La Justice dans l'Ancien Testament
Richard Neher
(Extraits du Discours de Rentrée prononcé par Richard Neher à l'Audience Solennelle du 16 Septembre 1955 à la Cour d'Appel de Colmar)


La Haute Cour de Justice à Jérusalem
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Haute Cour de Justice - 2



Haute Cour de Justice - 3
…L'idée de justice n'est pas un don gratuit, mais un postulat, le résultat d'un effort. En reconnaissant par une démarche de la pensée que Celui qui juge tonte la terre ne peut pas être un juge inique, l'homme de l'Ancien Testament a conféré a l'idée de Justice une immanence. Il l'a ancrée dans les moeurs. Créé par Dieu, l'être humain doit être juste, son Créateur étant juste. Le Pentateuque, véritable encyclopédie de la société humaine, prescrit une conduite dont toute iniquité doit être bannie. Conduite minutieusement réglée, la règle quotidienne garantissant l'application du principe transcendant.

La Justice apparaît ainsi comme une leçon et comme une fonction. Son incidence est double: théologique et sociale. Théologique- parce que la Justice implique une connaissance de Dieu antérieure à la constitution juridique de la cité. Sociale - parce que dans la cité soumise à la connaissance de Dieu, la Justice fixe les rapports entre les hommes. Elle n'est pas seulement l'administration périodique par certains d'une mesure opportune ou sage. C'est une alliance entre Dieu et les hommes. Elle se fait par le concours indispensable de tous, à tout instant, dans toutes les phases de la vie individuelle et collective. Comportant une multiplicité de termes et recouvrant une extrême diversité, la Justice signifie dans l'Ancien Testament à la fois la vénération, le respect, la légalité, l'amour et la charité. Elle symbolise la vertu sainte et l'honnêteté profane. Elle est non moins l'équité et le bon droit que le droit strict et la sévérité. Elle englobe la clémence et la rigueur. Elle représente surtout la sincérité, l'intégrité, la pauvreté et l'innocence.

…Je ne saurais faire meilleure oeuvre de synthèse qu'en rapportant le texte intégral du Deutéronome , chapitre 16, verset 18 et suivants: "Tu institueras des juges et des magistrats dans toutes les villes que l'Eternel ton Dieu te donnera dans chacune de tes tribus; et ils devront juger le peuple selon la justice. Ne fait pas fléchir le droit, n'aie pas égard à la personne, et n'accepte point de présent corrupteur, car la corruption aveugle les yeux des sages et fausse la parole des justes. C'est la justice, la justice seule que tu dois rechercher !"

Du début jusqu'à la fin du Pentateuque le principe de la législation reste celui de la recherche de la justice. Aimer Dieu, suivre ses voies, défendre la veuve et l'orphelin, secourir l'indigent et protéger l'étranger, c'est rendre la justice, c'est l'appliquer. Rien ne peut être soustrait à la règle de justice, ni dans la sphère du droit public ni dans celle du droit privé, ni dans les moments solennels, ni aux heures banales de la vie. L'homme tout entier est "livré" : il est sous l'emprise incessante et implacable de la justice qui, toujours, veut se manifester et être manifestée.

…L'expérience de la souffrance a pour corollaire l'accomplissement de la justice. Il est clair que sur ce point l'Ancien Testament a complétement innové. En effet, l'antiquité non biblique, influencée par le mythe de Prométhée, ignorait que la souffrance pût engendrer mieux que la révolte ou le dédain. Remarquons, d'autre part, qu'en nouant la pratique de la justice au souvenir d'un esclavage, l'Ancien Testament bouleversait non seulement l'éthique mais encore la politique de l'antiquité.

…Ce n'est pas à propos de la science que naît le problème de la Justice dans les Ecritures. Mais il surgit à propos de l'homme. C'est l'homme que la justice doit situer devant Dieu, avec le prochain, dans le cadre d'un contrat divin. La rupture de l'homme avec son prochain équivaut à la rupture du contrat, de l'alliance avec Dieu. Pour restituer la révélation, il faut restituer la justice par rapport à l'agglomération de toutes les individualités, sans distinction. L'esclave, l'étranger, le pauvre sont des êtres déficients qui ont besoin d'un rétablissement. Le pécheur a besoin d'absolution. Leur présence aux côtés de l'homme suffit à obliger ce dernier. Ils sont «le prochain». En somme, dans l'Ancien Testament, l'idée de justice et la notion du prochain sont indissolubles. Je suis presque tenté de dire qu'il faut comprendre l'influence de la notion du prochain dans l'Ancien Testament, comme nous comprenons, en droit civil, le rôle de la cause dans les obligations. C'est le prochain qui constitue la cause de la justice. Il incarne la condition essentielle de la validité du contrat divin.

…Nous croyons, quant à nous, serviteurs de l'ordre judiciaire que l'oeuvre de justice est impérissable. Et nous savons que pour la continuer, il faut construire fidèlement. Sans rien omettre ou oublier. Car les meilleurs matériaux de l'avenir, ce sont les leçons du passé.


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