Rencontre avec Astrid RUFF
Alain Kahn
novembre 2018


photo © A. Jérôme Dorkel
Astrid RUFF est une personnalité bien connue en Alsace, et bien au-delà, par ses multiples activités particulièrement dans les domaines du yiddish, du théâtre, du chant, de la danse et de la littérature…

Quelles sont vos attaches avec l’Alsace ? Astrid RUFF : Je suis née en 1952 à Casablanca au Maroc dans une famille juive ashkenaze et nous avons rejoint Strasbourg dès 1960 car une partie de ma famille vivait dans la région et plus particulièrement à Ittenheim. Mon père était d’origine alsacienne et ma mère d’origine allemande dont la famille venait de Galicie. C’est donc dans ce cocon familial que j’ai découvert le yiddish au travers notamment des chants que me fredonnait ma mère. Mais ce n’était pas la langue qu’on parlait à la maison : ma mère parlait allemand avec ses parents, français avec nous.

Comment s’est développé cet attachement au yiddish ? A.R. : J’étais séduite par ce langage si chaleureux et j’ai pu l’approfondir en l’étudiant avec Rafaël Goldwaser avec lequel nous avons fondé en 1992 le "LufTeater", le "Théâtre en l’Air". Les pièces présentées sont tirées du répertoire traditionnel yiddish ou sont des créations originales comme celles qu’écrit ma sœur Doris Eengel alias Annette Fern . En 1993 la pièce Nous sommes tous des juifs alsaciens a connu un franc succès car elle met avec humour l’accent sur tout ce que représente le judaïsme alsacien par son histoire et sa culture. Avec Annette j’anime chaque semaine une émission sur Radio Judaïca sur l’actualité du Yiddish en France, en Alsace et dans le monde en présentant des disques ou des livres permettant de mieux le faire connaître.

Comment votre passion pour le chant s’exprime-t-elle ? A.R. : De 1997 à 2002, nous avions créé avec Isabelle MARX le groupe les YiddisheMamas et Papas dont la notoriété dépassait largement les frontières de la région mais le groupe s’est séparé peu après le drame de la tornade qui avait frappé le parc du Château de Pourtalès en juillet 2001 en plein spectacle. Avec ce groupe, nous avons enregistré deux CD.
J’ai également enregistré deux autres CD en solo, accompagnée par Yves Weyh à l’accordéon et Tchatcho Helmstetter au violon. J’ai plus tard créé le groupe Klezmanouche avec Yves, Tchatcho et Engé Helmstetter, son frère. Nous avons également enregistré un CD et fait de nombreux concerts en Alsace.
En 2012, j’ai créé la chorale "Lomirzingen !" (chantons !) qui interprète le répertoire yiddish. Nous montons chaque année un concert-spectacle sur une thématique : le ‘hassidisme, l’Amérique, le mariage juif …
Le dernier spectacle s’intitule Les aventures d’un paysan juif : c’est une adaptation du roman de Israël Yoshua Singer, appelé Willy. Il raconte l’aventure d’un paysan juif qui quitte son shtetl, son villagede Pologne, pour rejoindre l’Amérique.
Le groupe se produit à la Choucrouterie, le célèbre cabaret dialectal de Roger Siffer, lors de la Fête de la Musique le 21 juin de chaque année.
Je cherche toujours à faire ainsi découvrir la beauté du chant yiddish. Il y a une mode actuellement pour la musique klezmer, ce mot vient de l'association des mots hébreux kley "instrument de musique" (de l’hébreu "kéli") et zemer, "chant, mélodie". C’est une musique à la fois nostalgique et entrainante ! Mais la chanson yiddish a une autre histoire.
À propos de musique klezmer, j’ai également organisé des "bals klezmer" où les participants dansaient sur cette musique, qui ont eu beaucoup de succès !

Vous aimez aussi l’écriture ? A.R. : Oui, bien sûr, et avec mon mari, Pierre Kretz, écrivain lui-même, nous avons écrit en 2010 pour les Editions First L’Alsace pour les Nuls qui a connu un grand succès puisqu’il s’est vendu à plus de 10 000 exemplaires, ce fut une expérience extraordinaire et particulièrement enrichissante. Il s’agissait d’un exercice de vulgarisation pour le grand public, afin de mieux faire connaître l’Alsace et l’identité alsacienne. Peu de temps après nous avons co-écrit L’Alsace Secrète aux Editions Tana dans une collection de beaux livres sur les régions. Dans un autre registre, pour en revenir au yiddish, j’ai traduit du yiddish, avec ma sœur, un ensemble de nouvelles de Sholem Aleykhem que nous avons intitulé : Au fil des fêtes.

Vous avez également écrit une pièce de théâtre sur votre regrettée mère ? AR : Oui, nous avons voulu lui rendre hommage en racontant la belle relation que nous avions avec elle, une relation qui s’est encore renforcée lorsqu’elle a été atteinte de la maladie d’Alzheimer. La pièce s’intitule Autour d’Elle. A partir de notes que j’avais prises au fur et à mesure que la maladie progressait, nous avons voulu faire entendre la voix de "Didi" (Edwige), pour évoquer son énergie, son optimisme, son humour, son rapport avec le judaïsme, au théâtre, à la littérature et aussi les débuts des ravages causés par la maladie, sa force et son courage ! La pièce a été présentée dans des maisons de retraite et dans des centres de formation d’infirmières. Les réactions ont été nombreuses, j’en citerai une qui trouvait que c’est une peinture très éclairante de cette maladie, autant le côté clinique que le côté émotionnel chez les proches et que la pièce constitue effectivement un bel hommage à notre mère !

Pourriez-vous nous dire quels sont vos projets à plus ou moins longue échéance ? Avec ma chorale Lomirzingen !, nous allons monter un nouveau spectacle. Il s’agira cette fois d’un cabaret franco-yiddish, avec des chansons qui existent dans les deux langues.
Nous allons aussi exporter notre dernier spectacle les Aventures d’un paysan juif à Sarrebruck et plus tard à Grenoble.
J’ai toujours le projet d’enregistrer un CD pour enfants, mais je ne sais pas quand …


Concert Klezmanouche - 2 février 2013 - La Nef, Relais culturel de Wissembourg


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