Création de la Yeshiva de Bischheim
par le Rabbin Simon SCHWARTZFUCHS

Extrait de l'Almanach du kkl Strasbourg 5751-1991


Le 9 Tichri 5547, premier octobre 1786, le Syndic Cerf Berr réunit dans la maison qu'il avait conservée à Bischheim quelques proches auxquels il annonça son intention de créer une fondation pieuse d'un montant de 175000 livres, dont les revenus seraient consacrés à l'étude sacrée, à la dotation des filles pauvres, et à la charité. Il désigna comme administrateurs de la fondation, son beau-frère le célèbre rabbin David Sintzheim, futur président du Sanhédrîn napoléonien et premier grand rabbin de France, ses quatre fils et ses trois gendres. Ces sept derniers cosignèrent l'acte de fondation le 21 Tichri suivant et s'engagèrent à mettre en oeuvre et à perpétuer tout ce qu'il prévoyait.

Cerf Berr plaça les fonds de sa fondation dans l'achat de la propriété de Tomblaine en Lorraine, qui fut hypothéquée en sa faveur. Sans doute fit-il calligraphier alors plusieurs copies de l'acte de fondation, pour les distribuer aux membres de sa famille ce qui explique que deux d'entre eux nous soient parvenus. Ils ont été résumés par M. Ginsburger dans la Revue des Etudes juives, LXXVI (1923), p. 45-57, et nous en avons donné une édition du texte hébraïque (Michaël, IV, 1976, p. 12-25). Nous publions ici la traduction du passage relatif à la création de la Yeshiva de Bischheim (p. 16-17).

Le texte hébraïque de l'acte de fondation qui est une pure merveille de style, est sans doute dû à David Sintzheim, qui devait peut-être devenir le directeur de la nouvelle yeshiva (1). Le rabbin Moise Munius semble en avoir fait partie. Celle-ci semble avoir été ouverte immédiatement, mais il ne paraît pas qu'elle ait survécu à la Terreur. Les fils de Cerf Berr dont le dévouement aux études talmudiques ne ressemblait pas à celui de leur père furent appauvris sinon ruinés par les événements révolutionnaires. En 1810 ils vendirent la propriété de Tomblaine, ce qui mit un terme à une fondation qui avait cessé d'exister bien auparavant. Ainsi disparut la yeshiva que Cerf Berr avait fondée à Bischheim.

De l'étude sacrée

Nos maîtres de sainte mémoire ont dit que trois hommes qui se réunissent pour étudier la Torah sont appelés un collège, ainsi qu'ils l'ont déduit du verset "et son collège, il l'a fondé sur terre" (Amos 9:6). Lorsqu'un tel collège existe dans le pays, la présence divine y réside (Abot de Rabbi Nathan, VIII, 4). C'est pourquoi j'ai résolu que les revenus dont j'ai déjà parlé (2) seront destinés à l'entretien de trois savants de la Loi, et j'y ai consacré les trois maisons qui se trouvent dans une cour à côté de ma maison (3) à Bischheim, à savoir les deux maisons qui s'y trouvaient déjà, et la maison que je viens d'y construire, pour qu'elles servent de Beth Hamidrash (4) et de logement pour ces trois savants. Je précise cependant que je conserverai de mon vivant la possibilité d'en faire un hospice et de remplacer ces maisons par d'autres maisons de même valeur. La propriété de ces maisons me restera donc de mon vivant, ainsi que la possibilité d'installer l'école ailleurs, ou même dans un autre pays (5) si j'en décide ainsi. Cependant si les administrateurs venaient à estimer après mon décès qu'il serait préférable d'installer l'école ailleurs ou même dans un autre pays, ils pourront le faire à condition qu'ils y consentent tous, sans qu'aucun n'y manque. Une seule opposition suffira à l'empêcher. Dans cette école on étudiera la Torah régulièrement et sans esprit de récompense. Son commerce ne s'éloignera pas de leur bouche jour et nuit. Ils célèbreront également l'office dans cette salle d'études, toute l'année, lors des fêtes et du Shabath, de même que les jours de semaine, matin et soir, ainsi que l'ont dit nos maîtres - il faut prier entre les colonnes de la maison où l'on étudie (Berakhoth 8a).

Les administrateurs mentionnés plus haut sont entrés en possession de ces trois maisons dans les formes prévues par nos maîtres de sainte mémoire pour en faire jouir la fondation du collège intégralement. Un des trois savants mentionnés sera le rabbin du Beth Hamidrash, et il devra y prêcher chaque année le Shabath de pénitence (6) et le Grand Shabath (7). Il lui sera attribué pour ses biens chaque année sur les revenus mentionnés plus haut la somme de 1500 livres. Les deux autres savants de l'école recevront, 1200 livres par an respectivement. Ces payements commenceront à partir du Nouvel An de l'année 547 du petit comput (8). Le rabbin du Beth Hamidrash recevra une somme supplémentaire de 120 livres, avec laquelle il achètera le bois et les luminaires nécessaires pour la salle d'études pour qu'elle ne soit pas froide, et qu'il y ait assez de lumière la nuit, en cas de nécessité. Le chantre du Beth Hamidrash recevra 30 livres, et en plus 450 livres pour l'entretien (9) des maisons, le vingtième (10), l'impôt et autres dépenses nécessaires : livres, etc. Ce qui restera des 450 livres sera remis aux administrateurs préposés aux dépenses et aux recettes, qui conserveront les sommes ainsi accumulées jusqu'à ce qu'ils puissent pourvoir aux dépenses d'un sage supplémentaire, en lui donnant au moins quatre ou cinq cents livres par an. Il est bien connu que les savants de la Loi sont tenus de ne pas interrompre l'étude, mais de s'y consacrer jour et nuit, ainsi que l'ont longuement exposé les livres de Moussar (11). Cela est d'autant plus vrai lorsque les savants sont entretenus et qu'ils reçoivent des fonds qui doivent leur permettre de se vouer à l'étude. Plus que d'autres, ils sont tenus de ne pas interrompre l'étude de jour et de nuit, et de ne pas s'occuper de poursuites profanes. Leur coeur doit être libéré de soucis et de préoccupations qui nuisent à l'étude. C'est pourquoi j'ai décidé que les trois savants de la Loi qui seront dans le Beth Hamidrash de Bischheim ne pourront s'occuper de rien d'autre que l'étude constante de la Torah.

Ils se conduiront ainsi: ils se réuniront le matin dans la salle d'études une demi-heure après l'office, et, étudieront d'une manière approfondie un chapitre de la Mishna (12). Ils réciteront ensuite un Yehi Rotson (13) pour moi. Ensuite ils étudieront le Talmud avec la plus grande subtilité, selon le choix fait par le rabbin du Beth Hamidrash. Je désire en effet que le rabbin dirige les deux autres. Ils se plieront à ses décisions en ce qui concerne l'ordre de l'étude. Ils étudieront jusqu'à midi qui est l'heure du repas. Ils iront chez eux jusqu'à deux heures, et reviendront ensuite, et étudieront les codes jusqu'à l'heure de la prière de Min'ha en été et jusqu'à huit heures du soir en hiver, qui est le début de la nuit. J'ai également décidé qu'aussi longtemps que je vivrai, je pourrai toujours décider qui seront les pensionnaires du Beth Hamidrash, et que - Dieu nous en garde - s'il se produisait que l'un d'entre eux ne se conduise pas comme il convient, et ne se livre pas entièrement à ses études, je serai en droit de l'écarter et de le remplacer par un autre. Les administrateurs déjà mentionnés prendront toutes les dispositions nécessaires pour cette école, et s'assureront, les yeux ouverts, et dans une sainte intention, que tout s'y passe bien, ainsi que je l'ai désiré et pensé. Cependant, aussi longtemps que je serai en vie, on n'y fera rien, petit ou grand, sans que je le sache. Après mon décès, ils surveilleront pieusement les affaires de l'école, le choix des pensionnaires de l'école. Les administrateurs décideront à la majorité des voix. Ils choisiront pieusement les pensionnaires de l'école, de sorte qu'ils choisissent justement des hommes d'une grande science talmudique, connaissant les codes, aptes à trancher des problèmes de loi, acharnés à l'étude et libres depuis leur enfance de tout mauvais renom.

Ils seront autorisés à les chasser s'ils ne se conduisent pas bien. Au cas où un de mes parents, ou un parent de feu ma femme Youtelé, ou un parent de ma femme Henlé puisse-t-elle vivre longtemps (14), serait connu ou réputé pour les qualités et vertus mentionnées plus haut, il sera préféré à tout homme qui n'est pas de ma famille. S'il n'est pas pourvu de ces qualités il faudra chercher un sage qui les réunira et qui sera digne de cette faveur. J'ai également prévu qu'aussi longtemps que je resterai en vie, moi ou mes fils pourrons augmenter le nombre des pensionnaires. Je pourrai et ils pourront augmenter le capital de cette fondation, et distribuer aux surnuméraires ses revenus supplémentaires. Par contre ils ne pourront pas augmenter leur nombre ni diminuer ce qui leur a été accordé dans l'état actuel de ma fondation.

Que D., qui dans l'abondance de sa miséricorde et de sa grâce nous a élus et nous a donné sa sainte Loi, accorde sa faveur à cette fondation pour qu'elle ne s'écroule jamais jusqu'à la reconstruction de l'établissement de Sion. Amen Selah.

Notes :
  1. Yeshiva: Ecole talmudique supérieure    Retour au texte.
  2. Les revenus de Tomblaine.    Retour au texte.
  3. Il n'y avait donc pas renoncé lors de son départ définitif pour Strasbourg 1771.    Retour au texte.
  4. Beth Hamidrash : Maison d'étude.    Retour au texte.
  5. Pays signifie en fait Province.    Retour au texte.
  6. Dans le texte: Shabath Techouvah ! - Shabath Shouva : Shabath de pénitence ; Shabath précédant Yom Kippour.    Retour au texte.
  7. Grand Shabath (Shabath Hagadol): Shabath précédant la fête de Pessah (Pâque).    Retour au texte.
  8. Donc 547 = 1786.    Retour au texte.
  9. Réparation dans l'original.    Retour au texte.
  10. Impôt d'Ancien Régime sur les biens-fonds.    Retour au texte.
  11. Moussar: Enseignement de morale, d'éthique - ne pas confondre avec le mouvement de Moussar qui est postérieur.    Retour au texte.
  12. Mishna : Codification de la Loi orale entreprise au 2ème siècle de notre ère par Rabbi Yehuda Hanassi.    Retour au texte.
  13. Yehi Rotson : Ces deux mots - soit la volonté de... - introduisent des prières de circonstance.    Retour au texte.
  14. Il est bien connu que Cerf Berr s'était marié en première noces avec Julie Abraham qui mourut assez jeune. Il se remaria avec une veuve Hana Ratisbonne, qui est la mère d'une famille bien connue, en 1784.    Retour au texte.


Synagogue
précédente
Synagogue
suivante
synagogues Judaisme alsacien Accueil
© A . S . I . J . A .