Arnold MANDEL
1913-1987
par Henri Hochner

ELEMENTS BIOGRAPHIQUES ET PARCOURS

Arnold Mandel est né à Strasbourg en 1913 à la veille de la première guerre mondiale. Sa famille, venue de l'Est de l'Europe (Galicie), imprégnée de hassidisme était pieuse, et appartenait à la communauté de stricte observance.

Le jeune Arnold reçut une éducation traditionnelle et poursuivit plus tard, à l'école rabbinique de Francfort, une formation juive approfondie.

Dès son plus jeune âge, il s'avère doué de bonnes aptitudes intellectuelles et de bonnes dispositions pour l'étude. A cette éducation juive poussée, Arnold Mandel associe une ouverture d'esprit vers la pensée occidentale, et très jeune se libère des comportements religieux. Après son renvoi de la yeshiva, il poursuit à la Sorbonne des études germanistes.

Attiré par Paris, par sa vie culturelle, il y mène une vie de bohème et de misère. Pour gagner sa vie il fait du journalisme et de la critique littéraire. Tout d'abord il collabore au journal consistorial L'Univers Israélite, dont le rédacteur en chef était Joseph Milbauer. On le retrouve aussi comme chroniqueur et critique dans de nombreux journaux juifs (Terre retrouvée - Evidences - L'Arche - Information juive etc.).

Dans sa jeunesse strasbourgeoise, Arnold Mandel est impressionné par les statues figurant sur le portail sud de la cathédrale, symbolisant l'Église et la Synagogue. Entre les deux figures, et en dessous, se situe la scène du jugement de Salomon, avec les deux femmes se disputant l'enfant vivant, qui pour les juifs représente la Synagogue, et l'enfant mort, l'Eglise. L'église au maintien altier et triomphant fait face à la synagogue aveuglée par un bandeau et portant un sceptre brisé, qui refuse dans son aveuglement de reconnaître en Jésus le Messie.
Cette oeuvre a inspiré à Arnold Mandel le titre d'un de ses romans La vierge au bandeau, dans lequel il nous livre une description exhaustive de cette statue aux yeux bandés, qui semble être plus voyante et gracieuse que l'orgueilleuse et triomphante église couronnée.

Au début de la seconde guerre mondiale, Arnold Mandel est arrêté sous le régime de Pétain. Il s'enfuit et rejoint l'Afrique du Nord où il est à nouveau interné, à Constantine. Libéré, il revient en métropole et intègre immédiatement la Résistance à Toulouse. En 1942 il cherche à passer en Suisse, mais il est intercepté à la frontière et sera interné dans un camp de réfugiés. En 1948, au moment de la déclaration de l'État juif, on le retrouve correspondant de guerre en Israël.

Dans les années 1950 il fait la connaissance d'Albert Camus à Alger. Ce dernier était journaliste à L'Alger républicain, et faisait scandale parce qu'il était plus ou moins pro-arabe. Quand Camus est devenu célèbre, Arnold Mandel a beaucoup apprécié ses livres principaux, L'Étranger, La Peste, mais a moins aimé le livre de pensées L'homme révolté, parce qu'il y développait une morale de gauche, alors que Mandel s'est plutôt situé à droite.

Arnold Mandel a aussi connu Jean-Paul Sartre, et a échangé avec lui bien des propos sur les aspects de la condition juive. Elie Ben Gal raconte que c'est à Arnold Mandel que J.P. Sartre s'est référé pour écrire ses Réflexions sur la question juive, et non pas à Raymond Aron comme on l'a souvent prétendu. Mandel considérait J.P. Sartre comme un écrivain au plein sens du terme, mais pensait qu'il s'était "suicidé" en s'ouvrant au marxisme.

Un juif orthodoxe mais non orthopraxe
Arnold Mandel est un écrivain à la plume acérée avec un net penchant pour le non-conformisme, et possède une immense culture juive. Il a été occulté par la critique littéraire française, et mériterait cependant une place originale dans cette littérature du vingtième siècle d'inspiration juive. Son répertoire est riche et varié, et de tous les auteurs juifs d'expression française c'est lui, en fin connaisseur, qui parle le mieux du judaïsme, n'ayant aucune estime ni considération pour les intellectuels juifs qui se déclarent laïcs et non-religieux.

Ses traditions et sa culture juive en font un homme engagé. Lors de son renvoi de la yeshiva, il éprouve un sentiment d'anathème et le ressent comme une excommunication. Certes, il n'est pas orthopraxe - ayant abandonné assez jeune la pratique religieuse, plutôt par tempérament et facilité, mais nous pourrions dire qu'il était orthodoxe au sens étymologique du terme, c'est-à-dire qu'il se conforme à la pensée correcte (même si du point de vue de la praxis il prend ses distances).

André Neher, séduit par le monde séfarade, a transmis à Arnold Mandel - qui appréciait Neher - cette inclination, qui par la suite faisait dire à Mandel qu'il se considérait comme un juif séfarade, disposant depuis toujours "d'une expérience affective juive". "Je n'ai jamais été dans l'obligation de chercher mon moi juif, et j'ai aussi vécu beaucoup d'années de ma vie, au moins dans ma toute première jeunesse, dans un milieu exclusivement juif" (1).

Arnold Mandel est un personnage entier et cassant, qui a contrebalancé l'indigence culturelle et la carence affective du judaïsme français officiel. Il s'est entièrement consacré à la vie culturelle juive dans la communauté, mais celle-ci ne l'a pas payé en retour.

Avant la seconde guerre mondiale, Arnold Mandel passe par une brève période révolutionnaire de tendance trotskiste, mais rapidement, et bien avant la fin de la guerre, il revient vers son monde juif qu'il n'avait d'ailleurs jamais quitté.

Un polémiste non-conformiste
Arnold Mandel est tout le contraire de l'homme mondain. Il n'a jamais cherché à faire carrière comme certains de ses confrères, devenus célèbres et qui le traitaient de vieux "schnorer" (mendiant). Très peu lui ont manifesté leur solidarité, et c'est dans un grand dénuement qu'il meurt, misérable et malade en 1987. Il a été enterré à Thiais en présence de quelques amis, et de son fils Yankel Mandel.

Mandel avait horreur de l'académisme. Essayiste, chroniqueur et critique redoutable, il n'a épargné personne, poursuivant sa voie, son éthique, ne se souciant guère de l'outrage qu'il pouvait provoquer, ne craignant personne lorsqu'il s'agissant de défendre la justice, le droit et la vérité. Ne cherchant pas à arrondir les angles, il s'est attiré de solides inimitiés et des rancunes tenaces. Son verbe, souvent, était assaisonné de vitriol, et sa plume acérée avait un penchant certain pour le non-conformisme et la polémique. Son style est vif, clair plein d'humour et parfois populaire.

Un révélateur de ses préoccupations et obsessions réside dans le choix de son vocabulaire, et il utilise avec prédilection des mots qui reviennent souvent dans ses récits, par exemple : "sidérant", "euphonie", "mélodie", déréliction"…

L'OEUVRE D'ARNOLD MANDEL

Ce Juif alsacien a rédigé une oeuvre abondante. Juif du dedans, il a consacré l'essentiel de ses travaux au judaïsme, méditant, réfléchissant, analysant de nombreux domaines juifs tels qu'Israël, le sionisme, l'amitié judéo-chrétienne, l'hébreu langue parlée, l'identité juive, le hassidisme etc…

Poèmes en prose
Mandel a écrit plus d'une dizaine de livres, dont un poème en proche Chair à destin, en 1946, préfacé par André Spire, et rédigé pour l'essentiel alors qu'il était interné dans un camp de réfugiés en Suisse. Chair à destin est une exhortation à l'adresse de son peuple, qui doit prendre conscience de l'ampleur de la catastrophe nazie. C'est une réflexion pathétique sur l'échec de l'émancipation, qui conduit très souvent le Juif vers l'auto-destruction. Dans ce petit livre, Mandel lance un cri de révolte devant le monde chrétien qui a transformé la lumière en ténèbres.
André Spire, dans sa préface, écrit : "c'est un lumineux et tragique raccourci de l'attitude du monde non-juif envers les Juifs".
L'oeuvre poétique en prose se réduit à Chair à destin et à Testament juif, qu n'a pas été publié à cause de son caractère trop exclusivement politique.

Essais
Ses essais sont nombreux : L'homme-enfant, La voie du hassidisme, La vie hassidique du 18ème siècle à nos jours, Nous autres juifs (qui a obtenu le Prix Wizo), puis un petit livre de proverbes : Le petit livre de la sagesse populaire juive, préfacé par Alfred Kern, professeur à l'Université de Strasbourg.

Romans
Son œuvre romanesque est riche et variée. En 1950 il publie son premier roman, Les temps incertains, suivi par Le périple en 1952, qui reçut le prix Dufau de l'Académie. Par la suite, Mandel a publié Les vaisseaux brûlés, Tikoun, Un apprentissage hassidique et Le Messie est en retard, auxquels il faut ajouter un recueil de nouvelles, Les cent portes.
A cette liste, il faut ajouter le très beau livre dont le titre Mélodie sans paroles ni fin est extrait des Vaisseaux brûlés. Il s'agit d'une compilation de chroniques et d'éditoriaux parus en leur temps dans la presse, réalisée par Victor Malka et Jacques Lazarus, et édités en hommage à sa mémoire, dans la collection Esprit en 1993.

A l'examen de cette grand oeuvre, on s'aperçoit que le vocabulaire utilisé dans les titres est emprunté au monde de la mystique et du hassidisme : "tikoun" (repentir), "la voie du hassidisme", "un apprentissage hassidique","le messie est en retard" etc.. Arnold Mandel, personne très sensible, a été interpellé par le hassidisme. Il l'a sans doute vécu dans sa famille, l'a étudié et l'a décrit avec chaleur et enthousiasme. A la lecture de ses livres et articles, on ressent cette chaleur sous-jacente. Dans Aujourd'hui être juif, il ressent le hassidisme comme "l'âme enchantée du judaïsme" (p.15). Il aime le hassidisme, il s'y intéresse beaucoup, et la formule de la Haskala (2) disant "Juif chez soi, homme au dehors", eh bien, Arnold Mandel l'a inversée !

CONCLUSION

Arnold Mandel aborde pratiquement tous les problèmes de notre temps, quelquefois en témoin des événements, souvent en acteur. Il écrit beaucoup, décrit amplement les personnages du monde hassidique, personnage qu'il aurait voulu être, qu'il aurait pu être. Hélas, Arnold Mandel est un hassid de salon, mais néanmoins se sent éminemment juif, comme il l'écrit dans Nous autres juifs.

Notes
  1. Actes du Colloque des Intellectuels juifs, Le Pardon, PUF 1965, p. 94    retour au texte
  2. Haskala : mouvement d'émancipation juif des Lumières, qui débute vers la fin du 18ème siècle    retour au texte


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