On peut affirmer que le Dictionnaire des sciences philosophiques est la pièce maîtresse de l'œuvre d'Adolphe Franck, même si pour le composer, il a dû s'entourer d'une cinquantaine de collaborateurs. Il comporte plus de mille huit cents pages et Franck rédige lui-même un très grand nombre d'articles, souvent élaborés lors de ses conférences au Collège de France. Édité par Hachette, il paraît initialement en six livraisons, échelonnées de 1844 à 1852. Une nouvelle édition (remaniée) paraît en deux volumes en 1875, puis un troisième tirage, en un volume en 1885.

L'ouvrage est principalement consacré à l'histoire de la philosophie et aux "quatre formes de la pensée humaine"  qui doivent selon l'objet d'une "conciliation progressive" : naturalisme, idéalisme, scepticisme, mysticisme. Les travaux philosophiques majeurs du 19ème siècle dans le domaine du criticisme et des sciences expérimentales, y sont toutefois  négligés dans la première édition, mais dans la deuxième, des notices seront consacrées à Ampère, à Buffon et à d'autres savants, et un grand article consacré à Galilée sera ajouté. L'ouvrage est engagé philosophiquement dans la célébration du spiritualisme et socialement dans l'apologie des valeurs conservatrices.

Le Dictionnaire est précédé d'une longue préface, dans laquelle Franck tout d'abord revendique  le statut d'une science pour la philosophie. Puis il expose les principes qui ont guidé la composition de cet ouvrage :

  1. 1° Gardant au fond de nos cœurs un respect inviolable pour cette puissance tutélaire qui accompagne l'homme depuis le berceau jusqu'à la tombe, toujours lui parlant de Dieu et en lui montrant le ciel comme sa vraie patrie, nous croyons cependant que la philosophie et la religion sont deux choses tout à fait distinctes dont l'une ne saurait remplacer l'autre, et qui sont nécessaires toutes deux à la satisfaction de l'âme et à la dignité de notre espèce ; nous croyons que la philosophie est une science tout à fait libre, qui se suffit à elle-même et ne relève que de la raison. Mais nous soutenons en même temps que, loin d'être une faculté individuelle et stérile, variant d'un homme à un autre et d'un jour au jour suivant, la raison vient de Dieu ; qu'elle est comme lui immuable et absolue dans son essence ; qu'elle n'est rien moins qu'un reflet de la divine sagesse éclairant la conscience de chaque homme, éclairant les peuples et l'humanité tout entière sous la condition du travail et du temps.
  2. Nous ne reconnaissons pas de science, sans méthode. Or la méthode que nous avons adoptée et que nous regardons comme la seule légitime, c'est celle qui a déjà deux fois régénéré la philosophie, et par la philosophie l'universalité des connaissances humaines. C'est la méthode de Socrate et de Descartes, mais appliquée avec plus de rigueur et développée à la mesure actuelle de la science, dont l'horizon s'est agrandi avec les siècles. (…)
  3. Grâce à cette manière de procéder, et grâce à elle seule, nous enseignons en psychologie le spiritualisme le plus positif, alliant le système de Leibniz à celui de Platon  et de Descartes, ne voulant pas que l'âme soit une idée  (…). Elle est à nos yeux ce qu'elle est en réalité, une force libre et responsable, une existence entièrement distincte de toute autre, qui se possède, se sait, se gouverne et porte en elle-même, avec l'empreinte de son origine, le gage de son immortalité.
  4. En morale, nous ne connaissons point de transaction entre la passion et le devoir, entre la justice éternelle et la nécessité, c'est-à-dire l'intérêt du moment. L'idée du devoir, du bien en soi, est pour nous la loi souveraine,  qui ne souffre aucune atteinte (…)
    … toutes les forces de l'individu et de la société, rassemblées sous une même discipline, sont également employées au profit, nous n'osons pas dire du bonheur absolu, qui n'est pas de ce monde, mais de la gloire et de la dignité de l'espèce humaine.
  5. Dans toutes les questions relatives à Dieu et aux rapports de Dieu avec l'homme, nous avons fait au sentiment sa part, nous avons reconnu, plus qu'on en l'avait fait avant nous peut-être, sa légitime et salutaire influence, tout en maintenant dans leur étendue les droits et l'autorité de la raison. (…) Nous professons un égal éloignement et pour le mysticisme qui, sacrifiant la raison au sentiment, l'homme à Dieu, se perd dans les splendeurs de l'infini, et pour le panthéisme qui refuse à Dieu les perfections même de l'homme (…)
  6. Enfin nous pensons que l'histoire de la philosophie est inséparable de la philosophie elle-même, et qu'elles forment tous deux une seule et même science. (…)

Il poursuit son apologie de la philosophie en la distinguant de la théologie : "la philosophie, c'st la raison dans l'usage de plus noble et le plus élevé qu'elle puisse faire de ses forces ; c'est la raison cherchant à se gouverner elle-même, imposant une règle à sa propre activité, s'élevant au-dessus de tous les intérêts du moment pour découvrir le but suprême de la vie et atteindre la vérité dans son essence."

Ensuite il défend l'existence d'une  philosophie française face à l'hégémonie de la pensée allemande : "Oui, nous sommes restés fidèles à Descartes, en ajoutant à sa méthode et à ses doctrines ce que le progrès des siècles y ajoute naturellement".
Puis il passe en revue les ouvrages qui ont précédé le Dictionnaire dans le passé : la Somme de saint Thomas d'Aquin, dans laquelle "Maïmonide, sous le nom de Rabi Moses, Avicenne, Averhoës y sont cités presque aussi souvent que Platon, Aristote et les docteurs de l'Eglise". Il évoque plusieurs lexiques du 17ème siècle, plus, au 18ème siècle le Dictionnaire historique et critique de Bayle et la grande Encyclopédie du dix-huitième siècle. Mais il se démarque de ces deux ouvrages qu'il accuse de service la cause du scepticisme et du sensualisme. Il mentionne enfin le Lexique ou Encyclopédie philosophique de Krug, le dernier ouvrage de ce genre qui est paru, tout en reprochant à son auteur de se contenter d'être le disciple de Kant.

Tout cela justifie la création d'un "dictionnaire des sciences philosophiques rédigé au point de vue impartial de notre époque, d'après les principes que nous avons exposés plus haut, et qui pût être regardé en même temps comme l'œuvre commune toute une génération philosophique". Celui-ci compte des collaborateurs prestigieux, tels que Ernest Renan et Paul Janet.

On peut consuter le Dictionnaire à l'adresse suivante : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k220857q/


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