Salomon PICARD
1896 - 1983
par Robert WEYL


PICARD, Charles jules Salomon, pour l'état-civil, plus connu sous le nom de Schlomo Picard, est né le 13 décembre 1896 à Grussenheim dans le Haut-Rhin. Il était le fils d'Emile Picard (1863-1915). La famille Picard était originaire de Riedwihr et vint s'installer à Horbourg en 1723. Son père, Emile Picard, s'intéressait déjà à l'histoire du judaïsme d'Alsace, car il fut membre du bureau de la  Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine, presque à sa création, en 1905. Schlomo Picard avait des frères et sœur auxquels il était très attaché, ainsi qu'à toute sa famille, mais lui-même ne fut jamais marié. Il fréquenta durant huit années le lycée de Colmar et il devait entrer le 1er  août 1914 dans l'Oberprima.

A la déclaration de guerre, il quitta l'école pour devancer l'appel. Cet intermède militaire fut de courte durée.
Enrôlé comme infirmier dans l'infirmerie de forteresse de Strasbourg (Festungslazaret), il fut peu de temps après reconnu inapte au service militaire, Kriegsverwendungsunfähig, et renvoyé dans ses foyers.

Dès la rentrée universitaire, en novembre 1914, il s'inscrivit à l'institut de mathématiques de la Faculté des sciences à Strasbourg.
Ainsi il fit huit semestres, soit quatre années d'études, portant sur le calcul différentiel et intégral, l'analyse géométrique des surfaces et des volumes, la physique expérimentale, l'algèbre, la géométrie descriptive, la théorie des nombres, l'optique, la botanique et la zoologie. Dans ce programme rigoureux menant directement au Staatsexamen, à la licence de sciences, on trouve quelques bizarreries, comme l'histoire de la philosophie et une introduction à l'étude de la langue turque. En 1816, on lui avait imposé un examen qualifié de Zeugoiss der Reife qu'il dut passer au lycée de Colmar. Le grec, les mathématiques et la physique lui valurent la note bien, le latin, l'allemand et le français étaient jugés passables. La plus mauvaise note, ce futur historien du judaïsme d'Alsace l'obtint en histoire et géographie, nicht genügend.

En 1918 Schlomo Picard eut des problèmes de santé et ses médecins l'envoyèrent se reposer en Suisse. Les photographies que nous conservons de lui de cette époque sont celles d'un jeune homme robuste et sportif. A son retour de Suisse, il trouva une convocation à se présenter le 28 juin 1920 à la Faculté des sciences. Sa situation était la suivante. Réintégré de plein droit dans la nationalité française, il s'agissait de savoir si on pouvait lui valider ses quatre années passées à la Faculté des sciences et lui donner son Staatsexamen, l'équivalent de la licence. L'examen portait sur les mathématiques, la physique, la botanique et la zoologie. Secondairement sur la philosophie et l'allemand. Ce contrôle des connaissances se fit en une matinée. Nous ignorons ce qui se passa. Mais il est probable que Salomon Picard échoua.

Il ne voulut pas recommencer ses études et dès le 1er  août 1920, nous le trouvons dans la banque A. Crornback de Strasbourg. Il devait y travailler jusqu'en 1925. Après quoi nous le retrouvons travaillant dans des entreprises de fruits et primeurs en gros, Jules Schick, Jacques Schwob, et enfin Maurice Picard. En 1933 il passa un modeste certificat de teneur de livres, l'année suivante le diplôme de comptable et enfin, en 1938, il prêta serment comme expert comptable.

En 1940, l'entreprise Maurice Picard se replia sur Tain l'Hermitage dans la Drôme, et Salomon Picard accompagné de sa mère suivit le mouvement, Il semble que l'entreprise put continuer à travailler sans trop de problèmes. Salomon Picard laissa quelques notes sur les heures émouvantes de la Libération, écrites dans l'émotion de l'évènement. Salomon Picard remonta à Colmar, trouva un emploi chez Jacques Schwob, toujours dans les fruits et légumes, et ce jusqu'en 1957.

A ce moment la communauté israélite de Colmar était à la recherche d'un secrétaire comptable. Elle l'engagea, et il exerça ces fonctions du 1er  janvier 1958 jusqu'au 31 août 1968, lorsqu'il prit sa retraite. Ce fut un tournant dans son existence. Sorti de ses fruits et primeurs, il eut l'occasion de compulser des archives et de fréquenter des archivistes et des historiens. Il devint un chercheur assidu des Archives départementales du Haut-Rhin et des Archives municipales de Colmar. De nature timide et effacée, Salomon Picard publia très peu.

Fortement encouragé par le grand rabbin Joseph Bloch, lui aussi originaire de Grussenheim, ils publièrent ensemble une petit ouvrage Grussenheim communauté juive disparue, paru en 1960,
L'exemplaire de Salomon Picard se trouve aujourd'hui entre nos mains. Les marges sont couvertes d'annotations de sa petite écriture si difficile à lire, et montrent l'insatisfaction de ce chercheur infatigable.

Il s'intéressa aussi au jeddischdaitsch, au judéo-alsacien. Son ouvrage Des mots d'origine hébraïque ou araméenne du judéo-alsacien parlé au début du  siècle à Grussenheim, manuscrit vu et complété par Joseph Bloch en 1964, parut en photocopie en une trentaine d'exemplaires qu'il envoya à ses amis (1970).

En 1972 il écrivit  Remarques sur l'état civil des Juifs de Haute Alsace entre 1784 et 1799. Le manuscrit ne fut pas imprimé mais fut déposé sous forme de photocopies dans diverses bibliothèques, comme la Jewish National and University Library of Jerusalem.
En 1975, dans la Revue des sciences sociales de la France de l'Est, et en collaboration avec Freddy Raphaël, il décrivit la Coupe de la Hevra ka-Kavranim, la coupe en argent de la confrérie des Enterreurs de Colmar.

Mais l'œuvre maîtresse de Salomon Picard demeure le répertoire de tous les contrats de mariage juifs déposés auprès des notaires royaux et des Stadtschreiber de Haute-Alsace de 1701 jusqu'à la Révolution. Le manuscrit comprend deux parties: la première est un répertoire par notariat, la seconde, un répertoire par nom de famille. C'est un important travail destiné à rendre d'immenses services à tous ceux qui font de la recherche généalogique, et prêt à être déposé chez un imprimeur. Mais à sa modestie, à sa timidité naturelle venait s'ajouter le poids des ans. Schlomo Picard était trop vieux pour courir les éditeurs. Généreusement, il déposa un exemplaire dactylographié aux Archives départementales du Haut-Rhin, un autre au Cercle généalogique d'Alsace, il enverra un exemplaire au Dr Cohen, directeur des Archives centrales à Jérusalem, un autre encore à Moché Catane. Il proposa le manuscrit au Leon Jacek Institut à New-York, mais dans sa naïveté, Salomon Picard pensa qu'il pourrait leur demander quelques dollars qui lui paieraient ses frais. Le Leon Baeck Institut envoya un de ses correspondants examiner le manuscrit. Sans doute l'avis de celui-ci fut négatif, car l'affaire n'eut pas de suite.

Au cours de la dernière année de sa vie, j'avais entretenu une correspondance suivie avec lui. J'avais commencé mes tables chronologiques des rabbins de la campagne alsacienne et je l'avais prié de m'aider pour le Haut-Rhin, ce qu'il fit bien volontiers.
J'ai par la suite confronté notre travail commun avec le résultat des recherches faites dans le même domaine par André Aron Fraenckel.
Ces tables chronologiques ont été publiées dans l'Encyclopédie d'Alsace, dans son volume 10, sous notre triple signature, André Aron Fraenckel, Salomon Picard et Robert Weyl.

Il avait été oblige de quitter son logement de Colmar, et il ne l'avait fait qu'à regret. Il se retira dans la maison de retraite de Pfastatt au cours de l'été 1982. Il avait emporté ses importantes archives ce qui lui permettait de continuer à travailler et à répondre à ses correspondants. Il mourut le 8 novembre 1983. Il avait exprimé la volonté que ses archives soient remises après sa mort à notre Société. Je ne suis entré en possession de ces archives qu'en novembre 1985, deux années après sa mort. Je regrette ce retard, car certaines de ses notes m'auraient bien été utiles pour certaines notices fournies à l'Encylcopédie d'Alsace.

Les Archives Salomon Picard, je les ai classées provisoirement après en avoir pris connaissance, pièce par pièce, document après document. Elles présentent un volume d'environ un mètre cube. Sa correspondance n'est pas la partie la moins intéressante. Elle est presque toujours à sens unique. Le correspondant pose des questions et Salomon Picard répond. Quelques fois le correspondant publie, sans donner ses sources.

Son penchant pour les sciences exactes, les mathématiques, la physique, la botanique avaient fait de Salomon Picard un chercheur d'une grande probité intellectuelle. Il était aussi un homme serviable d'une grande gentillesse, et de ce fait, il se faisait exploiter. Il le savait, car sa gentillesse ne l'avait pas aveuglé au point d'en perdre le sens critique.
Salomon Picard était pris d'une peur panique lorsqu'il devait parler en public, et, il le disait lui-même, il n'avait pas de talent pour écrire.

Il avait essayé de mettre en forme une histoire de la Ville de Paille, un sujet qui l'intéressait vivement, et j'ai retrouvé son essai. Puis, en 1974, il écrivit à Gilbert Cahen, archiviste départemental à Metz, pour lui offrir toute la documentation s'il voulait bien publier l'histoire de cette ville. Gilbert Cahen déclina l'offre, n'étant pas véritablement intéressé par l'Alsace, et il se dirigea sur Georges Weill. Il existe une abondante correspondance entre Salomon Picard et Georges Weill, archiviste des Hauts-de-Seine, mais l'histoire de la Ville de Paille est à peine effleurée.


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