Renée (Rina) NEHER-BERNHEIM
1922 - 2005

Rina Neher-Bernheim n'est plus...
par Marianne PICARD
Extrait de ECHOS-UNIR n° 225, février 2006


© Jacques Bronstein
 
Textes de R. Neher-Bernheim
sur le site :


Elle nous a quittés, je dirais abandonnés, un matin de Hanouka, dans sa Jérusalem qu'elle aimait tant, où elle était venu vivre avec le professeur André Neher.
Née à Paris, élevée dans un milieu bourgeois, très attachée à la France, c'est une excellente élève au Lycée Racine qui, après son baccalauréat poursuit des études de français, latin, grec.

En 1940, après la débâcle, sa famille se replie à Lyon où son père, le Docteur André Bernheim, se met à la disposition du Consistoire Central où "il fait tout son possible pour nourrir et héberger tous les réfugiés Juifs".
Rina abandonne l'Université dès 1942, rejoint les réseaux de résistance juive et participe à la recherche de "planques" pour des enfants juifs.
L'été 1942, elle s'occupe pendant trois jours sans interruption d'une centaine d'enfants juifs arrachés à la déportation et cachés dans un hangar de Lyon.

Marquée à jamais par ce qu'elle venait de vivre, dès la libération, de retour à Paris, elle s'engage à fond dans la vie communautaire juive dans le but premier de "ne pas oublier l'atmosphère des années terribles, 1939-1945, consciente que le grand drame juif échapperait aux générations nées après la tourmente". Aussi, dès 1945, à Vaux, elle participe à des cercles d'études juifs, à des cours, car elle veut absolument parfaire sa culture juive, est une disciple du Rav Osi Wallach et de Jacob Gordin.
Elle crée un journal pour enfants L'Arche de Noé ; plusieurs années plus tard, publie avec une équipe d'amis le Temps qu'on n'oublie pas, recueil, dit-elle dans sa préface, "qui n'est pas le bilan larmoyant d'un deuil affreux mais se veut débouchant sur l'avenir ".
Sa devise sera "Souviens toi de ce que t'a fait Amalek, pour marcher de l'avant sur la route plénière d'Israël".

Fin 1947, Rina Bernheim épouse André Neher qui vient de soutenir sa thèse de doctorat d'Etat.
Ce couple est admirable pour sa cohésion, son sens des responsabilités communautaires, sa volonté de faire connaître à un large public juif et non juif toutes les facettes du judaïsme.
C'est à Strasbourg, comme l'écrit le grand historien Jules Isaac, que s'élabore "l'oeuvre que bâtissent ensemble, unissant à une foi brûlante de rigoureuses méthodes scientifiques, André et Renée (Rina) Neher".
Ensemble ils écrivent L'histoire biblique du peuple d'Israël (1962) puis André Neher fait connaître le Maharal de Prague à un public universitaire tandis que Rina s'attelle à la rédaction de L'histoire juive de la Renaissance à nos jours, tout en donnant nombre de cours, conférences, sans négliger les colloques et les rencontres.

En 1948, dès l'ouverture de l'école Aquiba, elle fait partie de la première équipe de professeurs et enseigne les lettres classiques. Dans les années soixante, elle se donne corps et âme à l'accueil et l'intégration des Juifs d'Algérie. Ainsi, toute sa vie, sut-elle allier recherches intellectuelles et activités communautaires et sociales.

Après la guerre des six jours, le couple Neher monte en Israël et s'installe à Jérusalem, "la Jérusalem, c'est l'homme juif, donnant plus de sens à ce qui en possédait déjà " (dira André Neher). Rina Neher enseigne à l'Université de Jérusalem, donne des cours à l'Institut Mayanoth, sa maison est grande ouverte, elle participe à l'intégration des Juifs d'Ethiopie et de Russie.
A la mort de son mari en 1988, elle continue, comme elle le lui avait promis, à écrire, à faire des conférences et, au moment de son décès, elle avait encore plein de projets qui, malheureusement, ne se concrétiseront pas.
Nous avons perdu un guide, une grande historienne, une grande dame...

Une rencontre privilégiée
Madame Rina Neher-Bernheim za"l nous a quittés le 29 décembre 2005 (28 kislev 5766) à Jérusalem. Spécialiste de l'histoire juive, elle était l'auteur de nombreux ouvrages qui faisaient autorité dans ce domaine. Elle collaborait aussi à l'oeuvre de son mari, et elle avait participé activement à la composition de ces pages internet dédiées à la mémoire de celui-ci.
Pour évoquer sa mémoire, nous reproduisons ici une page du Dur bonheur d'être juif (pp.26-30), un dialogue entre André Neher et Victor Malka, publié aux Editions du Centurion en 1978

- Y a-t-il eu alors des signes visibles de cette maturité d'André Neher ?
- Beaucoup. Mais le plus visible, certainement, est mon mariage, trois ans plus tard, avec Renée Bernheim, en décembre 1947.

- C'est l'entrée dans votre univers d'un univers nouveau, différent, complémentaire?
- Complémentaire, bien sûr. L'avenir l'a amplement montré. Différent, non. Et c'est là le mystérieux pouvoir du tiqqoun dont vous parliez tout à l'heure.

- Vous vous connaissiez et vous vous êtes choisis parce que vous saviez qu'il y avait entre vous une affinité profonde ?
- Exactement. Renée et moi, nous nous connaissions par nos écrits longtemps avant de nous connaître personnellement. Nos fiançailles ont donc pu être rapides. Nous avons découvert que les paysages antérieurs de nos vies encore séparées étaient parsemés de points de rencontre dont nos fiançailles ont été, en quelque sorte, la confirmation.
Sur le plan personnel d'abord. Mon père est tombé gravement malade à Mahanayim, en automne 1944, et pour le soigner nous sommes allés à Lyon, où se trouvait mon beau-frère, le Dr Gaston Revel. Celui-ci a fait appel à un spécialiste, le Dr André Bernheim, le père de Renée. C'est lui qui a été au chevet de mon père durant les derniers jours d'une maladie implacable, comme médecin, mais aussi comme un ami de la dernière heure car, entre les deux hommes, il y avait énormément de choses communes, dont le médecin entretenait le malade avec une grande patience : la curiosité en toutes choses, le goût du bricolage, des antiquités, l'humour aussi, discret et délicat, l'aristocratie spirituelle et morale...

- Où était alors Renée ?
- Elle était déjà rentrée à Paris, pour ses études, précédant le retour à Paris de ses parents avec qui elle avait passé la guerre à Lyon.

- Passé la guerre, c'est un euphémisme. Tout le monde sait quelle a été l'activité exemplaire du Dr André Bernheim, au Consistoire central, à Lyon, aux côtés du président Léon Meiss et du grand rabbin Jacob Kaplan, son courage face à Vichy, ses liens avec la Résistance. J'imagine que Renée participait à tout cela.
- Elle a été engagée dans cette forme remarquable de Résistance qui consistait à sauver des enfants, à les soustraire à la Gestapo. Il fallait leur procurer des fausses cartes d'identité, trouver des familles, des institutions, parfois des couvents qui acceptent de les cacher. Seulement ce n'est pas son père directement qui a introduit Renée dans ce réseau organisé par l'OSE et les Éclaireurs israélites de France. C'est le Dr Gaston Revel.

- Votre beau-frère ?
- Et c'est ainsi que Renée a connu mon beau-frère, ma sœur Suzel, leurs enfants, bien avant d'avoir entendu mon nom.

- Et lorsqu'elle vous a rencontré, vous étiez lié à elle par des souvenirs communs qui ont été un élément de ce que vous appeliez "confirmation" dans vos fiançailles.
- Il Y a beaucoup plus. Lorsque moi, je l'ai rencontrée elle, j'ai rencontré avec elle ses parents, sa famille. Or ils sont entrés dans mon univers d'une manière quasi organique. Par leur manière de concevoir l'humain, d'abord.

- Famille pratiquante ?
- Non, plutôt " assimilée ", mais néanmoins attachée à toute la frange "universelle" que les Neher-Strauss ne séparaient pas de leur "particularisme" juif et que les Bernheim-Wellhoff puisaient dans leur "condition juive", acceptée avec lucidité et fierté. La découverte de ce judaïsme si bien décrit par Edmond Fleg dans L'enfant prophète m'a beaucoup enrichi. Lorsqu'il n'est pas caricatural, mais assumé avec sérieux, comme c'était le cas chez mes beaux-parents, il comporte en lui quelque chose de grand qui force le respect: une éthique de l'approche d'autrui; une distinction naturelle, une noblesse de la pensée inséparable de l'action. Bref, cet idéal que Renée et moi nous avons essayé de ne pas trahir, et que, par des cheminements très différents, Renée et moi avons appris, chacun, chez nos parents.

Inauguration de la Place André Neher, située à Obernai, près de la synagogue (dimanche 21 mai 2000) - © Bernard Keller
- Vous, par la Thora du Sinaï, et Renée par une sorte de thora laïque.
- Mais les Bernheim-Wellhoff sont aussi une famille d'origine alsacienne. Leurs noms figurent sur les registres des Juifs d'Alsace de 1784, sous Louis XVI, comme les nôtres. Ce sont des racines communes dans ce vieux terroir du "Trou-aux-Cigognes ", avec une différence, cependant, aussi importante que celle de l'éducation juive. Car un arrière-grand-père Bernheim a quitté l'Alsace vers 1830 déjà pour s'installer, comme seul Juif, à Guéret, en Creuse. Puis, en 1871, les grands-parents de Renée restés en Alsace ont opté pour la France. Comme jeune mariée, Renée-la-Parisienne était donc une "revenante" à Strasbourg, ramenant avec elle une "Alsace française" bien plus colorée, plus authentique, plus tricolore que la nôtre. Elle ne savait pas un mot d'allemand, ni d'alsacien, ni de judéo-alsacien, sauf quelques expressions gastronomiques conservées à Guéret ou à Paris ; mais elle en savait beaucoup plus sur l'attachement des Juifs d'Alsace à la France, ou plutôt elle portait en elle un héritage de patriotisme expérimental, alors que le nôtre avait été parfois seulement sentimental.
(...)

- Sa panoplie tricolore est restée, à peu de choses près, intacte ?
- Elle l'était au moins au début de notre rencontre. Une réponse d'elle à Paul Klein, préparant son "alya" ("montée" en Israël) vers 1947, le montre. Elle a été publiée dans Yechouroun. Et lorsque, aujourd'hui, Renée relit ce qu'elle écrivait alors : "Jamais je ne pourrai m'habituer à un paysage autre que celui de la France", elle en sourit et caresse du regard "son" paysage, celui de Jérusalem. Quoi qu'il en soit, cet ensemble psycho-social de 1947 a merveilleusement facilité l'harmonie entre la famille de Renée et la mienne. Ma mère est demeurée dans notre foyer, à Strasbourg, depuis notre mariage en 1947 jusqu'à son décès en 1963. Mes beaux-parents sont venus souvent à Strasbourg, notamment pour les soirées de Seder de la fête de Pâque. C'était la mise en commun à la fois des traits de caractère de deux familles, de l'éthique de leur existence, et aussi d'un passé dans lequel l'histoire et la légende se complétaient par l'évocation des ancêtres et la poésie des cigognes d'Alsace, qui revenaient chaque été de Jérusalem, comme nous étions nous-mêmes revenus de Lyon ou de Mahanayim.

Une collaboration spirituelle (pp.98-100)

...1947, c'est l'année où j'ai rencontré Renée Bernheim. Nous nous sommes mariés en décembre de la même année. Or Renée a été, en tant que sympathisante des E.I., une des organisatrices de ces Camps du Chambon, et, en marge de ces Camps encore, l'une des disciples les plus proches à la fois d'Osi Wallach et de Jacob Gordin. A l'instar des "mousquetaires", elle a été pour moi un stimulant, cette fois-ci, de la découverte de ce que vous appeliez le "Nouveau Monde" du Maharal et de la mystique en général, cette terra incognita de mes premiers maîtres. Ses notes prises aux cours de celui que tout le monde appelait : Monsieur Gordin, sont, après notre mariage, devnues notre bien commun. Renée est une des rares élèves de M. Gordin qui ait pris des notes développées. Elles sont, à notre grand regret, restées inédites.
(...)

Renée et moi, nous lisions ensemble ce cours de Sidrot chaque Chabbat. Nous en tirions la matières pour des exposés que nous faisions, elle et moi, au Mercaz, la Communauté des Jeunes et des Etudiants de Strasbourg. Et, Chabbat après Chabbat, je découvrais un éclairage des Sidrot qui m'était absolument étranger et que Renée précisait pour moi en complétant la lecture des notes par le rappel de ce qu'elle n'avait pas noté.

- Cette fois c'est le duo mystique avec Renée. Et, comme pour Transcendance et immanence qui avait été une conférence avant de devenir un texte écrit, avant de faire de la théologie du Maharal un livre, vous l'avez présentée sous forme d'une conférence qui a fait date elle aussi.

- C'était la conférence inaugurale du CUEJ, le Centre universitaire d'Études juives, en 1960, dans la salle Descartes de la Sorbonne, pleine à craquer, au point que des centaines d'auditeurs ont dû rester dehors. Vous vous en souvenez ?

- Parfaitement, parce que j'étais de ceux qui sont restés dehors ! Mais alors pourquoi ces vingt ans, de 1947 à 1966, pour développer l'écorce mystique de votre pensée, pour déboucher de plein front sur le Maharal ?

- Pour deux raisons. La première, c'est que dans le duo entre Renée et moi, il y a eu constamment réci procité. Elle m'a fait pénétrer dans la mystique de M. Gordin. Je l'ai fait pénétrer, elle, dans mon interprétation de la Bible. La Bible, elle la connaissait sur tout par certains cours de la Sorbonne, très attachés à la critique biblique et qui d'ailleurs ne la satisfaisaient pas. Elle avait lu et apprécié Transcendance et immanence.
Nous nous sommes connus au moment où je rédigeais les dernières pages d'Amos. Alors s'est établie une coopération constante, sur le plan biblique, dont notre Histoire biblique du peuple d'Israël, rédigée en commun, est le signe le plus tangible. Mais deux gros volumes totalisant 800 pages, ce n'est pas de l'improvisation.
En plus de nos activités et de nos publications à chacun séparément, l'élaboration, la mise en chantier et la réalisation de notre Histoire biblique ont demandé de longues années de mise en commun de la dimension biblique de notre pensée.


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