Au bout de quel pays vous êtes-vous perdus ?

Mét wellem schbeede nààchtschnellzugg
sénn’r métnànd verloore gànge ?
Dr bàhnschtaaj hinder Nirjetswôo
ésch éieri dunkli draam-schtàtzion.
Wu sénn, àm end, iehr àlli ànnekumme ?
Dr Vayhinger Schüll un dr Dommàss Fritzel,
dr Moschel Filipp un de Widemànn Schorschel,
dr Heymànn Robbes, dr Ühry Bièrel,
un zegààr noch der àrem Bawwer Edwärel ?
Isch rüef éisch àlli geduldi bi nàmme,
biss dàss sich endli ièrix ebbs muckst...
Herr jeh, àlli unsri büewe sénn elend jung umkomme,
én demm verflüechte kriesch !
Jetz hängge mr scheen unsri fäahne erüss
fer so viel gfàlleni soldààde :
denn d’àllerbeschde kumbàne vum dood
sénn àldi schüelkameràde.
(...)
Au bout de quel pays vous êtes-vous perdus ?
de quel train de minuit êtes-vous descendus ?
Le quai de Nulle-Part fut votre terminus.
Mon bon Vayhinger Jules, mon Thomass Frédéric,
ce long Mochel Philippe et le Wiedemann Georges,
Heymann Robby, Uhry Léon et Uhry Pierre,
même, au bout du rôlet, ce pauvre Edouard Bauer ?
je vous appelle tous, patiemment, par vos noms :
peut-être au fond, là-bas, quelque chose remue ?
Tous nos garçons, hélas, sont à la fleur de l’âge
morts misérablement dans la maudite guerre !
Maintenant, il nous reste à sortir nos drapeaux
pour pavoiser la ville en l’honneur des victimes :
en tous lieux, les plus sûrs compagnons de la mort,
ce sont nos camarades de classe d’autrefois...
(...)
Wàss ésch denn worre üss demm zààrde kénderflaisch?
Sie hànns verschaischt, verjaajt, geblöjt un gschunde,
ké mensch hets noochhär widder emool gfunde.
Drüss én de dunkle schtroosse heert mr noch küm
e pààr verrésseni lumbe flàddere,
ém wénd un ém schnee wo d’nàsse kàtze
nààchtlàngs miôle un schnàddere.
Qu’est-elle devenue, leur tendre chair d’enfant ?
On l’a vendue, traquée, meurtrie et torturée ;
mais personne, jamais, n’a pu la retrouver.
Courant dans les rues noires, j’entends claquer encore
quelques lambeaux d’étoffe déchirés par la bise,
sous les flocons de neige où seul un chat trempé
miaule, en grelottant, tout au long de la nuit.

Extrait de Les orties noires, Flammarion 1982 p. 21

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