L’action de Samy
Extrait de Souviens-toi d'Amalec, par Shimon Hammel (Chameau)


Après avoir transmis le message de Samy, ai-je besoin de parler de sa conception de la vie en général et de la vie juive en particulier ? Tout est clair, explicite et tout est prévu. Dans ce qui suit, je me contenterai de raconter l’action de mon ami.
Des circonstances providentielles m’ont permis de conserver un bon nombre de lettre et d’articles écrits, après la Débâcle, par Samy. Je peux donc le faire parler lui-même ce qui vaut mieux que toute analyse.

Vichy, 24.9.1940 – Compte-Rendu d’Activité (Dernière semaine de septembre).
1 – Le recensement des jeunes continue de façon assez satisfaisante.
2 – Le premier cycle d’un cercle d’études fait en collaboration avec des non-éclaireurs fonctionne depuis dimanche soir. Ce cycle a pour thème général : "Judaïsme 1940" et doit se terminer fin octobre.
3 – Après les fêtes, soit le 25 octobre prochain, nous disposerons d’un local permanent mis à notre disposition par la communauté de Vichy.
4 – P. centralisera sans délai toute l’activité éclaireuse. Est prévue la création d’une section et d’une envolée.
5 – Le mouvement E.I.F est admis dorénavant à bénéficier des dons faits à la synagogue.

Il faut remarquer la date de ce rapport, adressé au Commissaire Provincial par quelqu’un ayant fait ses premiers pas dans le scoutisme dix semaines auparavant !

Samy Klein à la veillée du 15 chevath 1941
Veillee du 15 chevath
D’une des premières circulaires pour les chefs E.I.F. (la feuille portant la date a été mangée par les rats d’Ein Hanatsiv) :
"... Un mot encore : L’application de cet idéal E.I.F. exigera de ta part des privations et des sacrifices. En effet certaines heures que tu aurais voulu consacrer à la promenade ou au farniente, il faudra les donner à l’étude ; un jour par semaine, tu devras te délasser ; en général ta liberté sera limitée par la législation juive. Mais quelqu’un qui veut être Chef, et qui plus est, Chef E.I., doit savoir se priver et sacrifier à la sacro-sainte liberté des philosophes. En se privant, au lieu de s’appauvrir, on s’enrichit. "C’est à cet enrichissement, qu’en fin de compte, je te convie".

D’une circulaire sur les offices religieux émanant du Centre de Documentation E.I.F. (non-datée)
La Prière
"... Dans nos synagogues, sur le frontispice de l’Armoire Sainte, figure cette exhortation : "Sache devant qui tu te trouves". Il suffit, pour bien prier, d’avoir constamment cette phrase présente à l’esprit, car si la forme extérieure de nos Psaumes et de nos bénédictions n’est pas négligeable, c’est quand même, en fin de compte, l’esprit dont ils sont animés par nous qui leur donne tout leur sens. Cet esprit doit être de simplicité et de sérieux, parfois convient-il d’y ajouter quelque solennité, la ferveur toujours. Mais avant tout, il est nécessaire de comprendre les prières, qui sont les seules choses au monde qu’un homme, même cultivé, arrive à dire ou à chanter sans y comprendre un traître mot. Une fois que l’on les aura comprises, chacun pourra les imprégner de sa propre personnalité, suivant son état d’âme, ce qui donnera aux prières le cachet d’originalité dont elles ont tant besoin".

LES FETES JUIVES

Une lettre, datée de Lyon, le 13 janvier1942, demande:
1 – Les quantités de matsa qui sont nécessaires au Groupe Rural, en vous basant sur l’effectif actuel. Il faut donner 1.250 grammes de tickets pour un kilo de matsa.
2 – La quantité de farine de matsa (même quantité de tickets).
3 – Le montant de la somme que tu payes pour ton pain pendant 9 jours. Le Consistoire a, l’an dernier, demandé aux centres E.I. de payer ce prix pour les matsoth".

Le centre de documentation E.I.F. a publié une monographie sur Chavouoth. Au choix des textes, on sent la main de Samy. Il dit à propos des trois jours de préparation à la fête :
"Aujourd’hui, on se contente de mentionner ces journées sur le calendrier et personne n’y prête plus aucune attention. Or, cheftaine, chef, éclaireuse aînée et routier, je voudrais que tu les remettes, toi au moins à l’honneur. Consacre ces 72heures à la méditation sur les problèmes qui viennent de t’être exposés (la documentation se rapporte à l’acceptation de la Thora au Sinaï, les Dix Commandements, la Loi Orale, l’"inchronisme" du témoignage d’Israël) ; demande-toi si tu as accompli le serment fait par tes ancêtres ; réfléchis à la façon dont tu peux l’accomplir. Songe que le Décalogue, qui fut promulgué du haut du Sinaï à moins d’un million d’hommes, a été en partie adopté par l’Univers tout entier et que les enfants de ceux qui le reçurent n’y sont pas toujours restés fidèles. Tu en tireras les conclusions pour ta pensée et pour tes actes. Trois jours de réflexion par an sur un sujet vital, ce n’est pas trop et suffit peut-être à t’éclairer pour le restant de tes jours. "Après, tu pourras peut-être célébrer en Chavouoth ta propre "Révélation".

Le 14 mars 1943, Samy nous envoie ses voeux pour la fête :
"Pessa’h, chez vous autres "terriens" doit avoir une saveur toute spéciale, la même qu’a, en cette époque, la nature dont le refleurissement est dû, en partie, à votre travail, le reste étant dû à Dieu".

Une page du journal "Sois chic" édité à Lautrec. Ici sous la plume d'Ecureuil (Jacques Weill)
Le chantier rural de Lautrec édite "Sois Chic", qui s’intitule fièrement "Journal des Groupes Ruraux" et paraît dactylographié en une seule frappe de huit exemplaires, circulant d’un groupe à l’autre (il n’y a pas de papier !). Le rédacteur en est Léo Cohn, et "l’imprimeur", Liliane Marx. Dans le numéro consacré au Nouvel An des Arbres, nous lisons, sous la plume de Samy :
"Libi, libi, libi bamizra’h Vaano’hi beto’h ma’arav... (Mon coeur, mon coeur, mon coeur est en Orient Mais moi je suis rivé au sol de l’Occident). "... C’est la grande pitié de la galouth. Nous croyons par des images traduites en gestes, nous transporter d’un coup, à travers temps et espace, dans le Pays où nos Pères vécurent heureux. Mais presque toujours ces images restent inanimées précisément parce que nous nous contentons de gestes. "... Dans ce sens, le Nouvel An des Arbres sera, cette année plus pénible encore que les années précédentes... L’exil est double à ton âme d’agriculteur juif. "... Or nous savons avec certitude – et nous le sentons davantage le 15 Chevath – que bientôt Dieu renouvellera le miracle annuel du retour de la sève. "Ce miracle naturel... Je voudrais que nous le transposions cette fois sur le plan du Temps. Songe que sous peu, "un jour dans notre vie le printemps refleurira" (1) , dans le vrai sens de ces mots... Vois déjà les arbres et les fruits que tu travailleras demain dans ton village ou en Erets...".
Quelques indices dans le texte qui précède, et en particulier dans le "double exil", font penser qu’il a été écrit pour ceux qui vivaient dans de petits centres épars après l’éclatement de Lautrec et se préparaient pour le maquis ou la traversée des Pyrénées.

(1) Chant de forçats allemands, devenu le "Chant des Déportés".

LA BIBLE

Très peu d’entre nous savaient suffisamment d’hébreu pour comprendre les textes des prières, voire ceux de la Bible ; Samy recommandait dans ces circonstances de se servir d’une traduction. Pour ceux qui voyageaient beaucoup, une Bible en hébreu eut été d’ailleurs très compromettante. Le 28 février 1943, Samy m’offrit la traduction de Segond (traduction protestante) imprimée en Suisse en 1942. Il y a écrit ce passage des Pirké Avoth "Ce livre, tourne-le et retourne-le, car tout s’y trouve...".

L’aumônerie générale des E.I.F. éditait périodiquement, à l’usage des chefs, le calendrier des sections sabbatiques. Dans un de ces bulletins, nous lisons :
"Même si tu ignores l’hébreu ou que tu ne possèdes pas de Bible en hébreu, te voilà donc capable, cheftaine et chef, d’utiliser la Bible au moins une fois par semaine, pour toi-même et pour ton unité. Une telle étude hebdomadaire est indispensable à ta formation et à celle de tes éclaireurs. En attendant que tu saches assez d’hébreu pour te retrouver dans un Houmach (Pentateuque), – puisse cet instant n’être pas trop lointain ! – tu te reporteras à ces circulaires...
Après un exposé détaillé sur la prière, Samy dit aux chefs : "Si nous sommes d’accord, nous adopterons pour la prière la formule que voici : Perfectionnons constamment notre prière pour être perfectionnés par elle".

RAPPORTS ENTRE HOMMES ET FEMMES

Dans les collectivités E.I.F. les adolescents des deux sexes vivent, travaillent et méditent en commun. Séparés de leur milieu naturel, la famille, ils échappent au contrôle et au soutien de ce milieu. De plus, la tension due aux dangers de l’époque, – rafles, antisémitisme, hostilité de ceux que l’on a pris pour des amis – exacerbent l’instinct de conservation, le besoin d’affection et rapprochent ceux qui évoluent "en vase clos". Rien d’étonnant que dans nos collectivités et dans les équipes de travail le problème des rapports entre les deux sexes se soit posé.

Le Mouvement a entrepris, depuis un certain temps, de publier sous le titre Etudes, des monographies sur certains domaines de l’éducation juive. Son numéro VIII était consacré aux rapports entre l’homme et la femme. L’article écrit par Samy, parle de "l’aspect religieux de la question des rapports entre hommes et femmes". J’en extrais un passage caractéristique.
"Sur le plan moral, toutes les qualités devant entourer la vie sexuelle se résument dans le mot de pureté. Pur de pensée et de coeur doivent être ceux ou celles qui vont au mariage, car l’acte sexuel, loin d’être un divertissement futile, est un acte sacré placé, comme toutes les mitsvoth, sous le signe de Dieu. "Dans le même ordre d’idées, pour l’homme, la femme ne saurait être un jouet ou un être inférieur destiné à son délassement physique, mais une compagne égale qui l’aide à créer la vie. "D’autre part, la pureté implique que l’on ne considère pas l’acte sexuel comme une sorte de péché... "Il apparaît que la pureté sexuelle, qui conditionne toutes les autres, est le fondement de toute morale religieuse et, plus particulièrment, de celle du judaïsme.

"... La Bible et le Talmud nous donnent maints exemples. D’une part, les auteurs sacrés évitent soigneusement toute expression choquante, d’autre part, ils abordent toutes les questions – aussi bien dans le récit que dans l’énoncé des lois – directement et avec sérénité... Les enfants qui, depuis l’âge de onze ans, étudient dans le Talmud les prescriptions relatives à la pureté, le font avec une parfaite égalité d’humeur. Seuls les esprits déformés par notre éducation moderne peuvent voir dans le Cantique des Cantiques un chant scabreux à "ne pas mettre entre les mains des jeunes filles". Toutes les citations précédentes seront appréciées à leur vraie valeur si on tient compte de deux facteurs : Primo, la position de départ de Samy : Issu d’un milieu de très stricte observance, il se libérera des intolérances de ce milieu et, en même temps, se mettra à la portée de ceux qu’il a charge de conseiller et de guider. Secundo, les niveaux moral, familial et social de l’époque qui sont foncièrement différents de ceux d’aujourd’hui, dont la dégradation a débuté dès la fin de la guerre, dégradation qui ira en s’amplifiant.

EXIGENCES MORALES

On sait que Samy a demandé à Marc Haguenau de se marier malgré les dangers de l’époque, cette raison n’étant pas suffisante pour repousser l’accomplissement d’une mitsva.

Autre exemple : Théo, le frère de Marguerite, a participé à un coup de main de jeunes résistants contre le local d’une organisation pro-nazie donc antisémite. Le local sera mis à sac et comme les collaborateurs ne manquent de rien, les résistants se sont partagé les denrées rationnées qui s’y trouvent à profusion. Théo rapporte à sa soeur des bougies de cire, article rare, et il faut mille expédients pour que les femmes juives puissent allumer les lumières du vendredi soir dans leurs foyers. Samy, revenu comme c’était son habitude, passer le Shabath dans sa famille, s’informe de l’origine des bougies. En apprenant leur provenance, il entre dans une violente colère. Pour lui, ces bougies sont volées, et le produit d’un vol ne peut en aucune façon servir à l’accomplissement d’une mitsva, d’un acte religieux.


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