: "qu'il veut être débarrassé de ses juifs", car "ils sont pernicieux et ruinent le commerce du village, beaucoup de biens leur ont été donnés en gage par des habitants". Sur, ce, l'Electeur, en homme prudent et équitable, avant de prendre une décision ou donner son accord, lui demande des détails ; il le prie de lui indiquer le nombre exact de juifs du village, combien ils paient de droits de protection et s'ils ont tous leur autorisation deséjour, et, si oui, établie par quelle autorité.
Dans sa réponse, le sous-bailli confirme sa précédente demande :  "qu'il est nécessaire pour la tranquillité des habitants et la vie de la commune, que les juifs soient expulsés. Ils sont au nombre de quarante répartis en sept familles."
S'apercevant que les menaces d'expulsion contre eux semblent devenir réelles, les juifs adressent une requête aux autorités supérieures et ils joignent à leur supplique copie de la fameuse lettre-privilège (signée par l'Empereur Charles-Quint en 1530 et confirmée en 1548) par laquelle "défense est faite de troubler les juifs dans le ressort de l'Empire". On avait, en outre, joint à la demande un état détaillé des sommes que la population devait encore pour des prêts consentis.
L'affaire prend alors de l'extension, car l'Electeur donne ordre au sous-bailli de s'adjoindre deux autres citoyens pour "examiner et liquider les dettes des juifs et faire cesser les incidents entre eux et les autres habitants afin de ramener la paix dans le village".
Le sous-bailli devra, en outre, établir un règlement prescrivant aux juifs leur comportement dans le village lors de leurs affaires avec la population et veiller à ce que le taux d'intérêts pour les prêts sur gages ne soit jamais supérieur à 5 %.
Dans son rapport du 27 août 1553, la commission instituée sur ordre de l'Electeur, rend compte qu'il y a dans le village sept familles composées de quarante-cinq individus, ils font beaucoup de tort à la population. Il conteste le montant des créances indiquées par les juifs, et signale aussi que seulement deux familles sont en ordre avec leur autorisation de séjour. En conclusion, le 12 septembre 1553, l'Electeur invite les juifs démunis de lettres de tolérance en règle de quitter la localité. Et ce ne sera que l'année suivante, en 1554, comme indiqué, qu'ils sont tous expulsés et que la population leur confisque le cimetière...
Dans un document daté du 19 mars 1552, nous lisons encore : "avis est donné par Diebold Hurst, prévôt de Dangolsheim, sur plainte contre le gendre d'Itzig, juif de Dangolsheim, détenu pour coups et blessures faites au valet dudit prévôt et demande est adressée au bailli que défense soit faite aux juifs de rester dans le village au-delà du nombre de cinq  ou six familles". La réponse du bailli (de Haguenau) est brève: Les juifs en question, de séjour irrégulier, auront à quitter Dangolsheim avant la Saint-Jean...

Les diverses menaces d'expulsion provoquèrent de sérieuses oppositions de la part des juifs, et ils ne cessèrent jamais de se défendre dans la mesure de leurs moyens légaux. Ils se fondaient, dès que des affaires similaires passèrent devant les tribunaux, sur les fameuses ordonnances de protection (dont la première avait été établie par l'Empereur Maximilian Ier et qui avait à plusieurs reprises, expressément été confirmée par son successeur Charles Quint et presque toujours, surtout devant les tribunaux impériaux, ils obtenaient ou gain de cause ou du moins un nouveau délai de tolérance. C'est encore à Josselmann, déjà cité, qu'on devait la reconnaissance, par les tribunaux, de la validité de ces ordonnances, malgré de puissantes oppositions de certains grands seigneurs.

Dans le livre de Scheid Histoire des Juifs d'Alsace, on peut lire, en ce qui concerne les juifs de Dangolsheim, divers récits, dont nous extrayons ce qui suit :

"Josselin intervint à nouveau à Dangolsheim à cause des différends entre la population et les juifs, le fils du bailli étant détenu pour voies de fait contre l'un des leurs. On laissa un court délai aux juifs pour partir du village. Sur intervention directe de Josselin à la Cour Impériale, l'Empereur Charles Quint, par ordonnance datée de Spire, donne ordre d'annuler cette menace. Mais la municipalité, très surexcitée par cette histoire de meurtre, ne veut pas se soumettre à cette décision et refuse même d'accepter le rescrit impérial.
"Le Grand Bailli de Haguenau leur fut alors imposé comme médiateur. Les habitants firent valoir que dans le temps, leurs pères avaient permis à trois ou quatre familles de s'établir parmi eux, mais par la suite d'autres juifs sont venus y habiter, sans autorisation et sans même daigner en solliciter une. Ils n'ont pas d'autorisation de séjour régulière et ne paient qu'imparfaitement les taxes de tolérance. Au lieu des quelques personnes tolérées à l'origine, il y a en ce moment onze familles sans autorisation, formant un total de quarante-cinq âmes, qui sont de trop dans la commune."
"Il aurait fallu les chasser tous" y est-il encore dit, et le rapport conclut "qu'il faut les expulser maintenant... "

Les menaces d'expulsion restèrent en effet suspendues sur les têtes des juifs de Dangolsheim aussi longtemps, sans doute, qu'ils osaient y habiter. Il faut supposer en effet qu'après chaque expulsion, ils pouvaient revenir dans le village petit à petit, après un certain délai, leur présence étant indésirable un peu partout et ne sachant d'ailleurs pas où se réfugier, beaucoup d'autres localités ayant expulsé les juifs à cette époque.

Les archives sont muettes, dans les siècles suivants, au sujet du sort de ceux qui finalement pouvaient continuer à, rester au village. Nous savons seulement que la dernière expulsion - passagère elle aussi - des juifs de Dangolsheim eut lieu peu avant la Révolution, en 1785 ou 1786. A cette époque, quelques familles seulement y habitaient encore, qui furent, pour des raisons inconnues de nous, expulsées de leurs demeures et ne trouvèrent refuge qu'en dehors du territoire de la commune, campées on ne sait où.
Sur intervention énergique du gouvernement de Louis XVI (sur ordre direct venu de Paris), la municipalité accepta de les reprendre, en exigeant de chaque chef de famille quelques sous comme taxe de protection. Mais leur séjour ne fut pas de longue durée, car une vingtaine d'années plus tard, le dernier juif tournait définitivement le dos à cette localité.

Le cimetière de Dangolsheim

Dangosheim sur une carte postale ancienne
Le cimetière de Dangolsheim, comme tant d'autres cimetières juifs de ce temps-là, n'avait été qu'un simple champ ou une prairie sis à la lisière du village, sans clôture, et longtemps, comme c'était l'usage, il fut absolument interdit d'y ériger des pierres tombales. Le cimetière - malgré les multiples menaces d'expulsions ou expulsions effectives - fut sans doute utilisé par la petite communauté durant très longtemps. Au début du 19ème siècle, tous les juifs étant partis, le cimetière fut abandonné et officiellement désaffecté en 1820.

Lorsque, vers le milieu du siècle dernier, on construisit la route qui mène de Dangolsheim vers le village voisin de Bergbieten, on trouva, lors des travaux de terrassement, à la sortie ouest du village de nombreux ossements ou squelettes. Ils furent reconnus comme étant, sans conteste, ceux de l'ancien cimetière juif. Le Consistoire du Bas-Rhin, prévenu par les autorités, se rendit acquéreur du terrain, qui fut délimité aussi bien qu'il était possible de le faire, et entouré d'une légère clôture.

Le signataire de ces lignes, dont la famille est originaire de Dangolsheim, a gardé le souvenir d'une visite qu'il avait eu l'occasion de faire à ce cimetière, en son jeune âge. C'était alors un simple champ sur lequel poussait l'herbe qu'un habitant, moyennant une légère redevance, était autorisé à couper et à utiliser. Sauf une petite clôture, fortement endommagée, aucun autre signe pour indiquer que ce terrain avait été, des siècles durant, un cimetière (aucune trace de pierre funéraire, bien entendu).

La population de Dangolsheim, tenue au courant dès le début de la découverte de ce terrain, a toujours pieusement respecté ce lieu de repos abandonné, ce qui est tout à l'honneur du village. Il se peut que ces dernières années l'oubli se soit à nouveau étendu sur cette partie de terre, les informations récentes à ce sujet nous faisant défaut.

Dernières familles juives à Dangolsheim

Lors du recensement général des juifs en 1784, on ne constate plus que la présence de trois familles au village. Selon le relevé fait à cette époque, pour le compte du gouvernement, voici ces noms :

1. Pfohlen WEYL et sa femme Jendel Löwel, avec 3 fils et 2 filles ;
2. Isaac WEYL et sa femme Sara Aron, avec 3 fils et 2 filles ;
3. Baruch WEYL et sa femme Guttel Kaan, avec 3 filles, soit, pour les trois familles, 19 individus.

En 1806, ou 1808, la dernière famille, probablement celle de Baruch Weyl, quitta définitivement Dangolsheim pour s'installer dans la commune voisine de Westhoffen, déjà siège d'une communauté importante de plus de 250 âmes.

Ainsi se vida de ses juifs ce village de Dangolsheim, où ils avaient pu habiter, avec de perpétuelles alternatives de tolérance et d'expulsions, durant quatre ou cinq siècles.

Une paisible localité

De nos jours, Dangolsheim est une paisible localité. En la traversant, on a peine à croire que durant de si longues années les juifs y subirent tant de vexations. La population s'occupe des travaux agricoles et de la culture de la vigne ; la terre calcaire de la montagne permet en effet de récolter un bon petit vin blanc. Les hommes, grands et forts, sont renommés dans la région pour leur haute taille, ce qui leur valut, autrefois, d'être incorporés dans la cavalerie lourde, surtout les cuirassiers, quelques-uns même avaient fait leur service dans les Cent-Gardes de Napoléon III, troupe d'élite fort renommée. Sous la domination allemande, les jeunes gens, justement à cause de leur haute taille, furent souvent appelés à faire partie des régiments de la garde impériale

Le visiteur qui vient à Dangolsheim,  qu'il soit juif ou autre, rencontre une population aimable et sympathique, et il est accueilli avec déférence par tous. Les personnes âgées se souviennent encore fort bien que leur village avait été habité autrefois par des juifs, et quelques très vieux vous indiquent même les maisons ayant été en son temps le domicile d'une famille juive. On a, bien entendu, oublié les événements pénibles d'autrefois. Tous les habitants savent qu'à la sortie du village se trouve le terrain "ancien cimetière des juifs" (Judenfriedhof) pour lequel, malgré le départ des derniers juifs depuis si longtemps, ils avaient toujours gardé un pieux respect.

Bibliographie :

Signé : L. W.

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