Poèmes
d'André Spire

Au Peuple
Oh ! N'inventons plus de système !
J'écrivais
Le Messie
Ma barbe n'était pas encore blanche
Écoute, Israël
Exode
Poussières
Rides
Matin
Il y a
Personne
Des Ordres
Retour
Novembre
Possession
Henriette
Anémones
Mots
Dans le lambris
Tu diras plus tard
Miettes
Non !
Tu ne me parles plus, Loire

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anémones

ANÉMONES, petites danseuses,
Ici et là sur nos tables,
Vous dansez vos petits ballets.

Petites danseuses aux pieds coupés,
Dans les facettes de nos vases
Vous dansez vos danses dépendantes.

Sur l'air instable de nos chambres
Vous réglez vos lentes cadences,
Poudrées de vos pollens violets.

Hors de l'ombre qui vous oppresse
Vous étirez vos révérences,
Vos langueurs lavandes, vos deuils mauves.

V ous tendez vos tailles esclaves
De nos tables vers nos fenêtres
Buttées contre le brouillard blanc.

Le brouillard givré, mer muette,
Où flotte le soleil cerise
Qui vous meut et ne vous voit pas.

A sa course oblique accordées
Vous couvrez sa chute tragique
De l'hymne de vos vols blessés.

Et, dans sa mourante lumière,
Vous vous écroulez, une à une,
Parmi vos soies épandues.

(Fournisseurs, 1923)


mots

QUE j'aimerais chanter pour toi
Si je te sentais digne du chant!
Mais qui es-tu?
Jeune homme en flanelle blanche,
Jeune fille allante, cassante,
Le carquois de vos clubs dressé
Au dos de vos chaises longues?
Qui êtes-vous, fils, petits-fils?

Enfants des hommes rouges, carrés,
Au parler bref, aux cheveux rudes,
Qui pâlirent le sang des autres,
Sous vos peaux massées, polies,
Votre sang va et vient sans hâte,
Nourri, gonflé du sang des autres.

Rose des joues, rouge des lèvres,
Ondes, flou des cheveux soignés,
Ongles vernis, linge impeccable,
Tous volés à ces corps pâles,
Et cette heure aussi, surprise,
Où vous enlacez vos mains blanches
Sur mon livre ouvert entre vous.

Jeune fille aux yeux d'acier,
Garçon rasé au menton mince,
Le soir est tiède, le ciel se cuivre.
Vos lèvres désirent vos lèvres.
Et vos bouches voudraient des mots
Un peu moins courts, un peu moins simples
Que ceux du golf et du tennis.

Ces mots lourds, ces mots chargés
De temps, de paysages, de lumière,
Qui ouvrent, ensemencent les cœurs
Et les jumellent et les mêlent.
Mais sur qui avez-vous pleuré?
Qu'avez-vous rêvé de sauver?

Un monde est mort.
Des mondes naissent.
Vous fumez des cigarettes
Dans les halls des grands hôtels.
Vous parcourez le Daily Mail,
Le New York, le Paris-Adresses.
Vous allez choisir des chaussettes,
Des bas de soie,
Et vous dansez.
Puis vous dormez.
Vos nuits sont bonnes.

Et, ce soir, il vous faut ces mots,
Chargés de cris et de larmes,
Et de rires et de baisers.
Ces mots tâtés, pétris, pesés,
Nourris par d'autres,
Il vous les faut!

Il vous les faut! Tout vous est dû!
Coupez mes pages!
Épelez, lisez, essayez
Si, chantés pour d'autres,
Ces mots, sur vos bouches aussi,
Voudront chanter,

Fils!
Petits-fils!
Fleuris, gantés du sang des autres!

(Poèmes de Loire, 1929)


dans le lambris

PATATA! Patata!
Galopade dans le lambris;
Galopade, grignotis!
Est-ce le rat ou la souris ?

Est-ce le rat ou la souris ?
Écoute, écoute, mon homme !
Est-ce le rat ou la souris ?
La bonne femme tremble dans son lit.

Les gravats tombent comme pluie.
Grignotis, dégringolis ?
Est-ce le rat ou la souris ?
La femme est debout sur son lit.

Dégringolis sur le tapis,
Sur le fourneau, le pain, les fruits,
La femme devant la souris
Galope en chemise de nuit.

La femme devant la souris,
Hi-hi! Hi-hi !
Hi-hi-hi! Hi-hi-hi !
Au secours, mon homme endormi !

En liquette, en bigoudis,
Ziguezague devant la souris.
Les meubles dégringolent.
Éveille-toi, mon homme, mon homme !

Va-t' faire foute, mon homme qui rit!

(Instants, 1936.)

tu diras plus tard :
J' ai eu une servante noire.
Oui, mesdemoiselles !
Car je suis née en Amérique
Quand en Europe Il y avait un tigre
Et pas mal de chacals derrière lui.

Tu leur diras :
J'avais une servante noire.
Pas une métis de blanc.
Peut-être un peu de jaune

Avec un angle facial très aigu.
Sur la tête, des cheveux plats et lisses,
Coiffés en tiare, luisants d'huile.
Et quand elle passait dans le soleil
Parmi ses mèches
Vibraient toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.

Nous faisions des culbutes sur la pelouse.
Oui, comme moi elle se courbait,
Posait sa tête dans l'herbe
Et patapouf!
Et quand je lui grimpais sur le ventre
C'étaient des rires gloussés,
Des fusées, des cascades,
Et j'en sentais sauter chaque saccade sur ma peau.

Elle parlait aux plats dans la cuisine,
A la râpe, aux pots, aux bouteilles,
Et tout cela remuait sous ses paumes roses,
Et se rangeait dans les armoires
Comme sous les passes d'un enchanteur.
Et mon verre et mon bol
S'élevaient vers ma bouche boudeuse,
Et le sommeil,
Sur mes yeux qui ne voulaient pas se piquer,
Descendait dans son roucoulement et son sourire
Comme des lèvres de tous les anges du Paradis.

Et pourquoi n'aurait-elle pas un sourire d'ange
La face d'une servante noire?

(Poèmes d'ici et de là-bas, 1944)

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