Témoignages sur Charles ALTORFFER


Jeanine WEIL née BLOCH :

Ch. Altorffer lors de l'inauguration de la Synagogue de la Paix à Strasbourg, mars 1958
© E. Klein
Syn Paix
Dès 1941 j'ai travaillé comme assistante sociale (bien que ce ne soit pas ma profession) au bureau d'aide sociale pour les réfugiés juifs de Périgueux.
Début 1942 j'ai commencé le travail de la Sixième, c'est à dire le camouflage d'enfants juifs. J'ai pu faire ce travail jusqu'au 11 mai 1944, jour où j’ai été arrêtée par la milice.. J'avais sur moi tout le budget du bureau dont j'avais besoin pour les enfants que j'avais camouflés.
Très ennuyée, j'ai longuement réfléchi comment sortir cet argent de la prison. Finalement grâce à un ami j'ai pu prendre contact avec Monsieur Altorffer qui est venu immédiatement à la prison et a pu retirer cet argent. Grâce à une assistante sociale, il a pu faire parvenir certaines sommes aux enfants cachés. Cela ne m'a absolument pas étonnée de la part de Monsieur Altorffer qui a fait pendant la guerre tout ce qu'il pouvait pour aider les Juifs.
Après la guerre, j'ai gardé un contact très amical avec Monsieur Altorffer, qui m'a écrit une lettre extraordinaire au moment de mon mariage, lettre que j'ai conservée de longues années, mais que j'ai déchirée au moment de mon alyah (immigration en Israël).



Professeur Simon SCHWARZFUCHS :

A propos de la Direction des Cultes d’Alsace-Lorraine :
Mon père, Georges Schwarzfuchs, a longtemps exercé les fonctions de ministre-officiant en Alsace. Son dernier poste était à Bischheim. Je crois me souvenir qu’il m’avait dit qu’il était l’employé de la communauté juive et que celle ci touchait une “subvention” de la Direction des Cultes qui constituait une partie non négligeable de son salaire.

Après son départ contraint de Bischheim qui fut évacuée, alors que les hostilités étaient sur le point de commencer, il se replia à Gérardmer, puis à Limoges où il continua d’assurer ses fonctions dans le cadre de la communauté alsacienne qui s’y était reconstituée. Rien ne fut changé alors aux habitudes administratives et tout se passa comme par le passé. Cependant dès la promulgation du premier Statut des Juifs, qui les excluait de la fonction publique, ministres-officiants et rabbins purent se demander quel sort allait leur être fait. M. Altorffer les rassura immédiatement, ainsi que leurs communautés : il les assura qu’il ferait tout pour empêcher que les fonctionnaires du clergé juif ne subissent un traitement qui serait différent de celui qui était réservé aux ecclésiastiques chrétiens relevant de sa Direction. Il tint parole et ne céda jamais aux pressions probables qui auraient pu l’inciter à poser devant ses supérieurs un problème dont il ne voulut pas entendre parler. C’est ainsi que les ministres du culte israélite alsaciens-lorrains furent en mesure de poursuivre l’exercice de leurs fonctions.

J’ajouterai que selon une information que j’ai reçue récemment, les rabbins internés, et peut être aussi les ministres officiants se trouvant dans la même situation, continuèrent d’émarger, jusqu’à leur déportation, au budget des cultes et que leurs traitements furent, d’une manière ou d’une autre, versés à leur famille

Grâce à l’attitude ferme et dépourvue de toute ambiguïté de M.Altorffer, la Direction des Cultes resta une oasis de légalité républicaine au long d’une période pendant laquelle elle avait bien peu compté.



Max WARSCHAWSKI
Grand Rabbin honoraire de Strasbourg et du Bas-Rhin :

Le 23 mars 1958, lors de la consécration de la nouvelle synagogue de Strasbourg, Charles Altorffer prenait la parole comme maire de la ville. Je n'oublierai jamais son émotion, qu'il ne pouvait cacher lorsqu'il évoqua son ami le Grand Rabbin HIRSCHLER et ses larmes le rendaient plus proche de la communauté. Je me souvins alors de son activité comme Directeur des Cultes au cours de la guerre. Non seulement il avait maintenu les traitements des rabbins alsaciens, mais il nomma même à un poste rabbinique,  vacant par le décès de son titulaire, le Rabbin Robert BRUNSCHWIG, qui était avant la guerre rabbin de la Communauté Etz Haim - non consistoriale - afin de  lui permettre de vivre puisque sa communauté dispersée ne pouvait plus lui assurer un traitement.

Il fallait beaucoup de courage pour agir ainsi et Charles Altorffer n'en manqua pas. Son discours qui le rapprocha de notre communauté témoignait de sa foi profonde. En apprenant que Charles Altorffer allait officiellement post mortem figurer parmi les Justes des Nations, je ne regrette qu'une seule chose : c'est qu'il aura fallu plus de soixante ans pour reconnaître publiquement les mérites de celui qui fut un être généreux et dans sa foi un homme d'une humanité qui ne devrait pas disparaître de notre souvenir.



Vincent WAHL :

Mon grand-père, Gustave Brua, comptable à la direction des cultes d’Alsace et de Lorraine, a travaillé sous la direction de Charles Altorffer tout le temps où celui-ci était directeur des Cultes, de 1937 à 1946. Il a notamment, passé les années 1940 à 1945 à ses côtés, à Périgueux. Son épouse et ses trois petites filles, âgées de 9, 7 et 5 ans en 1940, l’y avaient rejoint. Je retraduis ci-dessous quelques souvenirs de ma mère et de ses soeurs, dans lesquels Charles Altorffer n’apparaît pas directement, mais qui concernent les conditions de son action à Périgueux.

La direction des cultes se trouvait au 19 de la rue Gambetta ; mon grand père et sa famille habitaient au 17 de la même rue, au coin d’une autre rue, dans laquelle se trouvait le Grand Hôtel, aujourd’hui disparu. C’est au Grand Hôtel qu’était installé un QG Allemand, peut-être la Kommandantur. Quelques mètres au delà des fenêtres de mes grands parents, il y avait des barbelés, un soldat en faction. Autant dire que l’activité du Service des cultes se faisait au nez et à la barbe des Allemands.

Il s’agissait d’une activité administrative “ordinaire”, qui consistait notamment à gérer les salaires et les carrières de ministres du culte catholiques et protestants, et juifs. Sauf que beaucoup “d’administrés”, en premier lieu les rabbins, mais aussi beaucoup de pasteurs ou de prêtres, étaient recherchés. Une fois cela a failli mal tourner. Un dimanche, mon grand-père était enfermé dans son bureau quand des soldats allemands (ou des policiers) sont montés, ont frappé longuement à la porte, mon grand père "faisant le mort", jusqu'à ce que quelqu’un (il semblerait, une femme de ménage) leur dise que c’était dimanche et qu’il n’y avait personne.

J’ai entendu parler aussi de familles juives prévenues de rafles imminentes, de personnes cachées, ou d’appartements prêtés. Ma mère m’a souvent parlé d’une consigne de silence absolu, sans cesse répétée par ses parents, qui ne leur cachaient rien de ce qui adviendrait si elle n’était pas respectée. Quelques notations de Charles Altorffer lui-même, dans son "journal", vont dans le même sens. Il est difficile d’apprécier aujourd’hui, sur la base de ces souvenirs, l’étendue et la fréquence de tels faits. Cependant, on peut penser qu’il y a bien eu, de la part de Charles Altorffer et de ses collaborateurs de l’époque, une activité ayant pour but de “sauver les  suspects et poursuivis qui venaient à Périgueux solliciter (son) secours et (sa) protection". Ce sont là les termes mêmes de Charles Altorffer, retrouvés dans le dossier administratif de mon grand père, aux archives départementales du Bas-Rhin.



Joseph EHRHARD :

Je soussigné Joseph EHRHARD, né le 1er novembre 1925 à Bischwiller (France, Bas-Rhin), ancien secrétaire en chef de préfecture (actuellement en retraite), affecté au Service des Cultes des départements du Rhin et de la Moselle à Strasbourg (dépendant du Ministère de l'Intérieur) certifie avoir travaillé de 1945 à 1949 sous la direction de Charles Altorffer, alors Directeur dudit service.

Charles Altorffer s'est employé à remettre, à Strasbourg, le service d'État en bon état de fonctionnement. En ce qui concerne les relations avec les autorités du culte israélite, il avait noué surtout des relations avec le grand rabbin Abraham Deutsch et le président Lucien Cromback du Consistoire israélite du Bas-Rhin.

De Charles Altorffer j'ai gardé le souvenir d'un homme clairvoyant, pénétré d'un profond esprit humaniste, d'un homme grand par son cœur et d'un grand travailleur.
Fait à Bischwiller, le 26 juillet 2001.


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