L'armoire d'Evy

Les jeunes morts d'hier soir
se souviennent-ils encore
des vivants d'aujourd'hui ?
Leurs âmes sont de grands yeux blancs
qui, comme les aveugles, ne voient plus que du noir.

Souvent je vais rôder dans la chambre d'Evy,
seule par son ombre chérie
elle est maintenant habitée ;
j'ouvre un moment, comme hors du temps,
dans cet espace vide, par le silence hanté,
son armoire aux habits
pleine encore de ses choses qui portent son odeur,
mais sont depuis longtemps par elle désertées :
les robes d'été, si légères,
et les lourds manteaux de l'hiver.

Ici, déjà, sans bruit, s'est glissée son absence :
comment pourrai-je, demain, en faire ma demeure ?
Venu je ne sais d'où, un coup de vent soudain
fait vaciller dans l'ombre les longues rangées en deuil :
alors je ferme avec lenteur les portes de la penderie.

Mais demain je devrai lutter sans défaillir
contre les mites voraces, aux fines ailes soyeuses,
qui mangent nuit et jour, tout au fond de l'armoire,
la douce laine de la mémoire.

Paris, le 16 février 2007,
veille des Sheloshim - un mois après la mort d'Evy.

(La tradition veut qu'un mois après la mort du défunt, on allume une veilleuse qui brûle vingt-quatre heures. Le cycle lunaire s'inscrit sous le signe du renouvellement.)
Signe de vie

Après la sombre mise en terre,
j'ai retrouvé au fond du porte-monnaie vide
cinq billets de métro
tout neufs, - couleur bleu ciel -, en trop :
le dernier signe d'Evy, au retour du cimetière?

17 février 2007, au soir

Ces poèmes ont paru dans la Revue Temporel n°3


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