Adolphe FRANCK
1810 - 1893
par Barbara Weill


Adolphe Franck naît le 1er décembre 1810, à Liocourt (Moselle), village de Lorraine, entre Metz et Nancy.
Son père est commerçant, il est marchand de tissus puis épicier, et conseiller municipal de Liocourt. Il lit beaucoup les encyclopédistes français et aime à philosopher. Malgré la modestie de leurs moyens, sa mère, une femme pieuse et charitable, aide les nécessiteux des environs, juifs et chrétiens sans distinction. Adolphe héritera des meilleurs traits de ses parents : l'alliage de la sagesse, de la bonté et de l'amour du travail.

Il fait ses études primaires Liocourt avec l'instituteur juif Moïse Créhange. Ensuite il se rend à Nancy pour ses études hébraïques préparatoires auprès de Marchand Ennery (qui deviendra grand rabbin de France), avec lequel il étudie le Talmud et la philosophie de Maïmonide. Il poursuit par ailleurs sa formation générale au Collège royal de Nancy. Ayant achevé la classe terminale, il part étudier la philosophie, le droit et la littérature à l'université de Toulouse. N'ayant pu obtenir une bourse pour poursuivre ses études rabbiniques, il se tourne vers la médecine, puis opte pour la philosophie.

En 1832, il est reçu premier au concours d'agrégation de philosophie, alors que Victor Cousin, dont la pensée l'influencera beaucoup, est président du jury. Franck est le premier candidat d'origine juive à être reçu à l'agrégation. La même année (ce qui est tout à fait exceptionnel), il obtient le doctorat ès-lettres à Toulouse avec une thèse principale Des Révolutions littéraires, et une thèse complémentaire en latin, De la Liberté.

Il est alors nommé professeur de philosophie au Collège de Douai. Alfred Fouillée, qui rédige une Notice sur la vie et les travaux d'Adolphe Franck, y place l'anecdote suivante : comme le nouveau professeur craignait que ses croyances israélites ne fussent l'occasion de quelques difficultés, Victor Cousin lui fit cette réponse pleine de libéralisme : "Si, dans votre enseignement, vous rencontriez sur votre chemin ce grand personnage historique qu'on nomme le fondateur du christianisme, est-ce que vous éprouveriez quelque scrupule à lui tirer votre chapeau ?".Et Fouillée de poursuivre : M. Franck donna si bien raison à V. Cousin que, peu de temps après, l'aumônier du collège de Douai disait à son évêque : "Notre meilleur chrétien, et le plus ardent, est un israélite, c'est notre professeur de philosophie".

Ensuite, A. Franck enseigne à Nancy de 1835 à 1837. En 1837, il est reçu à la Société royale des sciences, lettres et arts de Nancy et y prononce un discours de réception, sur Les Systèmes de philosophie et du moyen de les mettre d'accord. Auparavant il avait rédigé un mémoire sur cette question : Rechercher les fragments qui subsistent de Démocrite et tous les passages des auteurs anciens qui se rapportent à sa doctrine (1836).

Dans ces travaux, il révèle sa filiation avec Victor Cousin, le père de l'éclectisme en philosophie : celui-ci défend le spiritualisme qu'il considère comme un rationalisme distingué à la fois de l'empirisme et du mysticisme. Il s'interroge sur le fondement des idées absolues du vrai, du beau et du bien, fondement qu'il appelle Dieu. Cousin professe que le vrai et le faux coexistent dans chaque doctrine ; et c'est pourquoi, selon lui, il suffit de les départager, d'opérer un tri entre ces éléments positifs et négatifs, pour ne retenir que ceux qui sont compatibles entre eux, et recomposer à partir d'eux un système de vérité complet, résultant de l'addition de toutes ces vérités partielles. D'où l'importance des recherches sur l'histoire de la philosophie et de la pensée en général.

C'est aussi dans le droit-fil de cette pensée qu'A. Franck publie en 1938 une Esquisse d'une histoire de la logique, précédée d'une analyse étendue de l'Organum d'Aristote. Cette étude porte essentiellement sur les ouvrages d'Aristote, mais évoque aussi les systèmes logiques de Bacon, Descartes, Kant et Hegel.

En 1839 il épouse Pauline Bernard, fille d'une famille juive pauvre qui travaillait comme gouvernante jusqu'à son mariage. Elle sera l'auteur de quelques études sur la vie de Maïmonide, mais surtout d'une correspondance extrêmement vivante et intelligente, dont le recueil posthume sera publié en 1898 par sa fille, sous le titre Une vie de femme. Les Franck auront quatre enfants, mais le premier, un fils, meurt à l'âge de douze ans (la douleur provoquée par cette perte est exprimée dans les lettres de Pauline). La santé fragile de Pauline l'oblige à rester cloîtrée à domicile, où elle tient une maison hospitalière et reçoit la visite de nombreux amis dans tous les milieux, parmi eux Alfred de Vigny.

A. Franck est nommé à Versailles puis, en 1840, il reçoit un poste au Collège Charlemagne à Paris. Cette même année, il obtient l'agrégation pour l'enseignement universitaire (1840), et grâce à l'appui Victor Cousin, ouvre un cours libre à la Sorbonne, sur la philosophie sociale.
C'est alors qu'il commence à travailler, comme maître d'œuvre, au Dictionnaire des sciences philosophiques. Dans l'introduction qu'il rédige, pour cet ouvrage, il révèle son adhésion au spiritualisme.
Mais son activité est interrompue par une maladie du larynx qui l'amène à séjourner pendant quelque temps à Pise.

Victor Cousin (1792-1867)

En 1843 il publie La Kabbale ou la philosophie religieuse des Hébreux, la première étude systématique consacrée à ce sujet, précédant de près d'un siècle le grand mouvement recherche instauré par Gershon Scholem. Son ouvrage est qualifié par Jules Michelet de "chef d'œuvre de critique", et vaut d'être élu membre de l'Académie des sciences morales et politiques dès l'âge de 35 ans Cette élection, due au soutien de V. Cousin, en fait un des plus jeunes membres de l'Académie (on n'est guère élu avant quarante-deux ou quarante-cinq ans, parfois même on ne l'est qu'autour de soixante ans). Il restera membre de cette assemblée pendant près de cinquante ans jusqu'à son décès, et participera activement à ses travaux. Il compose, entre 1849 et 1875, différentes notices historiques sur Cardan, Paracelse, Thomas Morus, Bodin, Machiavel, Mably, etc. qui paraissent dans le Recueil des séances et travaux de l'Académie des sciences morales et politiques, avant d'être publiées dans le Dictionnaire des sciences philosophiques, ou de constituer des éléments de ses cours à la Faculté ou, plus tard, au Collège de France.

La même année (1844), il devient membre du Consistoire central des Israélites de Nancy.
Il est s nommé chevalier de la Légion d'honneur, en décembre 1844 (et deviendra officier en 1862 et commandeur en 1869).

En 1847 il reprend son cours à la Sorbonne. C'est dans le cadre de ses cours de philosophie sociale qu'il écrit la brochure qui paraîtra après les journées de juin 1848 : Le Communisme jugé par l'histoire, où il avertit le lecteur :"Hommes, prenez garde! Cette voie mène vers l'abîme!". Ce texte de soixante-dix pages, est un véritable "manifeste anticommuniste", mais il ne s'agit pas d'une réponse au Manifeste du Parti communiste de Marx, auquel il ne fait pas allusion.Il dresse un bilan des sociétés collectivistes du passé plus ou moins lointain, et il analyse en profondeur le système collectiviste, pour condamner l'idée même du socialisme. La brochure sera rééditée en 1849 ; une troisième édition, complétée de trente pages d'introduction et de conclusion, sortira à Versailles en mai 1871, après la Commune de Paris.

En 1848, il se présente sans succès aux élections législatives du département de la Meurthe.

De 1849 à 1852, il est le suppléant de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire à la chaire de philosophie grecque et latine au Collège de France.
En 1852 succède à Walkenaër, comme conservateur adjoint de la Bibliothèque impériale.
Chargé, depuis 1854, du cours de Droit de la nature et des gens au Collège de France, il devient, sur proposition de l'Institut impérial, professeur titulaire en janvier 1856 et occupera la chaire plus de trente ans, prenant sa retraite en 1886, avec le titre de professeur honoraire.
Il est aussi membre du jury d'agrégation.

A. Franck est un travailleur infatigable. Pendant un demi-siècle, il participe activement aux travaux de l'Académie. En trois décennies d'enseignement au Collège de France, il n'annule jamais un cours et n'est jamais en retard. Les étudiants l'apprécient pour son sens de la justice, pour la clarté et simplicité d'exposition des problèmes les plus complexes. Il met toute son âme dans l'enseignement, sait entraîner l'auditoire, et ses cours sont souvent interrompus par des applaudissements.

En 1861 il publie un deuxième ouvrage consacré à la pensée juive : Etudes orientales, où, sur cinq cent pages, il analyse le droit chez les anciennes nations de l'Orient (on dirait aujourd'hui : du Moyen-Orient) ; il consacre des chapitres à Maïmonide, à Ibn-Gabirol, et propose même un nouveau système d'exégèse biblique. Dans ce chapitre il écrit que "le Traité théologico-politique de Spinoza est un autre monument, et non un des moins éclatants de l'exégèse rationnelle", ce qui est étrange sous la plume de cet adversaire déclaré du panthéisme. Et en fait, la méthode d'interprétation qu'il propose se rapproche de ce que nous appellerions aujourd'hui la "critique biblique".

Peut-être le plus mystérieux des intérêts intellectuels de Franck est sa relation avec les divers courants ésotériques qui existent en France à son époque. Ainsi, parmi de nombreuses publications consacrées à la pure philosophie académique, nous voyons qu'en 1853 il fait des conférences sur Paracelse et l'alchimie du 16ème siècle.
En 1866 il publie La philosophie mystique en France au XVIIIe siècle, Saint-Martin et son maître Martinès de Pasqually ;cette publication fait suite à la notice qu'il avait réalisée sur le Philosophe inconnu pour le Dictionnaire des sciences philosophiques, (1843). Il s'agit là d'une des premières études importantes sur la philosophie du théosophe d'Amboise, qui est pour lui "le Descartes de la spiritualité ", c'est-à-dire le défenseur de la conscience humaine face aux illusions du mysticisme et du rationalisme de son temps.

En 1862 il édite une leçon qu'il a prononcée au Collège de France : De l'Instruction obligatoire. C'est dans ce cadre également qu'il publie successivement une Philosophie du droit pénal (1864, réédité en 1880, 1888), une Philosophie du droit ecclésiastique, des rapports de la religion et de l'État (1864), une Philosophie du droit civil (1886). En effet, A.Franck consacre une partie importante de son travail à l'élaboration des fondements du droit civil, et particulièrement du droit pénal. Suivant ses conclusions, la société a droit à l'autodéfense contre les criminels, à leur isolement, à une dissuasion préventive, à la compensation des dégâts des crimes et délits, mais non pas à un châtiment direct des criminels. Car la punition, selon Franck, c'est l'affaire de Dieu, et non pas des hommes. C'est pourquoi il prêche contre la peine de mort.

Parallèlement, il commence à publier son étude sur les Réformateurs et les publicistes en Europe, un premier volume en 1864 (moyen-âge et renaissance), un deuxième volume en 1881 (XVIIème siècle), un troisième et dernier volume en 1893 (XVIIIème siècle).

Napoléon III et l'Impératrice Eugénie
Comme beaucoup d'universitaires de son temps, idéologiquement conservateurs mais intéressés à la question sociale, il participe à des activités de diffusion de la connaissance auprès des couches populaires. À ce titre il collabore à l'Association polytechnique qui, a partir de 1860 et jusqu'en 1867, organise des Entretiens populaires. Il y fait, en 1865, une conférence sur Des Principes du droit naturel et de ses rapports avec la famille (Paris, 1866) ; en 1866, une conférence Du Droit de tester.

En 1869 Franck décline la proposition de l'Empereur Napoléon III de devenir membre du Sénat en disant: "Ma chaire me suffit, je n'ai pas besoin d'une tribune".

Adolphe Franck participe également au cycle des Conférences populaires faites à l'Asile impérial de Vincennes, placées sous le patronage de S. M. l'Impératrice Eugénie, dont il est l'un des familiers. Il y prononce, en 1867, une conférence sur La Vraie et la fausse égalité, une autre sur La Famille. Il publie dans les domaines qui intéressent particulièrement la philosophie dominante de l'époque, mélange d'éclectisme et de spiritualisme : Philosophie et religion (1867). Il écrit aussi sur la morale, aussi bien sous forme d'un manuel, Éléments de morale, destiné à l'enseignement secondaire spécial (1868), que sous forme d'ouvrages de vulgarisation philosophique destinés au grand public : Moralistes et philosophes (1872 ; réédité en 1874), ou encore, La Morale pour tous (1880).

Huit mois après la Commune, en 1870, il prononce à Lyon une conférence sur Le Capital, de Marx, où il dénonce les idées du socialisme en déclarant que "la guerre, déclarée au capital, c'est la guerre à tout ce qui honore l'espèce humain, à tout ce qui fait sa grandeur, sa noblesse, sa force, sa félicité, sa supériorité sur les autres êtres de la création". Il démontre, que "c'est à la civilisation qu'on déclare la guerre lorsqu'on crie: Guerre au Capital!". Car sans le capital, c'est-à-dire sans le travail accumulé, il n'y aurait ni vrais arts ni sciences ni vie spirituelle. Et la socialisation totale des capitaux ne serait qu'un "acte de spoliation, le vol organisé dans de grandes proportions". La "monstrueuse chimère d'une association universelle" mènerait au "régime de travaux forcés".

À partir de 1882, il est membre de la Société des études juives (créée en 1881), dont il est nommé président en 1888. Il y prononce régulièrement des conférences : La religion et la science (novembre 1882) ; Le péché originel et la femme (décembre 1885) ; Le panthéisme oriental et le monothéisme hébreu (19 janvier 1889). Tous ces textes seront publiés dans les Archives Israélites.

Il sera vice-président du Consistoire israélite, et l'un des fondateurs de l'Alliance Israélite Universelle.
Il est également membre du Conseil supérieur de l'instruction publique auprès duquel il représente le judaïsme.
Il compte parmi les fondateurs et présidents de la Ligue de la Paix et de la liberté.

En 1886 il prend sa retraite, mais sept ans encore, jusqu'à ses derniers jours, il participera à la vie sociale. Vers la fin de sa vie, il noue des relations amicales avec les cercles occultistes néo-martinistes, animés par Gérard Encausse, mieux connu sous le nom de Papus. A l'âge de 82 ans, il préface le Traité méthodique de science occulte écrit par ce dernier, tout en précisant que sa collaboration n'implique pas son adhésion à l'occultisme. Franck lui-même ne se considère pas comme un mystique, mais il affirme que le mysticisme lui a toujours inspiré un grand respect ainsi que des "sentiments de dévotions mêlés à la tendresse". De plus il pense avoir en commun avec Papus sa ferme opposition aux "mauvaises doctrines" que sont le positivisme, l'athéisme et le pessimisme. Pour trouver une alternative réelle à ces perversions, il faut rechercher le fondement divin de l'être.


Couverture de la réédition de 1981
(Ed. Slatkine, Genève)

Il décide alors de faire rééditer son ouvrage La Kabbale ou la philosophie religieuse des Hébreux, dont la première édition de 1843 avait été très vite épuisée. Dans les années suivantes, Franck avait pensé que ce travail ne s'accordait pas avec l'esprit du temps, mais à présent, écrit-il :
"Dégoûtés des doctrines positivistes, évolutionnistes ou brutalement athées qui dominent aujourd'hui dans notre pays et qui affectent (le régenter non seulement la science, mais la société, un grand nombre d'esprits se tournent vers l'Orient, berceau des religions, patrie originelle des idées mystiques, et parmi les doctrines qu'ils s'efforcent de remettre en honneur, la Kabbale n'est pas oubliée."
Suit une longue liste d'exemples. Tout d'abord, la société Théosophique, avec sa "très intéressante" revue Lotus, et sa branche française Ysis qui a récemment publié une traduction du Sepher Yetzirah. Franck cite, apparemment avec approbation, la déclaration du traducteur (qui n'est pas mentionné par son nom, mais il s'agit en fait de Papus) : "la Kabbale est la religion unique à partir de laquelle toutes les autres ont émané".

En 1886 également, il fait partie des créateurs de la Ligue nationale contre l'athéisme, où il fonde et dirige en 1888 la revue La Paix sociale. Dans ce cadre il prononce la première conférence (mars 1891), sur l'Idée de Dieu, dans ses rapports avec la science, où il désigne l'ennemi commun, l'athéisme, et par là-même le matérialisme et le positivisme. Il y fait aussi une conférence sur l'Âme (1888) sur l'Idée de Dieu, dans ses rapports avec l'ordre social (10 décembre 1892).

Un an avant sa mort, Franck est élu président de la Société d'Ethnographie.

Adolphe Franck meurt le 11 avril 1893, dans la 84ème année d'une vie particulièrement active. Homme de tolérance et de compromis, mais non pas pacifiste à tout prix, Franck comprenait, que pour éviter les guerres et les tragédies, il faut sans cesse conduire une guerre contre les idées fausses. A ce philosophe, qui toute sa vie durant menait une "guerre" pour la paix entre les peuples, religions, races et sexes, la République a rendu hommage par des funérailles militaires. Un régiment de ligne avec son drapeau et orchestre, une foule de proches, de collègues, d'admirateurs, d'étudiants accompagneront sa dépouille à la section juive du cimetière Montparnasse, où il trouvera le repos à côté de son épouse, décédée en 1867.

En 2010, l'Ecole des Hautes Etudes lui consacrera un colloque : Adolphe Franck, philosophe juif, spiritualiste et libéral dans la France du XIXe siècle, sous la direction de Jean-Pierre Rothschild et de Jérôme Grondeux.

Conclusion

Adolphe Franck présente l'image de "l'intégration" triomphante d'un juif lorrain dans la société française. Dans Le Salut public de Lyon , un journaliste commente ainsi la conférence qu'il prononce dans cette ville en 1869 :

"C'était un spectacle consolant pour ceux qui s'intéressent au progrès de la raison publique, de voir un israélite comme M. Franck, un des représentants les plus éminents d'une religion jadis proscrite et persécutée, exposer éloquemment, devant un auditoire chrétien, les grands principes qui président au développement de la vie sociale, et éveiller un écho sympathique dans le cœur de chacun de ceux qui l'écoutaient. Ce seul fait ne prouve-t-il pas que les préjugés ont fait leur temps, que les haines sont éteintes, et que si le passé a eu parfois de mauvais jour, il est permis de mieux augurer de l'avenir."

On remarquera qu'A. Franck décède deux ans avant le début de l'affaire Dreyfus, et que cette période de grâce des relations entre chrétiens et juifs va bientôt prendre fin, avec l'introduction en France du mot "antisémite". On pense par exemple à Émile Durkheim, autre lorrain, autre agrégé de philosophie, qui sera lui aussi comblé des honneurs civils et universitaires, mais qui sera toute sa vie en butte aux préjugés anti-juifs.

D'autre part, on peut se demander pourquoi une personnalité de cette importance est tombée dans l'oubli. Rappelons qu'il s'agit du premier juif agrégé de philosophie, du premier chercheur sur la Kabbale, d'un professeur d'une érudition considérable aussi bien dans le domaine de la philosophie que dans celui des spiritualités, d'un Juif engagé dans les institutions communautaires. Et pourtant, bien peu aujourd'hui se souviennent de son nom.
On peut trouver deux éléments de réponse à cette question. Tout d'abord, le grand mouvement intellectuel juif né de l'affaire Dreyfus, avec des personnalités telles qu'Émile Durkheim, Bernard Lazare, André Spire, Henri Bergson, Léon Blum, a peut-être rejeté dans l'oubli les grands penseurs qui les avaient précédés. Ensuite, les convictions fermement anti-communistes de Franck ont peut-être desservi sa mémoire : les intellectuels de la génération suivante affirmaient pour la plupart des convictions de gauche et cette distance politique a pu contribuer à les éloigner de leur brillant prédécesseur.

Il n'en reste pas moins qu'Adolphe Franck est une des personnalités les plus remarquables du judaïsme français au 19ème siècle, et que son œuvre immense reste à redécouvrir.

Principales publications d'Adolphe Franck

Sources principales :

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