Jérusalem, "La Ville Sainte" entre le sacré et le profane.

jerusalem33 Pour le bon sens robuste du Juif moyen, Jérusalem est encore aujourd'hui comme elle l'était toujours, la Ville Sainte par exellence. Dans l'imagination du Juif de la Diaspora, Jérusalem est la ville des images pieuses : tout le monde est pratiquant à Jérusalem, tout le monde y passe son temps à prier, à dire des Psaumes, à attendre le Messie. Et, encore aujourd'hui, ce Juif moyen, au bon sens juif robuste, est stupéfait et révolté quand il apprend — ou lorsqu'il constate à l'occasion d'un voyage — qu'à Jérusalem, certains roulent en voiture le Chabbat; qu'à Jérusalem, il y a des restaurants qui ne sont pas strictement cacher ; qu'à Jérusalem, on s'occupe de choses matérielles, on fait du commerce, il y a de l'industrie, on va au cinéma et au théâtre voir des spectacles osés, etc... etc. Même si lui-même, dans sa Diaspora, n'est ni pratiquant, ni observant, il projette sur Jérusalem l'image qu'il se fait de la communauté juive religieuse idéale (comme dans les communautés les plus assimilées, on voulait que le Rabbin fût un modèle de stricte orthodoxie).

Or, ai-je besoin de le rappeler ici? Cette intrusion "révoltante" du profane dans le sacré de Jérusalem, nous y apercevons, depuis longtemps, le signe ontologique de l'apport positif et même messianique du sionisme laïque et profane à la dimension sacrée de Jérusalem.

L'unité des bâtisseurs, et les bâtisseurs de l'unité

Nous puisons cette notion si importante, parce qu'elle concerne un aspect concret de l'histoire juive moderne, dans les sources les plus anciennes et les plus représentatives de la tradition juive la plus pure. Je pourrais citer Rabbi Yohanan (Talmud, Traité Sanhédrin 120 b) : il se demande pourquoi Omri, ce souverain pécheur, a mérité de fonder une dynastie en Israël. Sa réponse : parce qu'il a fondé Samarie — Shomron, ajoutant ainsi une ville à Eretz Israël — et pourtant Samarie est le symbole même du profane, face à la sainteté de Jérusalem. Je pourrais citer le Maharal de Prague dans sa formule lapidaire : "Car L'Etat d'Israël dans sa Sainteté, au niveau de son Esprit Divin interne, germera du dedans de l'Etat profane" (Gevourot HaShem, chap. 18).

Il faudrait citer, en entier, le monumental livre Em HaBanim Semeha de Rav Issachar Shlomo Teichtal, écrit durant la Shoa, en Hongrie, en 1943, mais qui a été étouffé sous les cendres (Rav Teichtal est mort à Auschwitz) et n'a été réédité que maintenant. C'est un plaidoyer bouleversant en faveur des bâtisseurs laïques, profanes et même profanateurs, d'Eretz Israël et une argumentation serrée et approfondie sur des textes que nous retrouvons chez le grand contemporain de Rav Teichtal, celui dont l'oeuvre et la pensée marquent de leur empreinte indélébile notre génération, je veux dire Rav Abraham Yitzhak Kook.

Une phrase des Orot HaQodesh I, p. 64 de Rav Kook, suffirait à l'ensemble de cette interprétation traditionnellement juive : "La Sainteté céleste tire sa bénédiction de la valeur de son socle terrestre et profane (auquel il se réfère constamment afin de le purifier)".

Moulin

Les ouvriers aux mains calleuses qui réparent les brèches de la maison d'Israël sont les artisans de la Maison de Dieu. Ils sont les égaux du Grand-Prêtre. Ils lui sont même supérieurs. Car le Grand-Prêtre ne pénétrait dans le Saint-des-Saints du Temple qu'une fois par an, le Yom Kippour, pour l'Avoda de la Prière — mais les ouvriers y pénètrent chaque jour, pour l'Avoda de la réparation, du Tikkoun.

On connaît la différence établie par Victor Hugo entre Bezalel qui sculptait l'idéal et Oholiav qui sculptait le réel. Pour le Rav Kook, pas de différence entre les Bezalel de Jérusalem, qui sculptent le sacré et les Oholiav de Jérusalem, qui y maçonnent le profane. Les deux sont englobés, attelés, entraînés, dans le grand projet messianique du Tikkoun Ha-Olam — de la Réparation du Monde.

Ce travail qui s'accomplit à Jérusalem est double : il est sacré et profane (kodesh vehol) — mais un seul et même terme désigne cette dualité, cette polarité : avoda. Le mouvement est réciproque et continu : si la avodath hol est une profanation, révoltante, du sacré - inversement et simultanément la avodat hakodesh est une sacralisation, révolutionnaire, du profane. Révolte et Révolution sont liées et nécessaires, comme la lumière qui jaillit et la lumière qui se réfléchit.

Jérusalem, notre Jérusalem, la Jérusalem sioniste, n'est pas seulement la Ville qui cueille la lumière des étoiles du Ciel - et elle l'est véritablement - mais elle est aussi, et simultanément, la Ville qui creuse sous les strates de la terre pour en faire surgir la lumière, les étincelles enfouies sous les écorces de la matière. La révolte est physique, mais elle ne fait qu'un avec le grand projet de la révolution métaphysique et messianique.

Extrait de Jérusalem, vécu juif et message,, p. 25-28, éd. du Rocher, 1984.

Photographies : © Michel Rothé

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