Nicole Goetschel née Hirsch
1933 - 2019

Hommage à Nicole Goetschel (Hesped)
prononcé par le grand rabbin René Gutman
le soir de son enterrement : samedi 2 novembre 2019 à Jérusalem

Sur le verset du Cantique des Cantiques (5:2) : " פתחי-לי אחתי רעיתי יונתי תמתי "
"Pit’hi li a’hoti, ra’ayati, yonati, tamati "
"Ouvre-moi, ma sœur, a’hoti ma bien aimée, ra’ayati ma bien aimée, yonati ma colombe, tamati ma parfaite..."

Nicole et Roland Goetschel, mars 2014

"Tamati" : Rabbi Yona enseigne : "c’est comme deux jumeaux : si l’un a mal à la tête, l’autre ressent aussi." De même en parlant de Hashem et d’Israël, D. dit : "Je serai avec lui dans la détresse" (Psaume 91:11).
Quel autre verset, que celui-ci, traduirait de la façon la plus spontanée qui me soit venue à l’esprit, les termes par lesquels, nous, qui avons tant connu et aimé Nicole, pourrions la qualifier ?

Et comment ne serions-nous pas à tes côtés, cher Roland, et avec vous tous, ses enfants, petits et arrière petits-enfants, dans la même détresse que celle qu’Hashem ressent à la disparition de ses proches. En même temps, en énonçant son rapport avec Israël en termes de lien entre un père, avec celle qu’il appelle également, au Psaume 145:11 "ma fille !" "biti", cette détresse est néanmoins atténuée par l’immense affection qu’Il porte pour celle qui est "Sa bien aimée "ra’ayati", or c’est , si l’on peut s’exprimer ainsi, cette même affection que nous ressentons pour Nicole, qui était, pour beaucoup d’entre nous, notre " bien aimée" "ra’ayati". Elle qui était, au sein de notre kehila de Strasbourg, comme elle le fut à Jérusalem, par son caractère aimable, toujours cordiale ne voyant que le bon côté des choses, "yonati, tamati" "ma colombe, ma parfaite" !

Celle qui, pour Jean Hirsch za"l disparu il y a environ un an, fut, et resta jusqu’à son dernier souffle "ma sœur !" "a’hoti". Cette sœur, avec qui Jean partagea les années sous l’Occupation à la Châtre. Ce fut une période au bonheur, certes relatif, une période sombre aussi, mais dont elle ne s’est pas plainte, même si elle vit mourir son père qui fut si éprouvé par sa captivité en Allemagne, et qui décéda au lendemain de la guerre, en 1946. Jean et Nicole furent, bien trop tôt, orphelins de père. Après avoir grandi auprès de sa maman, Camille, et de son oncle Moïse Strauss, et tout en poursuivant ses études, elle s’investit dans les mouvements de jeunesse, que ce soit au Mercaz ou à Yechouroun.

Ayant achevé ses études de puéricultrice, elle choisit de se dévouer pour les enfants de déportés que le grand rabbin Deutsch avait accueillis au Foyer de l’Avenue de la Forêt Noire, le grand rabbin Deutsch, auprès de qui, son frère Jean, ainsi que Roland étudiaient la Guemara. Jean a-t-il connu quelque moment de distraction pendant qu’il était plongé dans ses textes pour y penser, je préfère dire qu’il fut inspiré ! il n’empêche que c’est lors d’un de ces cours qu’il proposa sa sœur à Roland, comme Chidou’h (fiancée).

Etre puéricultrice, s’occuper des petits enfants, cela renvoie à nos textes concernant les sages-femmes israélites, ces "meyaledoth" et ces mères aussi, que le Midrach compare à des lionnes. De fait, cette capacité naturelle des femmes israélites à être rapides pour enfanter, comme cette promptitude des meyaledoth pour aider à l’accouchement, renvoie selon le Maharal, au concept de la forme, de la "tsoura" contrairement à la nature du "‘homer", de la matière. Or, Tel est Israël, dit le Maharal dans son livre Guevouroth Hashem, dont l’essence échappe à la matière. C’est que tout ici, relevait de leur "yirath Shamayim" (crainte des Cieux) : "ki yaréou hameyaldot eth ha Elokim", "Mais les sages-femmes craignaient D." (Exode 1:17). C’est donc au-delà de leur nature que ces sages-femmes eurent le mérite, disent nos sages, de "fonder des Maisons". Par elles, s’édifia la Maison d’Israël ! Cette Maison d’Israël, telle fut votre maison ! Nicole y avait accueilli avec Roland son oncle Moïse Strauss, sa mère Camille Hirsch, sa belle mère Mathilde, puis Clarisse.

Mais recherchant encore les attributs de la Knesset Israël (la communauté d'Israël) à travers l’Ecriture, le Midrach ajoute, en ce fondant sur Isaïe 51:4 celui de Mère : " Ecoutez-moi, vous qui êtes mon Peuple ! Prêtez-moi l’oreille, vous qui formez ma Nation (léoumi) !"Le Midrach a remarqué que le mot "léoumi" "ma Nation"est écrit de manière défective, en ketiv ‘hasser, et donc au lieu de le lire ce que la Tradition nous demande de lire la leçon dite "lue" "qerê", "karyan velo ketivan" [lecta, sed non scripta] ce qui donne en effet le mot "léoumi" il nous invite à le lire tel qu’il est écrit "ketivan velo karyan" [scriptum, non lectum] à savoir, "imi" "ma mère".

En tant que mère, Nicole, cette enfant de Hatten fut assurément exemplaire, elle qui vous éduqua dans la Torah et la yirath Shamayim (crainte des Cieux), s’occupant de son foyer tout en conjuguant ses obligations familiales avec ses activités communautaires, en particulier en rendant visite aux malades. En ce sens elle fut le modèle digne de cette temimouth (perfection) dans l’action publique, cette intégrité qui en faisait notre "tamati" à Strasbourg. Sa maison était toujours ouverte, et la table du Shabath accueillait toujours des invités. J’en fus souvent témoin durant mes études lorsque Roland m’invitait à Strasbourg, et c’était chaque fois un délice, un ‘oneg Shabath, autant pour l’esprit que pour les sens.

Durant cette période, tu savais, Roland, que tu pouvais compter sur elle durant toute ta carrière universitaire qui t’avais éloigné de Strasbourg pour rejoindre Paris, mais toi qui savais qu’en rentrant de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, ou de l’Université, avec quelle joie elle t’attendait, et avec quelle passion elle suivait l’avancée de tes recherches avant que tu ne diriges le Département d’hébreu de l’Université de Strasbourg. Tu lui dois, à une époque où la saisie se faisait à la machine à écrire, d’avoir patiemment frappé ta Thèse, et continué tout au long de ces années à t’aider dans tes recherches. Par son esprit vif, et ses larges connaissances du judaïsme elle t’inspira également. Patiente et vaillante, véritable "echèth ‘hayil" (femme vertueuse - cf. Proverbes ch. 31) , elle eu aussi le mérite de t’attendre lorsque tes déplacements te menaient jusqu’à Bruxelles. Rares ceux qui comme toi eurent le courage de poursuivre leur enseignement à l’Université libre, très vite épuisés par les longues heures de train, et les prolongations nocturnes que ces cours entraînaient bien au-delà de l’horaire prévu. Elle avait compris combien cela comptait pour les promotions d’étudiants auxquels tu te voulais fidèle.

C’est dire si votre alya ("montée" en Israël) vous offrit une nouvelle forme d’existence, et en particulier vous permit de vous rapprocher de vos enfants, de voir grandir vos petits enfants et naître vos arrières petits-enfants. En retirer aussi une légitime fierté comme on pouvait le percevoir à travers le regard attendri de votre maman pour chacune et chacun d’entre vous, la même attention que nous avions connu déjà à Strasbourg pour les aînés d’entre vous.

"L’amant fidèle multiplie les amants pour l’objet de son amour, il fait l’effort pour que tous aiment D. comme lui." Cet amour pour autrui, as-tu écris, cher Roland, en conclusion d e ta Thèse sur Ibn Gabbay, est comme la vérification de la pureté de son propre amour pour D. qui ne serait qu’un amour égoïste s’il ne souhaitait à autrui une félicité semblable à celle qu’il est en droit de souhaiter pour soi. Ce qui résulte en tout cas de ce qui précède, c’est que la demande première qui est aussi la démarche ultime est dirigée vers D. ….. "en vue de procurer au Monde son salut et à D. la glorification qu’Il est en droit d’attendre de sa créature" ( Meit Ibn Gabbay, Le Discours de la Kabbale Espagnole, Peeters Leuven, Leuven, 1981)

Permets- moi cher Roland et vous ses enfants que je dédie ces dernières lignes à Nicole, dont la vie fut à la fois vouée aux autres, pour la félicité des autres, tout autant pour la glorification d’Hashem, celle qui mérita bien ce verset, avec lequel nous voulions l’accompagner : " Pith’i li a’hoti , ra’ayati, yonati, tamati" "Ouvre moi, ma sœur, ma bien aimée, ma colombe, ma parfaite !" Et que ton âme soit mêlée au faisceau de la vie !


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