Hesped pour Claude Vigée za"l
Grand Rabbin René Gutman
Ce texte a été lu lors de l'enterrement de Claude Vigée, le 6 octobre 2020 au cimière juif de Bischwiller

Jamais, depuis l’annonce de sa disparition, le nom de Claude Vigée, né Claude André Strauss, n’aura été autant cité dans les journaux, ni son Œuvre aussi présente dans les pages littéraires. Ses titres, réunis ensemble dans les nécrologies ou les bibliographies, permettent, à celles et ceux qui ne l’ont pas connu, de découvrir la trace lumineuse, de la Nouvelle Angleterre à la rue des Marronniers, en passant par Jérusalem, qu’il laissera dans l’avenir.
Ce n’est pas le lieu de dire ici tout ce que son œuvre d’écrivain, de poète, de traducteur, de théoricien du langage, représente. Et nous remercions l’Association des Amis de l’Œuvre de Claude Vigée d’en avoir publié une remarquable synthèse, et d’avoir rappelé ses nombreux prix, dont le Grand prix de poésie de l’Académie française en 1996.
Tous ses livres qui en vérité ne forment qu’un livre, livre vivant, parlant, et où on le voit aller et venir et marcher, Claude Vigée m’aurait ici corrigé : "vagabonder" avec Evy, Evelyne Meyer za"l, "complice de toujours, dans l’extase comme dans l’errance", et dans ce va-et-vient constant, de la vie à la parole, et de la parole à la vie.
Ironie de l’Histoire, lui, qui considérait qu’être présent au monde, c’est aussi être absent du monde, éclipsé par le livre, voire incarcéré, dans l’exil de l’écrit, le voilà salué, à son insu, du cœur même de son œuvre solitaire, dans ses poèmes allant vers l’autre, vers le tout Autre, comme étant plus que juif, plus qu’alsacien, plus que français, plus qu’européen, car le voilà consacré, reconnu, il l’était déjà, comme un écrivain universel, avec, pour Terre promise où il va rejoindre les siens, dont son fils Daniel de mémoire bénie, sa terre natale : Bischwiller !
Mais écoutons son Destin du Poète ! "C’est toujours quelqu’un d’autre
Le Toi silencieux qui se parle en moi-même.
Parfois je m’arrache à l’écoute qui est prière
Et je chante en son nom dans la langue empruntée
A la bouche des morts. Pour lui en moi, pour lui,
Qui déjà me traduit dans la gorge d’autrui."

Dans son livre Délivrance du souffle, Claude Vigée nous renvoie à cette voix divine qui parlait de l’intérieur de la Tente d’Assignation, ou plutôt qui se parlait en elle-même (midabbère) : "Or quand Moïse entrait dans la Tente d’assignation pour Lui parler, il entendait la voix s’adresser à lui de dessus du propitiatoire".
Et Rachi de commenter : "middaber, comme mittdaber (au hitpaêl) : c’est comme si la voix d’Hashem se parlait à elle-même et Moïse l’écoutait."
Après la mort de Moïse, écrit Claude Vigée, la hiérarchie disparait avec lui, mais se fait alors entendre "la voix qui parle" non plus dans l’espace sacré, mais en tout homme qui écoute la voix de l’Autre, à l’intérieur de lui-même kemo Mitdabber.
Seul, ajoute-t-il, celui qui comme Moïse s’est mis au diapason muet du "respir", à l’écoute de l’inaudible, du souffle spirituel, de la neshamah de l’autre, est capable de l’entendre, mais c’est une voix "respirée" et qui n’a plus encore besoin d’être articulée en mots.
Cette écoute "au diapason de l’inaudible" permet de percevoir cette présence, d’écouter le silence, pour le faire "parler" dans le langage de l’homme.
Porte-parole de son peuple et de sa désespérance, tel le poète, Claude Vigée efface la distance temporelle d’une mémoire soumise à l’épreuve de l’altérité, de la perte, et du deuil. Toutefois il ne parle pas pour l’autre mais "il parle l’autre". Il permet, comme l’a enseigné la tradition talmudique, de restituer le souffle vital aux morts, en répétant leurs paroles selon la formule "sefatave dovevoth bakéver", "ses lèvres murmurent dans la tombe".
Interrogation de l’Autre, recherche de l’Autre, recherche se dédiant en poème, dans le fait de donner, dans l’un pour l’autre.
Pour Claude Vigée, c’est sûr, et jusqu’à son dernier souffle, le poème aura été l’acte spirituel par excellence
Yehi zikhro baroukh ! Que son souvenir soit une bénédiction !

Hommage de Jean-Luc NETZER
Maire de Bischwiller

Aujourd’hui Bischwiller est meurtrie et pleure la disparition de Claude Vigée. A la veille de de ses 100 ans, il est et restera un ami, un confident, un exemple, un guide.
A travers ses oeuvres poétiques nous partageons son amour pour sa terre de naissance, cette ville qui se perd dans le Ried, et c’est dans cette ville qu’il a vécu la souffrance de la déchirure. Dans la Lune d'hiver, Claude Vigée partage avec nous son vécu et sa vision du monde à partir de son expérience de vie qui va de la deuxième guerre mondiale à la guerre des six jours ; c'est-à-dire, pour le Juif français d'Alsace qu'il était, la fuite du nazisme, l'exil aux Etats-Unis, puis l'installation en Israël.
Lors de chaque échange avec lui, Il me rappelait son affection pour cette ville où il est né et où désormais il va revenir pour reposer en paix. L’exil a fait de lui un citoyen du monde, toujours à l’écoute de l’autre, partageant ses convictions humanistes. La dignité de ce grand homme se trouvait dans le partage, l’amour de la vie et la fraternité. La paix et le bien vivre ensemble se nourrissent de la fraternité, en ces temps troubles, tachés par la négation de notre prochain, où l’antisémitisme se répand et se renforce. Le message d’espoir de Claude Vigée nous accompagne et guide notre esprit pour construire un monde meilleur.
Il est de notre devoir de faire vivre la pensée humaniste de Claude Vigée forgée dans le creuset de sa vie, dans cette ville de Bischwiller. Le printemps prochain nous donnera l’occasion de célébrer la profondeur de la pensée de Claude Vigée à travers des événements qui nous permettront de mieux connaître son œuvre, sa pensée et sa grandeur d’âme.
Son absence nous affecte profondément, mais il reste vivant à travers son esprit qui reste à jamais présent dans son œuvre.

Claude VIGÉE ז"ל
par Freddy RAPHAËL
extrait de ECHOS-UNIR n° 310, décembre 2020

Pour Claude, ces mots et cette mélodie ("nigoun") que nous eûmes en partage.

J’ai eu le "zekhouth", le mérite indu, de pouvoir joindre Claude au téléphone trois jours avant sa mort. Il se sentait très diminué, épuisé. Je lui ai redit combien il comptait pour nous, que nous avions besoin de lui : "Tiens bon, malgré tout ! Résiste ! Accroche-toi !". "C’est ce que je fais" me répondit-il. Mais si nous avons pu nous rejoindre, c’est avant tout parce que nous avons échangé quelques mots en yiddish-alsacien, ces mots de passe qui établissaient une complicité entre nous, et qui le tiraient de sa torpeur. Ce furent ses dernières paroles, ou presque. Car, comme à l’accoutumée, il ajouta, en alsacien : "Ish gib d’r e geuter shmuts" ("Je te donne un gros baiser").

La parole rédemptrice de l’oubli et de l’exil
C’est en tant que jeune boursier Fulbright que je me suis inscrit en 1950 à l’université Brandeis aux États-Unis, pour rejoindre Claude Vigée. Il était alors à la tête du Département des Études Romanes. Je n’étais guère fortuné. Aussi, sans nuire à mes études de littérature américaine, de philosophie et de psychologie, il m’aida en me demandant de surveiller les devoirs de français de ses enfants. Si, durant l’été indien, il me fit découvrir les arbres flamboyants qui enchâssaient Walden Pond, l’étang et la cabane où Thoreau,   le philosophe du panthéisme mystique, avait trouvé refuge, nos échanges dans l’immensité de la forêt convoquaient l’Alsace lointaine.
La parole présente, en dialecte et en yiddish- alsacien, répare les brisures du temps et les fractures de l’exil. "Malgré la parole de la nuit, l'éclair du ressac courant sur le sable ose défier le jeu fatal du refus. Le passage du vent d'aube, à travers l'écume marine, suffit pour insuffler à notre royaume en miettes la ligne, la luminosité fragile que restituent parfois les mots chantés, enchantés, à la réalité défunte des êtres" (1).

L’invention de la parole singulière
Pour Claude Vigée, c’est dans l’enfance, au commencement d’une vie, que les gens, les mots et les choses acquièrent "une acuité de sens, une intensité de présence, un rayonnement interne" (2) singuliers.
En absorbant les mots de ses proches, l’enfant se construit lui-même (3). Il découvre et accepte l’autre, dans sa proximité mais aussi dans sa différence ; il recueille au plus profond de lui "la terre, le vent, l'eau, le ciel, la forêt, la pierre ou la brique des maisons, le pain, les fleurs, les fruits, les animaux." C'est en les nommant qu'il les reçoit en partage, que se structure en chaque personne le visage innommable mais défini de son propre univers" (4).
Lorsque Claude Vigée entreprit de restituer le monde évanoui de son enfance (5), les mots d’autrefois furent ses outils. "A mesure que mon âme se mettait à vibrer, comme jadis, au contact de leur musique fugace ; le miracle, s'il eût lieu, est dû à l'écoute de la mélodie quotidienne enfouie au cœur de ces paroles."  C’est "l’idée musicale" qui le guide. " L’échelle sonore du langage" est au centre du kaléidoscope du monde bariolé d’autrefois.
Des perceptions et des paroles subsistent en nous depuis nos expériences premières. Leur "survivance obstinée" montre combien elles ont contribué à façonner notre personnalité d’adulte. Pour Claude Vigée, "la révélation de la réalité du monde comme celle de l'âme singulière qui la percevait pour la première fois" (6)  s’est effectuée à travers le double héritage de l’alsacien et du yiddish- alsacien.
Cette langue drue lui fut transmise, dans son adolescence, par son grand-père maternel, Léopold. Ce Juif campagnard, athlétique et salace avait dû s’exiler de son village, dont la Communauté juive s’était effritée à la fin du siècle dernier, pour rejoindre la bourgeoisie respectable de Bischwiller. Le yiddish-alsacien que parlaient les arrière-grands-parents de Claude "véhiculaient non seulement les données du commerce ou de la cuisine juive, mais aussi celle des rapports intimes, de la fête, de la tristesse, ainsi que les éléments de la moquerie la plus féroce" (7). Cette langue fut enterrée vive par leurs descendants embourgeoisés, qui n’y avaient recours que dans des circonstances où l’on ne pouvait pas se contrôler, "les grandes joies, les grandes peurs, les fous rires, les événements extraordinaires" (8). Elle servait à dire les choses les plus tendres ... ou les plus scabreuses.

Le nigoun, la mélodie, au cœur de notre élan pour le lendemain
Un nigoun ("e neguen") est enclos à jamais, selon Claude Vigée, à l’intérieur de la parole de notre première enfance. Le poète respecte et chérit cette mélodie. "Je lui fais honneur, j'éprouve avec joie chaque mot, chaque syllabe, chaque vibration spontanée du langage qui me provient de mes ascendants. En nous faisant accéder au monde de la chair et du temps, ils ont également fait germer en nous - si nous le méritons, si nous le désirons -, à travers l'humble langue instrumentale de chaque jour, cette haute musique muette" (9). Une petite mélodie soutient l’édifice entier de la parole articulée que nous ont légués nos prédécesseurs.
Honorer ces derniers, c’est assurer à notre tour la transmission de cette parole, mortelle certes, mais qui témoigne de la transcendance. Claude Vigée cite Rabbi Nahman de Bratslav, qui enseigne à ses disciples que "rien ne fortifie l’âme autant que les nigounim, les mélodies de la maison paternelle"

Merci Claude pour avoir su, par-delà l’exil et l’errance, accueillir la vie et la transmettre en une créativité continuée.
Merci Claude pour nous avoir enseigné que notre nigoun  natal, qui a survécu en nous malgré notre enfance déchiquetée, nous aide encore à "aborder au rivage d’un lendemain inconnu". Il participe à notre effort pour fissurer le roc de l’indifférence, du désordre inhospitalier et de "la méchanceté opaque" (10). "Parfois je crois surprendre un écho dans l'oreille de ces mots murmurés, que des voix de jadis, depuis longtemps perdues, disaient presque en silence"  (11).

1. Vigée, Claude, Un panier de houblon, T1, J.C.Lattès Paris, 1994, p. 13
2. Vigée, Claude, Dans le silence de l’Aleph, Albin Michel, Paris, 1992, p. 149
3. Ibid.
4. Ibid.
5. Vigée, Claude, Un panier de houblon, T2, J.C.Lattès, Paris, 1994 /1995
6. Ibid.
  7. Vigée, Claude, Le parfum et la cendre, Grasset, Paris, 1984, p. 65
8. Ibid.
9. Vigée, Claude, Dans le silence de l’Aleph, Op.lit. p. 160
10. Ibid., p. 162
11. Ibid.

Rencontres avec Claude Vigée ז"ל
par Barbara Weill
extrait de ECHOS-UNIR n° 310, décembre 2020

Lorsque  Claude et Evy Vigée m'invitaient à prendre le thé dans leur appartement de  Jérusalem, il me fallait gravir cinq étages qui pour monter si haut, si près du ciel qu'il appelait son bureau "ma lucarne aux étoiles". Dès qu'on entrait chez eux on se trouvait dans un autre monde, celui de la culture et de la spiritualité. Un jour, je les ai trouvés tous deux assis, de gros livres sur leurs genoux : ils avaient entrepris de lire toute  la correspondance de Voltaire!

Claude Vigée était une personnalité éminente, ancien professeur, grand prix de l'Académie française, poète et écrivain bien connu, mais son abord était simple, cordial et même affectueux. Dès que Michel Rothé lui a parlé de la création de notre site internet sur le judaïsme d'Alsace et de Lorraine, il s'est enthousiasmé pour le projet. Après avoir choisi les extraits de ses œuvres qui devaient figurer sur le site, il est allé les photocopier lui-même,  et me les a remis au cours de rencontres  où il me parlait longuement de ses projets littéraires. Il s'est prêté de bonne grâce à notre proposition de lui faire enregistrer certains de ses poèmes, et s'est beaucoup amusé à nous réciter sa Lettre au cousin Abraham dans l'Etat des Vaches en judéo-alsacien, l'un de ses écrits les plus humoristiques.

Claude Vigée adorait Jérusalem, où il était arrivé presque par hasard : enseignant de français à l'Université Brandeis de Boston, il s'était vu proposer une chaire de littérature à l'Université hébraïque de Jérusalem, et il avait accepté sans hésiter. Il ne s'était jamais senti à sa place aux USA , où avait émigré en 1943, bien qu'il y ait amorcé une brillante carrière. Il était donc heureux, à l'âge de quarante ans, de se retrouver sur les bancs de l'école, au côté de son fils, pour apprendre avec lui sa "langue maternelle". "à Jérusalem, le quotidien prend un autre sens, car, autour de nous, sous nos pas, dans les nuages, c'est la Jérusalem d'en haut qui se laisse entrevoir. Elle n'est pas seulement perçue dans le rayonnement de l'éther, mais aussi dans la roche sur laquelle Jérusalem est bâtie, comme une couronne sertie dans la montagne. Cette roche porte en elle un flamboiement caché, auquel répond la lumière céleste. Et nous sommes littéralement pris entre ces deux mondes." (1). Son enseignement avait créé une petite révolution sur le Mont Scopus : pour la première fois les étudiants entendaient parler de Baudelaire, de Jules Supervielle, d' Yves Bonnefoy, de Camus et même de Freud et de Kafka par la voix d'un poète, et ils en gardèrent un souvenir inoubliable, attesté par de nombreux témoignages.
L'installation en Israël c'est aussi l'occasion d'approfondir la connaissance de ce judaïsme, qui avait toujours été présent dans sa pensée. Sans savoir encore qu'il allait produire toute une œuvre, le jeune Claude Strauss, face à la menace nazie,  avait déjà choisi son nom de plume pendant la guerre, en se fondant sur un verset des Psaumes (18:17) "je ne mourrai pas, mais je vivrai", qu'il avait traduit par  "vie j'ai", et qu'il avait écrit "Vigée"… Dès 1950 son premier ouvrage, La lutte avec l'ange, évoquait le personnage de Jacob. Mais à présent, en pleine possession de la langue hébraïque, il va étudier sérieusement les thèmes de la Tradition, en suivant régulièrement les cours de Manitou avec l'humilité du néophyte qu'il n'est pas.  Il consacrera  deux principaux ouvrages à la pensée juive:  Dans le silence de l'Aleph - la vie spirituelle et l'expérience de la révélation à la lumière du texte biblique (2) ; et  Les puits d'eaux vives, une série d'entretiens avec Victor Malka, dans lesquelles il procède à une analyse les cinq Meguiloth (3). Mais l'ensemble de son œuvre est imprégné par le judaïsme.

Puis vient l'âge de la retraite, et sa vie se partage désormais entre Jérusalem et Paris. S'ouvre alors une période d'intense créativité : poésie, essais, entretiens, chaque année voit surgir un nouvel ouvrage. En 1984, il fait paraître Schwarzi Sengessle,  Les orties noires, un long poème en vers libres, rédigé  d’une seule traite en langue alsacienne, qu'il traduit lui-même en français (4).  Il s'agit d'un monument élevé à son parler natal, mais c'est aussi un travail de deuil  pour ses amis d'enfance emportés entre 1940 et 1945. Cette parution l'impose comme un poète alsacien, et sera suivie de plusieurs recueils de poèmes également écrits dans sa langue natale.
Mais ce qui le fait connaître au grand public, c'est son autobiographie, Un panier de houblon, en deux tomes épais (5).
Dans le premier, La verte enfance du monde, il décrit son enfance à Bischwiller, où il parle chez lui l'alsacien, sa première langue, avant d'apprendre  le français à l’école. Le dialecte alsacien, tout comme la psalmodie biblique que lui a enseigné le 'hazan Reb Abraham,  constituent dès son plus jeune âge le mode d’appréhension de sa vie intérieure. "Je suis un Juif alsacien; donc doublement Juif et doublement Alsacien. Je me reconnais tous les jours des traits de caractère alsaciens : l'obstination au travail, l'humour par-delà les interdits assimilés inconsciemment. Des traits de caractère juifs aussi : et avant tout cette joie sans raison goûtée chaque jour dans la vie, quand il n'y a vraiment pas de quoi !..." (6) Ce resourcement lui  vaudra un grand succès à travers l'Alsace, et en l'an 2000 il viendra inaugurer le Centre culturel Claude-Vigée à Bischwiller. " … Sur le site où est implanté ce centre culturel, je jouais comme enfant dans le jardin de l'usine de mon oncle et futur beau-père. Que cette belle réalisation devienne un "lieu de vie", de rencontre, assurant à chacun son développement, son humain… qu'elle devienne en cette fin de siècle où un avenir incertain nous attend, un foyer vivant où règne le souffle intime de mes souvenirs", dira-t-il lors de la cérémonie.

Notre  dernière rencontre, c'était dans son appartement parisien, peu après le décès d'Evy, la femme de sa vie qu'il aimait depuis l'âge de huit ans. En l'absence de son épouse, le salon paraissait bien vide. "Au jardin public du Ranelagh, (…) cet arbre printanier solitaire, qui n'est que floraison folle, sans feuilles ni bourgeons, n'est-ce pas Evy elle-même, un être de printemps, fait de primesaut et de lumière semée sans limites aux frontières terrestres, projeté tout entier vers le ciel qu'il serre dans ses bras ?" Ecrasé de douleur, il m'a pourtant reçue chaleureusement, jouant à sa place de rôle de la maîtresse de maison, et m'a offert l'anthologie complète de ses œuvres poétiques, Mon heure sur la terre - Poésies complètes 1936-2007 (7) qui venait de paraître, et pour laquelle il a reçu la Bourse Goncourt de la Poésie. Dans la solitude de ses dernières années, il a tenu à publier un petit livre à la mémoire de celle qu'il avait tant aimée, Chants de l'absence (8).

Claude Vigée ne fréquentait pas les synagogues, mais se considérait avant tout comme un Juif. La plus grande partie de sa vie s'est déroulée en dehors de l'Alsace, mais il a toujours conservé la nostalgie de sa province. C'est peut-être cette tension entre son destin personnel et les lieux de ses origines qui lui a permis de créer une œuvre originale, en toute liberté. Comme il se plaisait à le rappeler, il n'était "qu'un poète".

1. Jérusalem - Sang, pierre et lumière, Extrait de la revue Autrement, Hors série numéro 4 - Octobre 1983
2. Albin Michel, 1992
3. Albin Michel, 1993
4. Flammarion, 1984 - réédition Ed. Oberlin 2001
  5. J.-C. Lattès, 1994 et 1995
6. Les orties noires, Flammarion 1982, pp. 95-96
7. Galaade Editions, Collection "Le siècle des poètes", 2008
8. Menard Press, Londres, 2007 (bilingue français anglais)


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