Marguerite KLEIN
Extrait de Souviens-toi d'Amalec, par Shimon Hammel (Chameau)


Peu de jours après la Libération, j’ai reçu la lettre suivante :

"Mes chers amis,
Je vous apporte le dernier message de Samy et je suis sûre qu’il est un réconfort pour vous tous qui l’avez aimé et qui le regrettez. Nous sommes allés sur les lieux de sa mort tragique. Il faut quitter la grand’route et monter un chemin caillouteux. C’est là, dans un coin de campagne paisible, au bord du chemin, le long d’un champ, que l’on a retrouvé son corps. Sans doute, alors, ce champ était-il couvert d’une riche moisson. Il y a plus de deux mois de cela et le voilà tout labouré, prêt pour une nouvelle semence. N’est-ce pas là un symbole ? La riche récolte qu’il avait amassée en lui pour nous, nous l’avons perdue en le perdant, mais si cette perte nous touche au plus profond de nous- mêmes, ne nous prépare-t-elle pas par là même au dur travail qui nous attend ? Les difficultés sont faites pour nous donner la joie de les vaincre. Ayons le courage".
                                        signé : MARGUERITE

MARGUERITE

Marguerite Klein
marguerite Klein
Ce texte précède, en guise d’exergue, le dernier message de son mari le rabbin Samy Klein : il témoigne d’un courage extraordinaire, je dirais presque d’une sérénité surhumaine. Je suis d’autant plus ému en le relisant que Marguerite nous a quittés à son tour, peu de jours avant la rédaction de cette monographie, prête pourtant dans ma pensée depuis des années et des années. Nous avons tenu compte des recommandations de Marguerite, mais le résultat n’est ni facile, ni impeccable. La vie de Marguerite, à partir de ce vendredi 7juillet 1944, où son mari a été fusillé par les Allemands par contre, sera celle d’une héroïne : héroïsme tout particulier, discret – pour ne pas dire secret – résolu, extraordinaire. Elle élèvera, seule, ses deux filles, elle exercera sa profession de médecin, elle dirigera une maison d’enfants de l’O.S.E., elle participera au Mouvement des Eclaireurs Israélites de France. Pendant des années, elle en dirigera la branche féminine.

Tout cela dans le calme, sans publicité, avec assurance, comme s’il était naturel qu’une femme seule ne s’écroule pas sous tant de graves responsabilités.

Marguerite est soutenue par une foi inébranlable et par le souvenir de celui qui n’a partagé sa vie que pendant trois ans. Cette double fidélité qui, en fait, n’en est qu’une, caractérise cette vie toute de dévouement et de sacrifices. Son poste de médecin de l’Hygiène Scolaire lui ménage beaucoup de vacances. Elle va « se reposer » soit chez sa fille en France, soit chez celle qui s’est installée en Israël. Pour cette dernière, surtout, la présence de sa mère est une bénédiction. Elle peut dételer un peu, alors que Marguerite se chargera des travaux du ménage, envahi d’enfants.

Elle ne s’accorde pas un jour pour aller voir ses amis. Il faut aller à Bné Brak, pour la rencontrer.

Pendant nos dernières rencontres à Strasbourg, à part l’évocation des souvenirs liés à la personne de Samy, Marguerite me parlera des problèmes rencontrés au cours de son travail de médecin des écoles : L’usage des drogues l’inquiète au plus haut point. Ses préoccupations maternelles s’étendent à tous ceux qui se confiaient à elle.

Marguerite n’a pas choisi au hasard sa profession, s’identifiant à son père, médecin lui aussi, à la forte personnalité, et pilier de la communauté orthodoxe de la Rue Cadet. Le docteur Salomon Klein refusera de quitter Paris, ses malades et sa communauté pendant l’Occupation, et portera fièrement l’étoile jaune imposée par les nazis. Sa femme contractera une infection grave en aidant son mari. Marguerite dépose au Consulat de Suisse à Lyon une demande de visite à sa mère, soignée dans un hôpital de Zurich. La réponse sera aussi laconique qu’inhumaine : « Unerwüncht » (Indésirable). Madame Klein, affaiblie par les restrictions, succombera sans avoir revu les siens. Les relations postales avec la Suisse sont coupées et Marguerite n’apprend le décès de sa mère qu’après plusieurs semaines. Je revois Samy, déjeunant avec moi à la Soupe Populaire de Lyon, se dresser, blême, pour dire la formule traditionnelle : "Barou’h Dayane Emeth" (Béni soit le Juge équitable), en apprenant la nouvelle.

APRES-GUERRE

Le dernier message de Samy et l’amour qu’il exprime guideront Marguerite jusqu’à sa mort. Grâce à eux, son veuvage ne sera ni une totale solitude ni, d’ailleurs, une affliction passive. Marguerite alliera la fidélité aux dernières volontés de son mari à une sérénité remarquable. Jamais, au grand jamais, la moindre plainte ne passera ses lèvres.

Dans l’immédiat après-guerre, Marguerite se mettra à la disposition des oeuvres d’accueil. D’abord, une maison pour jeunes D.P., improvisée de toutes pièces par le Service Social des Jeunes des E.I.F, à Montreuil. A la liquidation de ce centre, elle acceptera une proposition de l’O.S.E. : diriger, à Versailles, un foyer pour jeunes filles.

Quittant le domaine de l’éducation, Marguerite revient à ses premières amours, la médecine, exercée comme médecin d’Hygiène Scolaire à Paris, puis à Mulhouse, à Colmar et finalement à Strasbourg. Elle envisage sa retraite et son installation en Israël, lorsqu’un cancer se déclarera. Sa fille Annie-Rose arrivera avec son bébé nouveau-né peu de jours avant la fin. Marguerite lui a caché son mal pour ne pas lui causer de soucis pendant les derniers mois de sa grossesse.

Présidente des E.I. F Pendant de longues années, Marguerite est le porte-parole de Samy auprès des instances dirigeantes du Mouvement, d’abord comme Commissaire de la Branche Féminine, comme Présidente du Mouvement, ensuite. A la Fédération Française des Eclaireuses (F.F.E.), elle représente les Eclaireuses Israélites, son action dépassant de beaucoup cette simple représentation. Pendant l’après-guerre, années qui seront aussi celles de « l’après antisémitisme officiel », il faudra que les Juifs soient représentés par une personne sûre d’elle et qui sache de quoi elle parle.


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