Léon Blum, juif et sioniste
par André BLUMEL (1)
Extrait de la REVUE DE LA PENSEE JUIVE, n°9, automne 1951



Léon Blum au Congrès d'Amiens,
janvier 1914 (Jaurès se trouve devant lui)
Croquis de H.P. Gassier

"Moi, qui suis né juif ", écrit Léon Blum dans sa critique d'Israël, la pièce de M. Henry Bernstein jouée le 13 octobre 1908.
Quand on dit qu'on est "né juif ", c'est en réalité... laisser entendre qu'on ne l'est plus.
Et pourtant, tout au cours d'une vie politique combative et accidentée, Léon Blum a revendiqué sa qualité de juif et, en 1950, quelques semaines avant sa mort, il affirmait sa foi sioniste.
La contradiction n'est qu'apparente, comme nous le verrons.

"Je suis né à Paris, le 9 avril 1872, écrira-t-il, Français de parents français. Ma maison natale, 151, rue Saint-Denis, existe encore et chacun peut en voir, en passant, la façade étroite et pauvre... Aussi loin qu'il est possible de remonter clans l'histoire d'une famille plus que modeste, mon ascendance est purement française. Depuis que les juifs français possèdent un état-civil, mes ancêtres paternels ont porté le nom que je porte aujourd'hui."

Sa famille, du côté paternel, est originaire de Westhoffen, localité du canton de Hochfelden (Bas-Rhin) qui fut autrefois un centre juif assez important.
Dans le Dénombrement général des juifs qui sont tolérés en la province d'Alsace en exécution des lettres patentes de Sa Majesté en forme de Règlement du 10 juillet 1784, sous le matricule 4-, figure la famille Baruch Abraham dont le petit-fils prit, en 1808, lorsque les juifs français furent dans l'obligation de prendre un nom propre, le nom de Moïse Blum. Léon Blum en est le descendant. Du côté maternel, les Picart sont originaires de Ribeauvillé, où on retrouve en 1747 un Picart Salomon, l'un des aïeux de Marie Picart, épouse d'Auguste Blum, père de Léon Blum. Ce dernier vint se fixer à, Paris aux environs de 1848.

Si ses parents semblent avoir été pratiquants, Léon Blum ne l'est pas.
L un des personnages des Nouvelles conversations de Goethe avec Eckermann fait connaître son sentiment sur la religion juive qui fut, à n'en pas douter, celui de Léon Blum :

Dans le peuple, la religion n'est qu'un ensemble de superstitions familiales auxquelles on obéit sans conviction aucune, seulement par respect envers les ancêtres qui s'y sont conformés pendant vingt siècles ; pour les gens éclairés, elle n'est plus rien. "
Et il écrira dans ses articles sur la pièce de Maurice Donnay Le Retour de Jérusalem, représentée le 3 décembre 1903, que cette pièce n'a pas choqué en lui
"des croyances religieuses dont, dit-il, je ne garde pas le moindre vestige " ni une solidarité de race toute chimérique. "

La race, il en précisera le caractère fallacieux au cours d'un discours prononcé en 1933 à la LICA (Ligue internationale contre l'antisémitisme) en pleine période d'expansion nazie.

Mon ami Bouglé, il y a quelques jours, rappelait en quelques mots, à grands traits, ce que tous les savants ont démontré depuis longtemps, qu'il n'existe pas chez les juifs de caractère ethnique uniforme, qu'entre les juifs d'une région ou d'une d'autre, et même entre deux juifs pris dans des régions différentes, il est impossible de trouver des caractères anthropologiques constants. La théorie elle-même est frappée de mille contradictions."

A défaut de religion, de race, au sens scientifique tout au moins - car nous verrons Léon Blum utiliser beaucoup cette expression - comment pouvait-il se dire juif ? Il y avait, d'abord, chez Léon Blum, : sa "noblesse", sa "générosité ", sa chevalerie" pour employer les propres expressions d'André Gide (2) qui lui interdisaient de se séparer d'une communauté humaine souvent persécutée ; mais, ensuite, sa propre définition du juif caractérisé en fonction de l'antisémitisme :

"On s'est demandé souvent, a-t-il écrit l'année de sa mort, s'il y a une race juive. Les savants répondront non. Mais Hitler en a donné une définition incontestable. La race juive comprend les femmes, les enfants, les hommes qu'Hitler avait condamnés à l'extermination totale."
Définition à, rapprocher de celle de Sartre : "Le juif est un homme que les autres hommes tiennent pour juif. "

Léon Blum était juif devant l'antisémitisme. Il l'était aussi devant l'injustice. Il fait dire à Goethe dans Les Nouvelles conversations :

"Le juif a la religion de la justice comme les positivistes ont eu la religion du fait, ou Renan la religion de la science. L'idée seule de la justice inévitable a soutenu et rassemblé les juifs dans leurs longues tribulations. Leur Messie n'est pas autre chose que le symbole de la justice éternelle, qui sans doute peut délaisser le inonde durant des siècles, mais qui ne peut manquer d'y régner un jour." (3)

Léon Blum avait "la religion de la Justice" (4). C'est elle qui 1'a conduit au Socialisme, qui a fait de lui l'homme d'Etat lequel a le plus amélioré la condition ouvrière en France, qui l'a guidé dans sa vie privée. C'est encore la "religion de la Justice" qui fut pratiquée avec exactitude pour les nominations qu'il effectua ou qu il inspira comme chef du Gouvernement. Ne peut-on lui appliquer ce qu'il pensait de Bernard Lazare lorsqu'il écrivait :

"Il y avait en lui (Bernard Lazare) un juif de la grande race. de la race prophétique, de'la race qui dit "un juste" là où d'autres ont dit un saint" ?"

Déjà Jaurès, dans une page splendide, avait constaté et magnifié l'apport de ces juifs dans la civilisation française :

"Nous perdrions beaucoup, disait-il, s'il ne s'était pas prolongé dans la conscience française le sérieux de ces grands juifs qui ne concevaient pas seulement la Justice comme une harmonie de beauté, mais qui la réclamaient passionnément, de toute la ferveur de leur conscience, qui en appelaient au Dieu juste, contre toutes les puissances de brutalité, qui invoquaient l'âge où tous les hommes seraient réconciliés dans la Justice et où le Dieu qu'ils appelaient, suivant l'admirable mot du ' psalmiste ou du prophète, "effacerait", essuierait, les larmes de tous les visages."

Donc, bien qu'imprégné de l'optimisme qui émanait de l'action et de la conception de Jaurès - après une prédilection pour l'anarchisme - Léon Blum. sans s'en dégager, se précise et s'affirme et, dans le cadre de cette étude - car Léon Blum est complexe et possède un fort penchant à l'esotérisme - va se présenter comme un Français laïc avec deux inclinations motrices : la réaction contre l'antisémitisme, l'amour passionné de la justice.

Alors viendront ses affirmations renouvelées, réitérées, constantes chez l'homme politique, qu'il soit militant socialiste, chef d'un parti révolutionaire ou Président du Conseil, de ses liens avec les juifs, tout en ne cessant pas, comme nous l'avons déjà vu, d'insister sur sa qualité de Français.

Dans la Chambre des Députés "bleu-horizon", le 11 janvier 1923, le royaliste Magne, député éphémère du Gard, lui lança : Il n y a place que pour des Français, ici " ; Léon Daudet ponctua : "A Jérusalem !" et - on ne sait pourquoi - M. Ybarnegaray le qualifia de "juif protestant" ; si bien que, dans le tumulte qui s'ensuivit, Léon Blum répliqua :

Je suis juif en effet... on ne m'outrage aucunement en me rappelant la race dont je suis né, que je n'ai jamais reniée, et vis-à-vis de laquelle je ne conserve que des sentiments de reconnaissance et de fierté."

Le journaliste allemand Frédéric Sieburg, dans un portrait de Léon Blum qu'il adressait de Paris en juin 1936, à la presse de son pays, ne s'y est pas trompé :

Jamais, il (Léon Blum) n'a cherché à cacher ses origines. Au contraire, il en est fier encore aujourd'hui et il voit en sa qualité de membre de la race juive, une garantie de cette faculté de souffr et de ce sens de la Justice que même ses adversaires les plus acharnés ne lui ont jamais contestés. "

Pour la première fois dans l'histoire politique de la France, un Président du Conseil vint s'expliquer directement devant le peuple. Après avoir reçu les délégués des usines métallurgiques de la Seine, Léon Blum, le 6 septembre 1936, dans une grande réunion publique à Luna Park, répondant à un argument selon lequel on peut assurer la paix en exaltant le sentiment patriotique, s'écriera, à propos de sa politique espagnole :

"Je suis un Français - fier de son pays, fier de son histoire, nourri autant que quiconque, malgré ma race, de sa tradition."

De' même, au cours de son procès devant la Haute Cour (de Riom) pendant l'occupation, il relatera sa conversation, en 1936, avec le docteur Schacht, alors ministre de l'Economie nationale et gouverneur de la Banque du Reich, affirmant nettement "je suis marxiste, je suis juif " comme une fois de plus, il avait répété au cours de ce même discours de la LICA du 26 novembre 1938 :

"Je suis un juif qui n'a jamais rougi de son origine, un juif qui a toujours porté son nom. "

Il est absurde de penser que Léon Blum a considéré "la race juive comme supérieure, comme appelée à dominer" (André Gide dixit en 1914) ou qu'il favorisât ses coreligionnaires ; une légende tenace, comme toutes les légendes, veut qu'il ait peuplé les cabinets ministériels de juifs : dans le sien propre, en 1936, il n'y en avait qu'un - l'auteur de ces lignes - (sur treize membres) ; mais il les fréquentait. Tous ses amis n'étaient pas juifs, ni tous les juifs ses amis, mais il avait des affinités avec eux ; ce n'est pas par un pur hasard que lui, que n'inspirait aucune préoccupation religieuse, que n'animait aucun souci de préservation raciale, devenu veuf deux fois, se soit remarié, une troisième fois, comme les précédentes, avec une juive.

Comme M. François Mauriac l'a écrit justement : Il avait un penchant pour les siens."
Les "siens" ne lui ont pas toujours montré la même inclination et nombre d'entre eux lui ont reproché avec virulence son activité politique socialiste, soit qu'ils craignissent une atteinte à leurs privilèges capitalistes, soit qu'ils redoutassent un accroissement de l'antisémitisme.

Un homme politique ne reçoit pas seulement que des compliments... Ses coreligionnaires fournissaient un très large lot de lettres injurieuses, outrageantes ou tout simplement viles. Certains retirèrent à l'avocat les dossiers qu ils lui avaient confiés ; il y eut même un 'hazan en exercice qui lui appliqua l'épithète de "sale juif", - et surtout, cette démarche, qui eût été une basse insulte et une vilenie, si elle n'avait été camouflée par une amitié d'enfance, d'un ministre important du culte israélite, personnage considérable dans la Comunauté juive, venant lui proposer, en mai 1936, s'il renonçait à la Présidence du Conseil, une indemnité égale, sa vie durant, au traitement de premier Ministre !
Rien ne le fit dévier de la ligne qu'il avait choisie.

"J'ai acquis devant les outrages ou les calomnies, me confiait-il, une impassibilité professionnelle analogue au sang-froid d'un couvreur sur un toit."

Il avait jugé sévèrement la pusillanimité de nombreux juifs dans ses Souvenirs. sur l'Affaire et constaté

"une sorte de prudence égoïste et timorée qu'on pourrait qualifier de mots plus sévères... Les juifs riches, les juifs de moyenne bourgeoisie, les juifs fonctionnaires avaient peur de la lutte engagée pour Dreyfus, exactement comme ils ont peur aujourd'hui de la lutte engagée contre le fascisme. Ils maudissaient secrètement ceux d'entre eux qui, en s'exposant, les livraient à l'adversité sééulaine. Ils ne le comprenaient pas mieux qu'ils ne le comprennent aujourd'hui, qu'aucune précaution, aucune simagrée ne tromperaient l'adversaire et qu'ils restaient les victimes aussitôt offertes de l'antidreyfusisnze ou du fascisme triomphant. "
Ces lignes prophétiques étaient écrites en 1935 !

Le 15 mai 1936, avant même la formation du gouvernement qu'il allait présider, à l'occasion d'un déjeuner offert par l'American Club, il décochait à ces juifs ce trait :

Je peux presque la revendiquer (la Révolution française), à double titre, car je ne me suis jamais targué, et je ne me siis jamais caché non plus, d'appartenir à une race qui a dû à la Révolution française la liberté et l'égalité humaines, et qui ne devrait jamais l'oublier. "

Le 26 novembre 1933, après son passage au pouvoir, il précisait courageusement dans ce discours à la LICA que j'ai déjà cité, et avec ce don de prescience qu il avait souvent :

"Je dirai ici tout ce que je pense, même si je dois offenser les sentiments d'autres juifs, même si je dois m'inscrire contre des paroles prononcées ou publiées récemment par des hommes qui, tout au moins au point de vue religieux, peuvent passer pour les représentants des juifs.
Je ne verrai rien au monde de si douloureux et si déshonorant que de voir des juifs français s'appliquer aujourd'hui à fermer les portes de la France aux réfugiés juifs des autres pays. Qu'ils ne s'imaginent pas qu'ils préserveraient ainsi leur tranquillité, leur sécurité. Il n'y a pas d'exemple dans l'histoire qu'on ait acquis la sécurité par la làcheté et cela ni pour les peuples, ni pour les groupements humains, ni pour les hommes."

La catastrophe déferla sur le monde. Emprisonné par Pétain qui le détestait, Léon Blum condamné par lui avant jugement, fut également livré par lui à la Gestapo. Quand il revint de déportation, le nouveau président du Consistoire Central des Israélites de France, M. Léon Meiss, lui adressa une lettre de sympathie déférente, et à sa mort, l'organe du Consistoire israélite écrivit :

La Communauté juive se doit d'honorer la mémoire de Léon Blum, qui a été non seulement un grand Français... mais aussi un grand Juif, qui n'a jamais manqué de se manifester comme tel, qui, en cette qualité, a subi les pires outrages; les plus viles attaques, les plus dures épreuves sans que son courage ait jamais fléchi..."

Il ne rentre pas dans le cadre de cet article d'examiner l'attitude et la politique de Léon Blum à l'égard du catholicisme et du Saint-Siège.
Je me contenterai d'indiquer qu'il a fait triompher dans le Parti Socialiste la formule guesdiste : "la religion est une affaire privée" sur celle des blanquistes : "ni dieu, ni maître". Comme Président du Conseil, rompant avec une tradition qui datait du début du siècle, il. est allé à la Nonciature pour l'anniversaire du Pape, ce que ne faisait aucun de ses prédécesseurs depuis M. Combes. Louis Marin, qui combattait, avec un acharnement sans faille, le Gouvernement de Front Populaire, déclarait à l'époque que "jamais un Gouvernement français n'avait été aussi bien vu au Vatican."

Sioniste, il ne l'était pas encore en 1903 lorsqu'il rendait compte du Retour de Jérusalem. C'est le professeur Weizmann qui, suivant sa propre expression, l'a "enrôlé". Il semble que la première guerre mondiale attira son attention sur les problèmes spécifiquement juifs et que, vers 1918, il se soit passionnément intéressé à la cause sioniste. Il a raconté à Marc Jarhrblum, comme il que l'a raconté plusieurs fois à moi-même, comme il l'a écrit, comment, après la déclaration Balfour sur le Foyer national juif, il avait usé, au moment de la Conférence de la Paix, de ses relations considérables, de son amitié profonde avec son voisin et ami intime, Philippe Berthelot, pour obtenir la levée simultanée de l'opposition française contre l'attribution du mandat palestinien à la Grande-Bretagne, et de l'opposition américaine contre l'attribution du mandat syrien à la France. "

Le mandat donné à la Grande-Bretagne prévoyait la constitution d'un organisme, "l'Agence Juive", chargé de coopérer avec le Gouvernement mandataire par le concours de tous les juifs s'intéressant au Foyer national juif.
L'invitation fut donc adressée au judaïsme français d'envoyer des délégués choisis parmi ceux n'appartenant pas à des organisations sionistes en vue de participer à une assemblée qui serait à la fois le seizième congrès sioniste et le congrès d'élargissement de l'Agence Juive. Il se réunit à Zurich, du 28 juillet au 14 août 1929. Un comité d'initiative avait été créé en France qui désigna trois délégués, dont Léon Blum, alors député et leader du Parti Socialiste français. Léon Blum intervint au congrès, naturellement dans la seule langue qu'il parliât, le français. Je n'ai pu retrouver, malgré mes recherches, aucun texte français donnant un compte rendu complet de son intervention. Il existe un résumé allemand du procès-verbal du congrès, qui a été retraduit pour moi, obligeamment, par M. Paul Giniewsky, de la Terre Retrouvée.

Après avoir indiqué que son activité était consacrée au socialisme international, Léon Blum affirma qu'il n'avait jamais renié son origine et qu'il l'a même toujours revendiquée avec fierté, mais qu'il était détaché de toute foi et de toutes pratiques religieuses ; il a salué Einstein, présent au congrès, a célébré le peuple juif, "la grande victime de l'histoire", et ajouté que la Palestine juive était une anticipation de la nation internationale qui mérite non seulement l'admiration du judaïsme mais aussi de toute l'humanité.


memorial Léon Blumau kiboutz Kfar Blum
oeuvre d'Avishaï Teicher , novembre 2008
Le 10 novembre 1943, Léon Blum étant déporté en Allemagne, un kiboutz qui porte son nom, Kfar Blum, c'est-à-dire "Village Blum", fut inaugurée en Palestine. Mosché Shertock (Sharett), futur ministre des Affaires étrangères du futur Etat d'Israël, évoqua l'apparition de Léon Blum au congrès de Zurich :

Peu de juifs, dit-il, dans les pays occidentaux, ont aussi bien compris que lui la signification intime, la nécessité absolue de notre oeuvre de reconstruction en Palestine. Bien rares sont ceux qui ont saisi comme lui, et aussi fortement que lui, l'esprit de renaissance nationale, aussi bien que sociale, qui anime cette oeuvre. Il parla à Zurich en juif convaincu, et enthousiaste... "
Sous la première pierre de la première maison fut scellé un texte :
"Hommage à Léon Blum, en ce moment dans la douleur, lumière dans le monde, défenseur des travailleurs, combattant pour la justice, qui n'a pas cherché a préserver son existence, bien qu'il en eût la possibilité."

Il existe un opuscule de Léon Blum qui a pour titre : Le devoir international vis-à-vis du Foyer national juif, paru peu auparavant. A mon avis, bien que publié sous son nom, et vraisemblablement avec son autorisation, cet opuscule n'a pas été rédigé par lui. J'avoue ne reconnaître dans cet écrit aucune des caractéristiques de la pensée ni du style de Léon Blum. Harcelé parfois par telle ou telle personne qui lui demandait une lettre ou un message, Léon Blum lui disait : "Faites-le donc vous-même" ; il donnait ensuite son imprimatur, et le texte partait, avec la signature de Léon Blum, et comme étant de lui-même. Il y avait à cette époque, vivant à Paris, un sioniste d'envergure, le docteur Victor Jacobson. Est-ce lui qui est le véritable auteur de ce texte ? Est-ce un autre ? Je l'ignore, mais Léon Blum a certainement connu ce travail. L'a-t-il relu ? L'a-t-il corrigé ? Je l'ignore.

Léon Blum fut cruellement déchiré par l'obstination de Bevin et la politique du cabinet travailliste à l'égard de la Palestine juive. Il intervint sans succès auprès d'Attlee à qui l'unissaient des liens personnels d'amitié, mais il n'hésita pas ; il proclama son opinion pro-israélienne dans de nombreux articles et même il aida de toutes ses forces à l'avènement de l'Etat d'Israël (5).

Dans l'affaire de l'Exodus, il encouragea le socialiste Ramadier, Président du Conseil, à ne pas violenter la volonté des immigrants dont le débarquement forcé fut empêché par l'énergie résolue d'Edouard Depreux, ministre de l'Intérieur, malgré les pressions continues du Gouvernement britannique. Première victoire d'Israël, grâce à l'attitude de la France !

Le 1er février 1950, le Keren Kayemeth Leisrael (Fonds National juif), avait organisé un banquet en l'honneur du professeur Weizmann, Président de l'Etat d'Israël ; Léon Blum, dans l'incapacité physique de s'y rendre, adressa un message dont - lui qui ne se citait pour ainsi dire presque jamais - il répéta, mot pour mot, un passage, dans une lettre adressée à Guy de Rothschild pour la réunion inaugurale du Fonds National juif unifié, peu de temps avant sa mort, montrant; ainsi la fermeté définitive de sa conception :

"Juif français, né en France d'une longue suite d'aïeux français, ne parlant que la langue de mon pays, nourri principalement de sa culture, m'étant refusé à le quitter à l'heure où j'y courais le plus de dangers, je participe de toute mon âme à l'effort admirable miraculeusement transporté du plan du rêve au plan de la réalité historique qui assure désormais; une patrie digne, égale et libre à tous les juifs qui n'ont pas eu, comme moi, la bonne fortune de la trouver dans leur pays natal. J'ai suivi cet effort depuis que le président Weizmann me l'a fait comprendre. Je m'en suis toujours senti et je m'en sens plus que jamais solidaire."
C'était là une sorte de testament sioniste, achèvement de sa pensée. Son but n'est pas de "rassembler tous les exilés", mais tous les juifs qui n'ont pas de patrie, ou qui n'ont qu'une patrie marâtre.

Ainsi, proche de la fin, se mêlaient dans une aspiration finale son patriotisme français, sa solidarité juive et aussi son esprit socialiste qui lui faisait admirer les réalisations de Palestine, lesquelles avaient su concilier la justice sociale et la liberté.

La dernière conversation que j'eus avec lui, quelques semaines avant sa mort, chez moi, où il était venu me voir à l'improviste, porta exclusivement sur Israël où il désirait tant se rendre.

Son dernier article, paru dans le New-York Forward, était consacré à la Question de Jérusalem :

Israël s'est constitué lui-même, écrivait-il, s'est conquis lui-même. Il a conquis lui-même de vive force, au prix du sang de ses meilleurs enfants, sa capitale historique. Est-il-juste, est-il possible de lus arracher... Il faut qu'elle (l'ONU) se rallie enfin à la seule solution qui satisfasse à la fois, par une bonne fortune assez rare, aux exigences. de la réalité et. aux commandements de la justice. "

Aux yeux d'André Gide, Léon Blum est un "admirable représentant du Sémitisme et de l'Humanité".
C'est son dernier éloge.

Notes :

  1. André Blum dit Blumel (1893-1973) est un avocat français , proche du parti socialiste, puis du communisme après la seconde guerre mondiale. Juif d'origine alsacienne né à Paris, il devient également sioniste et pose les première bases de la coopération internationale entre la France et Israël. Il sera l'un des plus proches collaborateur de Léon Blum et accède à la Fonction de directeur de cabinet, à Matignon, après la victoire du Front Populaire en 1936. Vivement opposé au fascisme, il sera grièvement blessé à Clichy en 1937 dans une manifestation, ce qui lui vaut une certaine notoriété dans le milieu socialiste. Pour en savoir plus, consulter l'article de : André Blumel, un itinéraire sioniste à la croisée des chemins ; Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem , 2008 (n.d.l.r.)     Retour au texte.
  2. Pour ceux qui voudront examiner les constantes et les variations d'André Gide à l'égard de Léon Blum, voir notamment son Journal (24 janvier 1914, 8 et 9 janvier 1948) et son curieux article dans l'hebdomadaire Vendredi du 5 juin 1936.
    Jamais Léon Blum n'a tenu rigueur à André Gide de ses pages de 1914. J'ai participé, du reste, à déjeuner intime qui se place, je crois, immédiatement avant juin 1936, au domicile de Léon Blum, où les convives étaient exclusivement : André Gide, le chargé d'affaires de l'URSS, Léon Blum et moi. Léon Blum n'a cessé de manifester l'amitié la plus nette, la plus franche sans restrictions, comme s'il découvrait toute sa pensée à André Gide qui, de son côté, montrait à Léon Blum une cordialité affectueuse, nuancée d'une considération qui lui donnait une ombre de timidité.     Retour au texte.
  3. Léon Blum m'a raconté un curieux propos de Wimton Churchill, Après son retour de déportation, Winston Churchill vint déjeuner ou dîner chez lui. C'était la première fois que les deux hommes se revoyaient depuis 1940. Laissés seuls après le dessert, Winston Churchill subitement s'attendrit : "Ah ! mon pauvre Léon Blum, je ne pensais pas vous revoir ; heureusement, un jour, après une longue inaction, Dieu se dit : "Que devient mon bon serviteur Léon Blum ?" Il envoie un archange sur terre qui revient avec un rapport inquiétant : "Léon Blum est en grand danger". Alors, d'un bon mouvement, Dieu le sauve !
    "Un jour aussi, Dieu courroucé s'exclame : "Et ce Churchill, en voilà assez", et il est chassé du pouvoir, seulement, moi, Léon Blum, je n'ai pas dit "amen" !.     Retour au texte.
  4. André Gide écrira : "Un grand besoin de vérité et de justice anime les meilleurs représentants d'Israël, anime Blum en particulier."     Retour au texte.
  5. Bien entendu, sans la moindre anglophobie, ni arabophobie. Sur le premier point sa politique est trop connue pour que je la rappelle ici ; sur le second, il est notamment co-auteur de la fameuse loi Blum-Viollette sur le droit de vote des musulmans algériens, et après la Libération, président du Gouvernement Provisoire et ministre des Affaires étrangères pendant quelques semaines, il nommera, sur les conseils de M. Yves Chataigneau, alors gouverneur général de l'Algérie, un musulman - fait sans précédent - comme représentant diplomatique de la France auprès de l'Arabie Séoudite.     Retour au texte.


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