Le travail du bois
par Robert WEYL
Illustrations Robert Weyl - Martine Weyl
Extrait de Juifs en Alsace, Ed. Privat 1977

mezuzaLe travail du bois a toujours séduit les hommes. La matière première est à portée de main, et le simple couteau de poche permet de façonner des objets. On peut aisément imaginer les garçons de la famille qui, durant les longues soirées d'hiver s'affairent à tailler, creuser, sculpter le bois. Beaucoup de mezuzoth et de yadim sont nés ainsi. La facture des mezuzoth, dont nous avons déjà parlé à propos de la maison juive, est peu élaborée. Ce sont de petits blocs de bois, dans lesquels on a creusé une cavité pour y loger le parchemin, et une fenêtre par laquelle la lettre shîn peut être aperçue. Quelques incisions selon un tracé géométrique parachevaient la pièce que l'on fixait alors sur le montant droit de la porte. Il n'est pas impossible qu'il existait parallèlement un petit artisanat qui travaillait pour le scribe et dont la petite production était diffusée par les colporteurs, si nombreux en Alsace, qui vendaient des objets religieux indispensables pour la vie du Juif.

Toutes ces mezuzoth sont des œuvres simples, charmantes et sans aucune prétention. La sculpture d'un yad nécessite déjà plus de métier, pourtant, nous en avons la preuve, beaucoup de yadim étaient l'œuvre d'amateurs. On sait que l'écriture des saints rouleaux de la Tora ne doit pas entrer en contact avec la main nue. Aussi pour pouvoir suivre le texte sans risque d'erreur, le lecteur se sert d'une "main de lecture" , d'un yad (en hébreu yad veut dire "main") que les Juifs alsaciens appelaient aussi "Deiter" (en allemand deuten signifie"indiquer","désigner"). Quelle que soit sa forme, il se terminait généralement par une main à l'index tendu. On connaît des yad d'argent, d'argent doré, enrichis de corail, de jaspe, de pierres précieuses ou semi-précieuses, mais nous n'en parlerons pas ici, et ceci pour deux raisons. Tout d'abord parce que ces magnifiques pièces d'orfèvrerie sortaient d'ateliers chrétiens, et que nous nous intéressons uniquement à ce que d'humbles mains juives ont réussi à faire ; ensuite ces objets de luxe devaient être assez rares en Alsace. Combien plus émouvant, ce yad en bois de tilleul provenant d'Uffholz ou d'Uffheim dans la Haute Alsace, et portant cette inscription :"Moi, l'humble Meir, fils d'Abraham d'Uffa - il convient d'être silencieux pendant la lecture de la Tora - fait et écrit le vendredi 25 nisan 5586 (= 1826)". Ce yad venait remplacer un autre en mauvais état, que le même Meir fils d'Abraham avait façonné en 1819. A la date près, l'inscription est identique.

Certains de ces yadim ont été fortement influencés par l'art populaire alsacien.

yad
Témoin, celui qui pourrait bien dater du 18ème siècle, et qui rappelle certains bois de tonneaux alsaciens. Deux serpents ailés sont liés par la queue. Le pommeau du yad sort de la gueule dentée d'un des serpents, alors qu'un bras et une main s'échappent de la gueule de l'autre serpent.
yad
Une autre pièce de notre collection est un authentique chef-d’œuvre d'art populaire. L'auteur du yad, rompant avec les habitudes, ne termine pas la tige par une main minuscule : la main occupe près du tiers, une main insolite, stylisée, audacieuse, puisque c'est le pouce exagérément allongé et opposé aux autres doigts qui sert de guide de lecture. La main est ajourée, le manche torsadé. L'ensemble est d'une grande beauté.
yad
Un autre yad présente la partie médiane à section carrée ajourée. Deux billes de bois glissent dans l'espace évidé.

Mais le plus connu de tous les objets en bois judéo-alsaciens est certainement le Magen David du Musée Alsacien de Strasbourg qui figure sur la couverture de ce volume.
Pour en expliquer la fonction, nous devons partir de très loin. La Torah interdit de sortir le Shabath un objet hors de son domicile, ou d'amener quelque chose du dehors à l'intérieur de son domicile, ou, comme s'expriment les rabbins, de transporter un objet du domaine privé dans le domaine public et réciproquement. L'interdiction de porter n'existe pas à l'intérieur du domicile. Or, en droit rabbinique, le domicile ce n'est pas l'endroit où l'on dort, mais l'endroit où l'on prend ses repas. Si tous les habitants d'une maison, d'un quartier, d'une ville prenaient leur repas sabbatique en commun, rien ne s'opposerait à ce qu'ils portent d'une habitation à une autre habitation à condition que la ville soit entourée. Et que ce repas soit symbolique ne change rien à la chose. Aussi, pour éviter que les habitants d'une agglomération, village ou ville, ne transgressent l'interdiction de porter le Shabath, on prit l'habitude de constituer un Eruv Hazerot, ce qui consiste à déposer, en un endroit accessible à tous, une nourriture symbolique, fournie par les intéressés, ou par des tiers à l'intention des intéressés.

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maguen david

Dans la pratique, on déposait à la synagogue une matza, car c'est un des aliments des plus inaltérables, à la condition d'être préservé de toute humidité. Elle peut être ainsi conservée d'une veille de Pessa'h à la veillede Pessa'h suivante. A ce moment il fallait la changer, car elle était devenue hametz. Dans la plupart des communautés on se contente de déposer la matza audessus de l'Aron ha-qodesh, de l'Armoire Sainte, ce qui nous montre une fois de plus combien dans le judaïsme sont proches le sacré et le profane, la nourriture matérielle et la nourriture spirituelle, la table et l’autel.
A Jungholz, dans la Haute Alsace, au 18ème siècle, il s'est trouvé un Juif imaginatif et aux doigts d'artiste pour créer ce porte-eruv en bois sculpté polychrome, destiné à la matza symbolique réunissant en une seule demeure toutes les demeures de Jungholz. En son centre se détache l'aigle bicéphale d'Autriche et la date, correspondant à l'année 1770. On aperçoit six petits crochets destinés à retenir la matza. Les six pointes de l'étoile sont ornées de fleurons.

A côté de cette œuvre exceptionnelle, nous trouvons en Alsace de nombreux objets en bois de qualité artistique fort inégale. Ainsi des cannes de colporteurs à la poignée ouvragée, ou bien cette lampe de Hanuka du Musée de Bâle associant le bois et la tôle, œuvre malhabile mais combien émouvante, ou encore ces " Trenderle", sorte de totons marqués de lettres hébraïques, que l'on faisait tourner pendant les soirées de Hanuka, et qui évoquent les joies simples de nos ancêtres.


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