Remise de la médaille de Juste des Nations à Adélaïde Hautval
17 avril 1966
ces documents nous ont été transmis par le Professeur Georges HAUPTMANN


Après le procès de Londres, le 9 mai 1964 (1),  Léon Uris, écrivain juif américain à succès, auteur des livres Exodus et Mila 18, envoya la lettre qui suit à Yohanan Beham, (membre du cabinet du Premier ministre israélien). C’est à la suite de cette démarche qu’Adélaïde Hautval fut reconnue Juste parmi les nations en 1965 et invitée en avril-mai 1966 en Israël pour la cérémonie, de remise du diplôme et de la médaille des Justes parmi les nations ainsi que la plantation d’un arbre dans l’allée des Justes à Yad Vashem. Elle était présente également pour la journée dite  "Yom Hashoah" , la journée israélienne à la mémoire des victimes et des héros de la Shoah.

Cher Yohanan,

Un des moments les plus galvanisants du procès fut celui où Dr. Hautval prit la parole. Plus tard, cette femme fut décrite par le Juge, lors de son résumé, comme étant "l’une des personnes les plus formidables et les plus courageuses qui ait jamais témoigné devant une cour anglaise".
Ceci correspond à mon sentiment ainsi qu’à celui de tous ceux qui ont eu l’honneur de côtoyer cette grande dame.
Son témoignage complet se trouve dans la transcription, mais laissez-moi vous donner un rapide aperçu de ses antécédents.

Lorsque la France fut occupée, c’était une jeune femme qui pratiquait déjà la psychiatrie, mais ayant appris le décès de sa mère, elle tenta de passer de la zone libre à la zone occupée sans papiers en règle, elle fut arrêtée par la Gestapo et incarcérée dans une prison française. Elle protesta immédiatement auprès de la Gestapo, contre les mauvais traitements infligés à des prisonniers juifs, alors qu’elle-même estprotestante et fille de pasteur.
La Gestapo lui rétorqua que si elle aimait tant les Juifs elle n’avait qu’à devenir une des leurs, suite à quoi elle fut contrainte de porter la tenue des prisonniers avec l’insigne en haut de sa poche portant la mention "Amie des Juifs". Je voudrais ajouter que si nous avions eu plus d’amis comme le Dr. Hautval, l’époque nazie n’aurait jamais été possible !

Finalement, son emprisonnement la conduisit à Auschwitz où elle fut affectée comme médecin au Block10, c’est là, comme vous le savez, que le matériel humain destiné aux expérimentations était détenu. À quatre occasions différentes, il lui fut ordonné de pratiquer des expérimentations ou d’y participer mais à chaque fois elle opposa un refus catégorique. En effet, lorsque Wirthe [Wirths], le docteur nazi, essaya de faire pression sur elle en la persuadant que le programme de stérilisation était ce qu’il y avait de plus convenable : "Ne savez-vous pas que certaines personnes sont différentes ?", elle répondit : "Oui, je sais, à commencer par vous !" Plus tard, Mengele voulut,à son tour, la forcer à prendre part à ses expérimentations sur les jumeaux et pour la quatrième fois, le Dr. Hautval refusaencore.

Un autre témoin, le Dr. Lorska fut une de ses co-détenues du Block 10.Arrivée de Pologne afin de témoigner en notre faveur, elle détient la Croix de guerre obtenue pour sarésistance en France pendant la guerre. Le Dr. Lorska raconta ainsi au jury, que c’était le Dr. . Hautval qui lui avait donné les mots pour tenir. Elle avait dit au Dr. Lorska : "Aucune de nous ne sortira vivante de tout cela, mais tant que nous serons là, nous devons nous comporter comme des êtres humains !"

Cela fait deux décennies que cette grande dame n’a pas reçu la moindre reconnaissance officielle pour ses sacrifices et son humanité et je pense que c’est non seulement approprié, mais obligatoire, que le Gouvernement d’Israël lui offre une invitation à venir visiter la Terre Sainte, ce qui est son souhait le plus profond, et qu’elle soit citée au plus haut niveau. Car elle est réellement "une amie des Juifs".
J’insiste de toute la force de ma conviction pour que vous fassiez pression sur votre Gouvernement afin que cette femme ne reste pas plus longtemps sans distinction honorifique.

Comme toujours,
Signé Leon Uris

Communiqué de presse de Yad Vashem
Texte rédigé à l'appui de l'attribution de la Médaille des Justes au Dr. Hautval

Lire le texte original en hébreu
Le Dr. Adélaïde Hautval, médecin français, est venue dernièrement en Israël comme invitée de Yad Vashem et du Congrès Juif Mondial.
Le Dr. Hautval  va planter un arbre dans l'Allée des Justes des Nations sur le Mont du Souvenir à Jérusalem, et au cours de cette cérémonie elle recevra une médaille, en signe de la plus haute reconnaissance que  Comité des Justes des Nations lui a accordée pour son courage,  son humanité et  sa lutte en faveur des  Juifs persécutés.

Le Dr. Hautval a grandi dans une petite ville d'Alsace, en France, fille d'un pasteur protestant. Elle est diplômée de l'Université  de Strasbourg.

En avril 1942, sa mère étant  décédée, et elle demande  aux Autorités occupantes  l'autorisation de se rendre en zone occupée afin d'assister aux obsèques, mais sa demande est rejetée. Elle tente alors de traverser clandestinement  la ligne de démarcation, mais les Allemands l'arrêtent et l'envoient à la prison de Bourges.
Dans cette prison de Bourges, on commence à regrouper des Juifs. Quand elle apprend que ceux-ci sont  l'objet d'un traitement inhumain, le Dr. Hautval proteste auprès de la Gestapo. Les Allemands lui répondent : "si tu veux défendre les Juifs, ton sort sera semblable à leur sort".  Ils l'obligent à porter une étoile jaune portant les mots "amie des Juifs".

Le Dr. Hautval a été internée dans plusieurs camps en France, dans lesquels se trouvaient aussi des Juifs. Début  1943, où elle est déportée avec 200 françaises au camp d'Auschwitz.
A Auschwitz, le Dr. Hautval est internée au Bloc n°10, en compagnie de 400 à 500 femmes juives,  de Grèce, de France, de Belgique et de Hollande. Une épidémie de typhus se répand  parmi les prisonnières juives, transmise par  celles qui venaient de Birkenau. Il est  évident que le destin de toutes les malades sera  l'extermination dans les chambres à gaz, mais le Dr. Hautval, qui est  le seul médecin du bloc, ne parla de l'épidémie à qui que ce soit, et elle cache même toutes les femmes contaminées à l'étage supérieur, où elle  les soigne avec un grand dévouement.

Les médecins-chefs de tous les blocs d'Auschwitz, les officiers SS, le Dr. Agrad et le Dr. Edouard Wirths, exigent qu'elle les assiste dans le domaine de la gynécologie. Ils lui expliquent qu'ils font des expériences dans le but de découvrir les signes précurseurs du cancer chez les femmes.  Le Dr. Hautval commence les examens, mais très vite  elle soupçonne qu'il s'agit d'expériences particulières, et elle annonce au Dr. Wirths qu'elle refuse de participer à ce travail.
L'un des frères Wirths lui demande son opinion au sujet de la stérilisation. Le Dr. Hautval répondi qu'elle est absolument opposée à ces expériences. Elle ajoute que personne n'a de droit sur la vie et de destin d'autrui.
Quand elle est contrainte d'assister à l'anesthésie pour la stérilisation d'une jeune fille grecque, elle déclare à nouveau au Dr. Wirths qu'elle refusait de participer désormais même à cette action d'assistance. Le Dr. Wirths lui demande : "ne pouvez-vous pas comprendre que ces gens-là font partie d'un monde différent du vôtre ?"  Le Dr. Hautval répondit : "il existe d'autres gens qui sont différents de moi, et vous en faites partie".

Le Dr. Hautval saisit chaque occasion de défendre les prisonnières juives,  auxquelles elle manifeste une grande amitié et une grande solidarité.

Dans le fameux procès qui se déroulera devant la Cour de Londres en 1964, intenté par  le gynécologue polonais, Dr. Wladislaw Dering contre Léon Uris, l'auteur d'Exodus, pour diffamation (1),  le Dr. Hautval sera l'un des principaux témoins de la défense. On sait que dans Exodus, il est écrit que le Dr. Dering a procédé à des milliers d'opérations de stérilisation sur des femmes juives à Auschwitz. Ce procès est devenu, en fait, un procès contre le requérant lui-même, qui est décédé entretemps.
Au cours de ce même procès témoigne le Dr. Dorothée Lorska, une Juive qui était arrivée plus tard dans le Bloc n°10 à Auschwitz. Elle raconte que dès son arrivée au bloc elle a encontré le Dr. Hautval qui l'a informée de ce qui se qui se passait là, avant de conclure  : "Il est impossible que nous sortions en vie de ce camp. Les Allemands ne permettront pas que ceux qui savent ce qui se passe ici entrent en contact avec le monde extérieur. La seule chose qui nous reste à faire dans peu  le temps qui nous reste, c'est de nous comporter comme des êtres humains".
Le témoignage du Dr. Hautval devant la Cour londonienne a produit une impression extraordinaire. Le président a fait l'éloge de son courage et de sa volonté de s'opposer aux médecins nazis, et au Dr. Mengele lui-même.


Allocution du Docteur Adélaïde Hautval
Allocution prononcée lors de la journée de Commémoration des Héros et des Martyrs,   17 Avril 1966

Dr. Hautval à Yad Vashem, entourée de lycéens et de soldats israéliens
Chers amis d’Israël,

Je suis vraiment heureuse d’être parmi vous ce soir. Je peux difficilement vous dire combien cela représente pour moi d’avoir le privilège d’évoquer avec vous tous ceux qui ont tant souffert et qui ont disparu.

Je viens juste de passer quinze jours en Israël et j’ai été étonnée de ce que j’ai vu. Avant tout j’ai ressenti une grande joie de voir le miracle suprême : les hommes et des femmes revenus des camps nazis prenant part eux-mêmes à la reconstruction de leur pays, quelque chose que personne n’aurait jamais pu penser possible. Mais ce n’est pas du passé que je souhaite vous parler. C’est le futur qui compte, le futur issu de ce passé douloureux que nous ne devons pas oublier.

J’admire vos réalisations formidables, la ténacité dont vous avez fait preuve pour trouver des solutions à vos problèmes techniques. J’aime votre jeunesse fortement dynamique, si empreinte du futur.

Pourtant ce qui m’a le plus touchée c’est la grande tolérance que vous manifestez envers le mélange hétérogène de peuples et de croyances qui résident dans votre pays, vous qui avez tant souffert de l’esprit de séparatisme et de l’exclusion. Vous avez bien compris que la diversité peut être source de richesses et qu’à chaque existence doit être donnée la chance de vivre en égalité avec tous les autres .C’est la seule façon d’être vraiment fidèle à la mémoire de vos martyrs. Vous avez agi avec une sagesse digne de Salomon. C’est la leçon que le monde doit retenir : il doit comprendre que le racisme, sous toutes ses formes, n’est rien d’autre qu’une aberration.

Un autre fait m’a fortement impressionnée lors de mon voyage : celui d’être en présence  de personnes qui sont "revenues chez elles#. Cette impression a été très forte. De toutes mes rencontres j’ai acquis un sentiment de force, d’assurance. A présent ce sont eux, les autres, qui sont les hôtes, et cela est bien qu’il en soit ainsi. Les choses sont redevenues dans l’ordre.

Le retour du peuple d’Israël dans son propre pays constitue un accomplissement qui non seulement vous concerne, mais le monde entier. Il fut ardemment espéré également par les non-juifs. Israël a toujours joué un rôle fondateur et fédérateur, ce dont il fut haï ou respecté. Sa mission dans le monde perdure et Israël doit rester fidèle à cette mission. Toute l’histoire de ce peuple démontre la primauté des forces spirituelles, et de ce fait ses engagements ne peuvent que réussir 

De tout mon cœur je souhaite que bientôt la signification de votre magnifique "Shalom"  puisse effectivement matérialiser cette paix dont vous avez tellement besoin.

Note :

  1. En 1964 Uris et son éditeur britannique, Bantam, ont été poursuivis en diffamation par un médecin polonais, Wladislaw Dering. Celui-ci se plaignait qu'Uris l'avait mentionné par son nom comme l'un des chirurgiens qui avaient commis des atrocités contre les prisonniers juifs à Auschwitz dans son livre Exodus : "Au Bloc X, le Dr Wirths utilisait les femmes comme cobayes et le Dr Schumann les stérilisait par castration et rayons X, tandis que Clauberg leur enlevait les ovaires et que le Dr Dehring (sic) a effectué 17 000 «expériences» en chirurgie sans anesthésie.." Le tribunal a jugé contre Uris mais a ordonné à M. Dering de payer les frais de justice des deux parties. On lui a accordé seulement un demi-penny pour les dommages. (n.d.l.r.)


Lettre de Moshe Bejski, Juge à la Cour Suprême d'Israël
après le décès d'Adélaïde Hautval

Chers amis,
C'est avec une grande tristesse que j'ai reçu la mauvaise nouvelle du décès du Dr Adélaïde Hautval, le 12 Octobre 1988.

L'une des femmes les plus admirables que j'ai connues nous a quittés et. je n'exagère pas en disant. qu'elle était une des personnalités les plus remarquables que l'humanité ait connues.

En raison de sa grande modestie, peu de gens étaient informés de son action extraordinaire en faveur de ses contemporains et de son noble dévouement envers tous les êtres humains, quels qu'ils soient. Elle était toujours prête h venir en aide a autrui et h soutenir ceux qui souffraient et étaient persécutés. Cela l'a amenée, pendant la deuxième guerre mondiale, à intervenir au-près des nazis en faveur de Juifs et l'a conduite à Auschwitz.

Et là aussi, dans cet enfer sur terre, prisonnière elle-même, elle s'est. entièrement consacrée, en tant que médecin, aux soins et au mieux-être des femmes prisonnières, à les sauver, les consoler et les encourager dans toute la mesure du possible. Elle ne tenait aucun compte des risques qu'elle même encourait tant qu'il s'agissait d'atténuer les souffrances des autres.

Confrontée quotidiennement à la mort, elle disait : "Nous sommes tous condamnés à mourir. Comportons nous en êtres humains tant que nous vivons". Les autres prisonnières la considéraient comme une "sainte", ce qu'elle était en effet.

Après qu'elle ait témoigné en Grande Bretagne lors d'un des procès contre un mmédecin nazi qui avait participé à Auschwitz à des expériences sur des femmes juives, le juge Lawton écrivit dans son verdict : "il est permis de considérer le Dr Hautval comme l'une des femmes les plus courageuses et remarquables qui aient jamais témoigné devant un tribunal dans ce pays ; une personne d'un grand caractère et une personnalité exceptionnelle."

Et le juge Lawton n'exagérait nullement. La connaissant et ayant été en relations avec elle pendant 25 ans, je me permets d'ajouter : le Dr. Hautval était l'une des personnes les plus merveilleuses qu'ait connu l'humanité dans sa génération, et une âme noble.

Quand Yad Vashem, l'Institut pour le souvenir des Martyrs et des Héros, décida le 23 Mars 1965 de lui décerner le titre de "Juste parmi les Nations" pour ses actions de sauvetage dans le camp d'Auschwitz, elle ré­pondit modestement qu'elle ne pensait pas avoir droit. à être honorée pour sa conduite qui était tout à fait naturelle, logique, et découlait d'une obligation morale.

Lors de ma visite chez elle, à Groslay, il y a trois ans, elle est revenue sur ce sujet et a dit qu'elle ne pensait pas avoir le droit d'accepter la médaille des Justes et le titre, car ce titre est réservé à Dieu seul, et non aux mortels.

J'ai gardé des dizaines de lettres du Dr Hautval, d'où transparaît son amitié et son amour pour le peuple juif et l'Etat d'Israël, et aux heures du danger, elle exprimait sa préoccupation pour le sort de notre peuple.

Le Docteur Hautval restera pour toujours à. mes yeux une noble personne dont l'image devrait servir d'exemple pour éduquer les futures générations en vue d'un monde meilleur.

Je tiens à exprimer ici mes condoléances et celles de Yad Vashem à sa famille et à ses amis. Sa mémoire ne nous quittera jamais et elle restera pour toujours un symbole de grandeur d'âme et de noblesse de sentiments, et une grande amie du peuple juif.

Je vous prie d'agréer, Chers amis, l'expression de mes sentiments attristés.

 


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