JOSEL dit JOSSELMANN de ROSHEIM
(1478 -1554)
par Robert Weyl
Extrait du Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne n°19 juin 1992


Sceau de Josselmann de Rosheim
cf. l'article de R. Weyl : Trois sceaux, trois époques du destin des juifs d'Alsace
JOSEL dit JOSELMANN de Rosheim (Joseph Ben Gershon, Joseph LOUHANS), syndic général des Juifs du Saint-Empire romain germanique, Oberster über aile Juden deutscher Nation (I), (* Haguenau ? vers 1478 d. Rosheim ? vers 1554). Fils de Gershon ben Abraham et de Reisel. Selon une tradition, la famille serait originaire de Louhans, Saône-et- Loire, car il signa un jour "de la famille Loans", mais sa parenté avec Jacob Je'hiel Loans, médecin de l'empereur Frédéric III, est discutée. Sa famille vivait à Endingen, Bade, lorsqu'en 1471 les trois frères de son père furent accusés de meurtre rituel, torturés et brûlés vifs. Gershon parvint à fuir et s'installa à Obernai. Des bandes armées suisses ravageant l'Alsace, s'attaquant plus spécialement aux Juifs, il alla se réfugier à Haguenau, où il épousa vraisemblablement Reisel et où J. est peut- être né. L'insécurité les obligea à se réfugier derrière les murs du Haut-Barr et de La Petite Pierre. Vers 1484, Gershon mourut alors que J. n'avait que six ans. Il fut élevé par la famille de sa mère à Haguenau et reçut une solide éducation juive.

Lorsqu'il en eut l'âge, J. alla s'installer à Mittelbergheim où il gagna sa vie comme prêteur d'argent et en faisant de petites affaires.

En 1507, le Magistrat d'Obernai obtint de l'empereur Maximilien qu'il renonçât à la protection des Juifs de la Préfecture impériale de Haguenau, après quoi il décréta l'expulsion de ses Juifs. On chargea J. de plaider la cause des Juifs d'Obernai devant l'empereur. Celui-ci revint sur sa décision et ordonna au Magistrat d'Obernai de garder ses Juifs.

En 1514, J. fut accusé de meurtre rituel en même temps que sept Juifs de Mittelbergheim, et emprisonné durant deux mois à Obernai. La découverte du véritable coupable, un chrétien, fut suivie de leur libération.
En 1515, nouvelle menace sur les Juifs d'Obernai, que le Magistrat voulut expulser. L'évêque de Strasbourg et les seigneurs d'Andlau voulurent chasser les Juifs de Mittelbergheim, Blienschwiller, Nothalten et autres lieux. J. courut à Coblence plaider leur cause devant Maximilien. L'affaire s'acheva par un compromis entre l'évêque, les seigneurs d'Andlau et J. Obernai fut condamné par défaut.

En 1519, les Juifs de Dangolsheim furent menacés d'expulsion. J. réussit à intéresser l'évêque de Strasbourg et le grand bailli de Haguenau à leur cas. Les Juifs de Dangolsheim purent rester.

En 1520, à la mort de Maximilien, son petit-fils Charles Quint fut couronné empereur à Aix-la-Chapelle. J. se présenta à lui et obtint une charte de protection pour tous les Juifs du Saint-Empire. Mais la protection impériale était d'une efficacité toute relative, car, en cette même année, les Juifs de Rosheim et ceux de Kaysersberg furent menacés d'expulsion. Si J. obtint l'annulation de l'ordre expulsant ceux de Kaysersberg, le Magistrat de Rosheim demeura intraitable, se contentant de surseoir à l'exécution.

En 1522, J. engagea une négociation très complexe qui rouvrit aux Juifs les portes d'Obernai.

En 1525, l'Alsace trembla devant des bandes de paysans révoltés. J. rencontra les chefs de l'insurrection à Altorf et, moyennant une rançon de 80 florins, obtint que les bandes armées contournent Rosheim sans l'investir et s'engagent à épargner les Juifs se trouvant sur leur passage.

En 1528, le Magistrat de Rosheim obtint du roi Ferdinand, frère de Charles Quint et futur empereur, un ordre d'expulsion des Juifs de la province. J. se rendit à pied jusqu'à Prague où il demanda audience à Ferdinand. Celui-ci consentit à rapporter son ordre d'expulsion.

En 1529, trente-six Juifs de Pösing en Moravie accusés de meurtre rituel d'un jeune garçon montèrent sur le bûcher. Leurs prétendus complices de Marchegg allaient subir le même sort lorsque le jeune garçon fut retrouvé vivant. J. présenta au roi Ferdinand un mémoire citant les déclarations de plusieurs papes et souverains quant à ces prétendus meurtres rituels.

En 1530, la rumeur accusa les Juifs de trahison au bénéfice des Turcs. J. réussit à convaincre l'empereur que toutes ces accusations étaient fantaisistes. La même année, on voulut interdire aux Juifs la seule activité qui leur avait été laissée, le prêt d'argent. J. sollicita et obtint de l'empereur le renouvellement des privilèges accordés par l'empereur Sigismond.
En 1531, il suivit la cour en Brabant durant trois mois et réussit à s'entretenir avec l'empereur.
En 1532 se place la curieuse affaire du prosélyte Salomon Molcho, venu à la Diète de Ratisbonne, annoncer à l'empereur qu'il allait lever une armée juive contre les Turcs. J. avait vainement tenté de l'en dissuader. Molcho périt sur le bûcher.

En 1530 avait paru un livre, Der gantz jüdisch Glaub, dont l'auteur était un juif converti, Anton Margarita, petit-fils d'un talmudiste réputé. Cet ouvrage reprenait très habilement tous les thèmes de l'antisémitisme et risquait de faire beaucoup de tort à tous les Juifs de l'Empire. L'empereur Charles Quint exigea de J. qu'il engageât, en sa présence, une "disputation" avec Antoine Margarita. Elle eut lieu le 25.6.1530. J. démontra, textes à l'appui, qu'il n'existait aucune haine chez les Juifs contre les Chrétiens, et que, fidèles à l'enseignement, ils ne voulaient pas se souvenir des persécutions subies en Egypte, mais seulement de leur hospitalité. Il insista sur la fidélité des Juifs à l'autorité des pays d'accueil, selon l'enseignement du prophète Jérémie. L'argumentation de J. impressionna Charles Quint qui donna l'ordre d'expulser Margarita de la ville d'Augsbourg.

Une nouvelle affaire de meurtre rituel éclata en Silésie. Quelques Juifs montèrent sur le bûcher. On voulut bien reconnaître l'innocence des autres contre le versement de plus de 600 florins au margrave Georges par l'entremise de J. Luther avait souvent pris position en faveur des Juifs persécutés et fait de gros efforts pour les faire entrer dans la religion réformée. C'est vers 1536 qu'il se rendit compte que ses efforts resteraient vains, et que les Juifs demeureraient inébranlables dans leur foi. Sa déception se traduisit en écrits haineux et incendiaires, dans le sens propre du terme. C'est sans doute à son instigation que l'électeur Johann Friedrich de Saxe résolut de chasser les Juifs de ses terres. J., se munissant de quelques lettres d'introduction du Magistrat et de savants chrétiens strasbourgeois, voulut le rencontrer, mais Luther refusa de le recevoir. J. se rendit à Francfort où se trouvaient non seulement l'électeur de Saxe, mais aussi celui de Brandebourg et de nombreux théologiens chrétiens. J., devant cette illustre assemblée, entreprit de réfuter l'argumentation de Luther et de Martin Bucer ; il fut favorablement écouté. On apprit aussi à ce moment que les 38 Juifs brûlés à Berlin en 1410 pour le vol d'un ostensoir étaient innocents de ce crime, mais que l'évêque avait interdit au confesseur du duc de Brandebourg de lui révéler la vérité. L'assemblée fut émue par cette révélation et les projets d'expulsion furent oubliés (1537).

En 1541, le seigneur de Pappenheim et le comte palatin de Neubourg accusèrent les Juifs de Tittingen du meurtre d'un jeune paysan. J. réussit à les disculper. Il eut moins de chance en 1544 lorsqu'il tenta devant les instances de Wurtzbourg et de Spire de défendre cinq Juifs, un homme, trois femmes et une jeune fille, accusés de meurtre rituel. La jeune fille était morte dans les supplices lorsque J. put présenter aux juges une lettre de l'empereur entraînant l'acquittement des accusés.

Le 15 avril 1544, Charles Quint, sur les instances de J., accorda aux Juifs du Saint-Empire le "grand privilège". C'était la charte la plus libérale et la plus généreuse jamais octroyée aux Juifs, leur accordant la sécurité dans leurs déplacements et leurs travaux. Aucun signe distinctif en dehors de leur résidence ne devait leur être imposé ; ils ne devaient être ni arrêtés, ni torturés, ni dépouillés, ni tués ; l'instruction des procès devait se faire en équité et les jugements soumis à l'empereur, leur seigneur suprême et juge ; du fait de leur exclusion de la plupart des activités professionnelles, le prêt d'argent leur était permis. J. salua la promulgation de cette charte avec joie, mais il ne pouvait ignorer que la bonne volonté de l'empereur était tempérée par la faiblesse de son pouvoir face à celui des princes. Durant la guerre que l'empereur livra aux princes protestants de la Ligue de Smalkalde, les Juifs furent persécutés par les deux adversaires, et J., une fois de plus, implora la protection de l'empereur et demanda à ses coreligionnaires de faire un effort financier volontaire pour porter aide à leur protecteur (1546). L'attitude hostile des villes de la Décapole, en 1548, amena une nouvelle fois J. à en appeler à l'empereur.

C'est vers cette époque que Calvin publia son pamphlet Ad quaestiones et objecta Judaei cuisdam Responsio, dans lequel apparaît un contradicteur juif, que l'on suppose être J. En 1551, il se présenta à la Diète d'Augsbourg, et tenta d'obtenir un adoucissement aux interdits menaçant la dernière activité laissée aux Juifs, le prêt à intérêt, ainsi que l'annulation des mesures d'expulsion prises contre les Juifs du Wurtemberg et de Bavière. Les dernières activités connues de sa vie concernent une fois de plus les Juifs d'Alsace menacés d'expulsion, ceux de Kaysersberg, de Dangolsheim et de Rosheim. On ignore s'il est mort à Rosheim et si le cimetière de Rosenwiller conserve ses ossements.

J. bénéficia d'un prestige considérable parmi ses coreligionnaires, qui lui donnèrent le titre de Parnas u-Manhig ve-Shtadlan ha-Medina, chef et porte parole des Juifs du pays. Lui-même se servit du titre de Gemeiner Jüdischkeit Regierer im deutschen Land, ce qui lui valut quelques ennuis devant la Diète de Spire (1535), car seul l'empereur lui-même pouvait se prévaloir de ce titre ; il se désignait aussi comme Befehlshaber der ganzen Judenschaft, chef de la Nation juive du Saint-Empire. J. possédait une forte culture juive, sans cesse augmentée au contact des rabbins rencontrés au cours de ses nombreux voyages et des jours passés à attendre une audience. Il est l'auteur d'un écrit Iggeret Ne'hama (1530), qui est une défense du judaïsme contre les attaques de Martin Bucer, qui fut lu chaque Shabath dans les synagogues. En 1530, il avait réuni les chefs des principales communautés juives de l'Empire afin d'établir un code de moralité relatif au prêt d'argent, aux affaires commerciales, aux relations avec les non-Juifs. Il intervint aussi dans les conflits internes aux communautés (Prague, 1534), ce qui lui créa des ennemis et faillit lui coûter la vie. Son réalisme lui fit prendre position contre les mouvements messianiques de son temps, ceux de David Reuveni et de Salomon Molcho. La personnalité de J. dut impressionner ses interlocuteurs. Il s'était créé entre Charles Quint et lui- même des liens faits d'estime et, peut-être, de sympathie. Les termes de la lettre de recommandation que lui fit le Magistrat de Strasbourg en 1537 pour l'électeur de Saxe sont, eux aussi, révélateurs. A sa demande, le Magistrat de Strasbourg avait interdit l'impression et la diffusion dans sa ville des libelles anti-juifs écrits par Luther (1543).

J. écrivit des mémoires allant des années 1471 à 1547, dont le manuscrit original en hébreu est en grande partie conservé au British Museum. On y distingue plusieurs parties. Sefer ha-Miqneh, qui comprend des mémoires, des méditations d'ordre éthique et des homélies inspirées par le Derekh Emuna d'Abraham Bibago. Derekh ha-qodesh, la voie de la Sainteté, dont quelques passages ont été copiés par le rabbin Joseph Juspa Hahn dans son Yosef Omez. Le Ms du British Museum (Catalogue Neubauer 2206) a été publié par J. Kracauer, Journal de rabbi Joselmann de Rosheim, REJ 16, 1888, p. 84-105 et traduit par S. Schwarzfuchs, Les mémoires de Josselman de Rosheim, Revue du fonds social juif unifié 3, n° 9, octobre 1954, p. 21-23. Les AMS (Série III, L 174) et les Archives de Wetzlar (F 2615) conservent une partie de sa correspondance, citée par E. Scheid, Histoire des Juifs d'Alsace, Paris, 1887, rééd. 1975, p. 368 et s.

Bibliographie :

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