La déclaration Balfour
Richard Neher
Extrait de L'ALMANACH DU KKL STRASBOURG


Timbre émis par l' Etat d'Israël à l'occasion des 50 ans
de la Déclaration Balfour

Au mois de décembre 1916, David L Lloyd George devint Premier Ministre et réorganisa le cabinet anglais. C'est avec son gouvernement que les chefs du sionisme, le Docteur Weizmann et Nahoum Sokolov, purent enfin entamer des négociations sérieuses en vue de la réparation d'une injustice deux fois millénaire. Le 2 novembre 1917, Lord Nathy Rothschild reçut d'Arthur James Balfour, Ministre des Affaires Étrangères, une lettre qu'il était prié de porter à la connaissance du Docteur Weizmann. C'était une déclaration commençant par les mots : "Le Gouvernement de Sa Majesté envisage avec faveur la création en Palestine d'un Foyer National pour le Peuple juif..."

La déclaration fut publiée, mais le peuple juif n'en fut informé que dans une faible mesure. Chez nous, on n'en savait rien parce qu'on nous empêchait de savoir. L'injustice deux fois millénaire continuait d'être ressentie amèrement ; doublement même, car la guerre avait commencé un 9 Av, au jour anniversaire de la destruction du premier et du deuxième Temple de Jérusalem.

Le 9 Av 1918, Monsieur Becker, qui avait repris la fonction de 'Hazen, s'assit sur les marches de l'Almemor. Il avait à sa droite le Rabbin Armand Bloch et à sa gauche, mon grand-père. Alternativement ils récitèrent les lamentations de Jérémie. Puis ils dirent les Kinnoth. Dehors, le soleil brillait avec éclat, mais la Schoule était sombre comme le fond d'une peinture hollandaise. L'arche sainte était dépouillée de tout ornement. Les quelques personnes qui suivaient l'office se perdaient dans la masse des bancs vides. J'étais à cette époque très avide de beau chant. Cependant la récitation monocorde qui .caractérise ce jour me donnait plus envie de pleurer que la plus émouvante des cavatines. On se lamentait ainsi sur le sort de la ville sainte, sur le sort du peuple juif, sur le sort des hommes qui se massacraient. Il y avait aussi la "grippe" qui commençait de menacer et d'effrayer... une chose noire comme un masque vénitien, dont on ne parlait alors qu'à voix basse et à laquelle on attribuait un nom anodin pour ne pas révéler sa véritable identité. Déjà les jours précédents, on avait enterré les premiers soldats hongrois. L'après-midi de ce jour, il y eut un autre enterrement et, défilant lentement dans la rue principale, la musique des Hongrois jouait cette marche funèbre qui allait devenir le cauchemar quotidien. Celle-là non plus je ne savais pas encore l'identifier. Mais en ce jour, je devinai, pour la première fois, son vrai visage...

La nuit venue, on rompit le jeûne avec du pain, du hareng et du café. Grand-papa fuma sa cigarette. On était moins oppressé ; mais la tristesse demeurait. La ville était pleine de rumeurs assourdies ; dans la cour de notre voisin, qui était tonnelier, un soldat était assis sur la margelle du puits et jouait de l'harmonica. Les sons grêles de son instrument semblaient chercher désespérément une issue dans l'ombre rougeâtre...

Plus tard, quand j'appris la signification du Foyer National Juif, je ne compris pas tout de suite qu'aucun gouvernement ne souhaitait sa réalisation, et je m'étonnai que la Déclaration Balfour fût restée sans effet immédiat dans la plupart des pays européens. Se pouvait-il que la première suite d'un tel acte politique fût de l'indifférence, de l'ignorance ? Cela se pouvait.

L'histoire des hommes est faite d'indifférence et d'ignorances. Peu de grands journaux ont rendu hommage à l'oeuvre de Weizmann. Peu de gens connaissaient son nom. Lorsque d'aventure on trouvait sa photographie aux dernières pages d'une revue, on le confondait avec Lénine. Aujourd'hui même, quel est le nombre de ceux qui savent qu'il fut en 1948 le premier Président de l'Etat d'Israël ? N'empêche... L'histoire des hommes se fait aussi envers et contre les indifférences et les ignorances.


Personnalités  judaisme alsacien Accueil
© : A . S . I . J . A.