Cette lettre, écrite par les résidents de la maison de retraite “Rayon de Soleil” et leur animatrice, a été envoyée à Claude Vigée le 16 novembre 2000. Nous la reproduisons ici avec l'autorisation de l'écrivain.
MAISON DE RETRAITE : “RAYON DE SOLEIL”
Madame Carol SAVARIS
Cadre infirmier
29, rue Paul Weiss
67240 BISCHWILLER
Cher Claude Vigée,
C’est le 5 janvier 2000 qu’est né notre cercle de lecture ; cet
après-midi-là, Annie s’est installée au salon pendant que
nous prenions le café. Dans le bruit des tasses, les va-et-vient, le brouhaha
des conversations, elle a lu un passage de Un
panier de houblon. Petit à petit, nous avons tendu l’oreille,
avons fait cercle autour d’elle afin qu’elle s’époumone
un peu moins.
C’est ainsi qu’au fil des semaines ont défilé
clans le salon, David le cordier, Soeur Caroline et son vélo, les soeurs
Hueber et leurs poules pianistes.
Les bruits aux alentours nous sont devenus
insupportables. Nous étions alors six ou sept qui nous sommes réfugiés
dans la petite salle à manger du personnel où il a bien fallu accueillir
le marché et ses oeufs de poules noires, le Messti et ses tchouk-tchouk,
Les Iss-Kärichel sur l’Obermatt, toute la rue des pharmaciens, les
trois cinémas de notre enfance. Quand nous avons évoqué Paul
Weiss, nons étions dix. Pour le goûter chez grand-mère, il a
fallu jouer des coudes pour attraper un teewecke.
C’en était trop
! Nous partîmes dix, nous fûmes seize à nous réunir tous
les mardi après-midi dans la nouvelle salle à manger. Ouf ! Suffisait
enfin la place pour le cirque ambulant, la natation sur la Moder et sa jolie
institutrice dans son maillot de bain rose tricoté main, la fête des
Fifres et son Roi toujours fringant, la cueillette du houblon si chère
aux dames d’Oberhoffen, le chemin de l’école parsemé de
Zuckerbibblé, le temps des confitures, le tour en vélo en Terre Sainte
(qui a vu surgir un de nos comparses pédalant comme un beau diable autour
des tables de la salle à manger !).
Aujourd’hui, nous en sommes à
l’évocation du ramoneur, l’homme noir ; nous sommes si riches
de toutes ces rencontres, de toutes ces anecdotes, ces événements
dont certains d’entre nous ont été témoins, que nous voulons
vous dire merci. Dans notre panier de houblon, voilà ce que nous avons
déposé, à notre tour, pour vous l’offrir :
- C’est un bonheur d’avoir fait connaissance, de partager nos souvenirs.
- Cette heure de lecture est fascinante.
- Les souvenirs de mon enfance se réveillent.
- Nous pouvons nous changer les idées et nous sommes vraiment ensemble.
- Nous sommes réunis, nous entendons enfin autre chose, nous sommes dans un autre monde, nous nous échappons de notre chambre, nous sommes ailleurs.
- Quel plaisir pour moi qui me souviens très bien de Claude Vigée. C’était un très beau jeune homme.
- Moi, je ne sais pas lire, alors j’aime écouter.
- Moi, je ne peux plus lire.
- J’aime bien venir, je ne suis plus seule, je ne rumine plus.
- Je ne suis pas alsacien, mais mes souvenirs sont pareils.
- J’avais oublié beaucoup d’autrefois, je m’en rappelle, ça me fait du bien.
- Moi, je m’appelle Paul Claudel, alors, la lecture, j’aime ça !
- J'ai aimé “La maison des vivants”. Grâce aux photos, j’ai vraiment fait connaissance avec un écrivain.
- Claude Vigée, je n’avais pas encore lu ses livres. A présent, je lis Un panier de houblon dans ma chambre. Mais, je viens car j’aime la lecture à haute voix. Seul, je lis parfois trop vite, j’oublie des détails. La lecture à haute voix, c’est vivant.
Tous si différents, tous, si proches, grâce à. la lecture, nous sommes devenus non seulement de fidèles auditeurs, mais aussi des amis.
De temps en temps, il est vrai, nous vous faisons faux-bond du côté de chez Daudet, La Fontaine, Herrmann Hesse ou d’autres écrivains mais toujours, nous revenons à vous.
Après le plaisir de la lecture et de l’échange, nous buvons un bon café et dégustons le gâteau que notre cuisinière complice ne manque pas de nous faire. Grâce à vous, il a le goût de la petite madeleine de Proust ou plutôt celui du teewecke de notre enfance. C’est cet instant de bonheur que nous voulons partager avec vous au-delà de la distance qui nous sépare.
Un jour, peut-être, agrandirons-nous notre cercle pour que vous preniez place au milieu de nous. C’est notre rêve à tous.
Avec toute notre profonde amitié !
Les résidents du “Rayon
de Soleil” et Annie.
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