Etre juif après Auschwitz


Etre juif après Auschwitz, cela signifie d'abord Etre. Exister d'une existence qui aurait dû être l'Etre de six millions de Juifs, mais dont on les a criminellement frustrés - et pourquoi ne m'a- t-on pas assassiné, moi ? Pourquoi, moi, ai-je survécu ?

Le sentiment de la survivance dépasse le fait brut d'être. Par le dépôt de survie en moi, je suis le porte-parole, et le porte-silence, de six millions d'hommes dont le rêve étranglé peut renaître à l'avenir à travers ma présence à moi, Juif dont la vie à l'heure actuelle est, en soi, une preuve de l'échec d'Hitler. Premier dépôt d'une infinie responsabilité.

Vient s'ajouter à ce fait d'être, le fait d'être après. Quiconque dit après, s'affirme rattaché par une chaîne incassable à un avant. Cet avant colle à moi dans cette grande, inépuisable source de responsabilité qui s'appelle Souvenir. Je porte avec moi un monde qui fait partie de mon moi, qui le dédouble. Il en est l'ombre, le compagnon, la hantise, la leçon. Le passé me harcèle mais aussi m'oriente. Contrairement à la femme de Lot, c'est lorsque je ne me tourne pas vers ce passé que je deviens statue de sel. Mais en le faisant vivre en moi, je marche vers l'avenir.

Marcher vers l'avenir, qu'est-ce que cela signifie après Auschwitz ? Cela signifie d'abord qu'il y a un avenir. Constatation paradoxale après Auschwitz. Car Auschwitz, n'est-ce pas le néant, la fin de l'histoire, l'abîme sans fond et sans lendemain ? Or, marcher vers l'avenir, c'est dire oui à un lendemain, à la chaîne ininterrompue des lendemains qui, sans oublier Auschwitz ni lui tourner le dos, accueillent les Juifs d'aujourd'hui dans la continuité de leur histoire.

Mais, fait remarquable : ce lendemain n'est pas seulement une notion temporelle, une durée à laquelle, par son existence chaque Juif participe aujourd'hui. Ce lendemain a aussi une signification spatiale et géographique. C'est Israël, l'Etat d'Israël, la Terre d'Israël. Chaque Juif peut participer (et puisqu'il le peut, il le doit) après Auschwitz à l'avenir d'Israël, qui ne garantit pas seulement des lendemains, mais les lendemains des lendemains, je veux dire : l'Eternité, Nezah Israël..


Extrait de : Regards sur une tradition, pp. 15-16, Ed. Bibliophane, 1989


Auschwitz reste im-pensable
et in-compensable

Pour nous, Auschwitz est central. Mais même pour nous pour qui Auschwitz est central, Auschwitz reste une question...


Ce qui s'est passé à Auschwitz est dans l'histoire de l'humanité impensable, a été impensable. Personne n'a pu prévoir qu'Auschwitz pouvait se passer dans l'histoire. De même l'événement impensable d'Auschwitz reste éternellement incompensable...

Israël est né historiquement en symétrie par rapport à Auschwitz ; il y a certainement des liens de cause à effet et des phénomènes d'accélération de l'histoire qui ont fait que l'Etat d'Israël a pu naître plus rapidement parce qu'il est né après Auschwitz. Par leur courage et leur volonté de ne vivre qu'en Israël et pas ailleurs, les rescapés d'Auschwitz ont donné ensuite un coup de barre à l'histoire et cela a fait que l'Etat d'Israël a pu naître plus rapidement qu'on ne pensait. Mais non pas à titre de compensation d'Auschwitz : les deux événements sont symétriques, parallèles et constituent, comme dans une symphonie, deux tonalités discordantes, absolument discordantes au sens le plus fort, mais qui, dans leur discordance même se rejoignent pour former l'un des aspects de cette symphonie inachevée qui s'appelle l'histoire juive.


Extrait de : Le dur bonheur d'être juif , pp. 37-38, Ed. Le Centurion 1978

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