La déportation des enfants

Offegschtànde, màddàm Glopfhàmmer,
hitzedàas ésch’s einfàch nemmi scheen,
do owe uff dr weld. Ajoo, isch weiss,
au schun én frihere zitte
henn d’àlde litt àn fühle bàckezähn gelétte. Ah, sans raison sévit
férocement la vie -
elle étrangle ravie
l’espoir qui l’a servie...
Em letschde kriesch, züem beischpièl
saawe se mièr emool, màddàm Glopfhàmmer,
wu sénn denn àlli die bérschtle
dort iwerààl ànnegschleppt worre? -
Ay d’Juddebièwle uff Auschwitz,
uff Belse’nodder uff Maidanek,
un d’Kréschtebièwle uff Tàmboff :
e jeder schteckt ém en àndere n’eck. (...) Jetz màche n’ièhr schnell noch e kritz
do dréwwer, - un redde mr vun ebbs ànderscht
Em läwe gehts hàlt immer zunderscht zéwerscht !
S’hett àwer ém dood un ém dreck
e jeder àrmer dropf
sin aje blätzel gfunde :
ém morsche sumpf dort drunde,
ém enge knocheloch wu’s méfftzt ;
odder glisch owwenüss
flàmmeroot ém rauch
uff de wollike himmelwärts gflöje,
durisch de dunkle mensche-rüess,
bis hooch dorde neruff
wu d’scheene schdernle ém gràntz
luschdi um de moond erum flàckere,
un fièhre métnànd
ém tàkt
dr ewisch gaischderdàntz...
Pour parler franc, Dame Marthe-au-Pilon,
avouons qu’aujourd’hui la vie en ce bas-monde
n’est plus belle du tout. Certes, je m’en souviens,
même aux siècles anciens
les vieilles gens souffraient déjà de dents pourries... Ah, sans raison sévit
férocement la vie -
elle étrangle ravie
l’espoir qui l’a servie!
Un exemple probant, choisi entre beaucoup :
dans la dernière guerre, dites-moi donc jusqu’où
nos pauvres jouvenceaux n’ont pas dû s’égailler ?
Les petits Juifs, - en balade à Auschwitz,
à Belsen ou à Maïdanek, -
les petits chrétiens à Tambov :
on a beau les chercher, chacun
niche dans un autre coin ! (...) Mais effaçons tout ça d'un grand signe de croix,
et parlons d'autre chose.
L'existence, aujourd'hui, est sens dessus dessous !
Dans la mort, nonobstant, - parmi les immondices, -
chaque humble créature a trouvé à la fin
une petite place, invisible, mais sûre...
En bas, dans les marais peuplés de moisissure,
au fond d'un trou étroit plein d'ossements qui purent ;
ou bien, dardant soudain vers le haut leur regard,
avec l'aile des flammes qui bat dans la fumée,
sur un nuage ils volent droit au firmament -
à travers la suie grasse des chairs d’enfants qui brûlent :
Toujours plus haut, là-bas,
où les jolies étoiles qui sont nouées en tresse
comme un grand diadème fait de perles sans prix,
flambent joyeusement à l’entour de la lune,
et mènent sans cesse,
en cadence,
l’aveugle danse
posthume des esprits...

Extrait de Les orties noires, Flammarion 1982 pp. 26-29

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