Professeur Robert WAITZ
Épreuves et réalisations
1900-1978
par Georges HAUPTMANN
Extrait de HISTOIRE & PATRIMOINE HOSPITALIER, revue de l'Association "Les Amis des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg", n° 21 - 2 009
avec l'aimable autorisation des Editeurs


Robert Waitz dans son bureau
à l'Institut d'hématologie.
En 1974, à l'approche de son départ à la retraite, le professeur Robert Waitz fit imprimer une brochure intitulée L'ensemble hématologique de Strasbourg destinée à faire connaître l'importance et tracer l'avenir d'une structure, mise en place avec une détermination sans faille, permettant "le diagnostic et le traitement des maladies sanguines, la recherche en hématologie, la fourniture du sang et de ses constituants… la fourniture sur le plan national des produits de fractionnement plasmatique" (1). En effet, cette structure, unique sur le plan national et international, comprenait une Clinique des maladies du sang, un Centre de transfusion sanguine, de dessiccation et de fractionnement du plasma ainsi qu'un Institut d'hématologie permettant de dispenser l'enseignement théorique et pratique de l'Hématologie. Il était précisé de plus, que "dans ces trois organismes la recherche médicale reste au premier rang des préoccupations de tous". La création de cet ensemble représentait l'aboutissement d'une oeuvre considérable réalisée par une personnalité au parcours exceptionnel sur le plan médical, scientifique et humain.

Robert Élie Waitz était né à Neuvy-sur-Barangeon (Cher) le 20 mai 1900 d'un père médecin d'origine russe et d'une mère, professeur de sciences naturelles. Il s'oriente d'abord vers les mathématiques mais entame finalement ses études médicales à Paris en 1917 et devient interne en 1923. Il acquiert une formation médicale vaste et très diversifiée en chirurgie, médecine et obstétrique auprès d'un grand nombre de sommités médicales. L'un de ses premiers maîtres, le professeur Louis Ribadeau-Dumas (1876-1959) lui inspire une thèse très remarquable, consacrée aux lésions cérébro-méningées à la naissance publiée sous forme d'un ouvrage de 270 pages et 58 figures aux éditions Doin en 1931. Fondée sur la confrontation de documents cliniques avec les documents anatomopathologiques correspondants, elle fit longtemps autorité en la matière. Robert Waitz restera par la suite très attaché à la méthode anatomo-clinique qui y est exploitée. Il s'intéressera ensuite surtout à la cytologie hématologique et en 1932, le professeur Prosper Merklen (1874-1939), dont il avait été également l'élève dans la capitale, le fait venir à Strasbourg. Il fut reçu à l'agrégation de médecine en 1933 et nommé professeur agrégé en 1935.

En 1938 Robert Waitz publie avec Prosper Merklen un remarquable Atlas d'Hématologie. Nul ne pouvait mieux évoquer cet ouvrage que le professeur Jean Bernard :

"Admirables images… c'était un émerveillement… L'hématologie à cette époque était cellulaire et satisfaite. L'hématologiste se transformait souvent en un aquarelliste ésotérique qui s'entourait de mystères. L'Atlas de Merklen et Waitz était au contraire la clarté même. Déjà la physiologie transparaît sous l'anatomie. Les images permettent le diagnostic, mais les classements, les nosologies permettent déjà d'évoquer les mécanismes. Toute une génération de jeunes hommes, de jeunes femmes, à une époque où il n'y avait pas de traité, a appris l'hématologie dans cet Atlas et reste profondément reconnaissante à Robert Waitz de lui avoir donné ce moyen d'être instruite" (2).

Ancien Institut de physiologie, face nord, avec des protections du sous-sol
devant servir de refuge contre les bombardements en 1943-1944.

Début septembre 1939 il est évacué à Clermont-Ferrand puis rappelé sous les drapeaux dans un hôpital militaire de campagne. En janvier 1941 il entre dans la Résistance et devient très vite chef du Mouvement Franc-Tireur d'Auvergne.
"Splendide militant de la Résistance dans laquelle il est entré dès 1941" dira la citation décernée par le général Pierre Koenig. "S'impose aussitôt par sa valeur et devient un dirigeant. A ce titre déploie une inlassable activité de propagande parmi la population et les étudiants, et, au péril quotidien de sa vie et de sa liberté, s'adonne à l'organisation d'opérations militaires".
Son engagement dans la Résistance prend fin le 3 juillet 1943 lorsqu'il est arrêté et conduit dans la bureau du chef de la Gestapo à Clermont-Ferrand.
"Je pensais au document que j'avais caché à mon domicile avant de me faire prendre dans une souricière. J'espérais que ma femme [Odette Waitz, née Heymann, 1907-2000] l'aurait détruit tout de suite. Il n'en était rien en réalité, ainsi que je l'ai appris deux ans plus tard. Elle avait jugé ce document trop important car il comportait la liste des ponts et des voies ferrées à faire sauter en Auvergne. Elle l'avait sorti de sa cachette et elle l'avait porté le lendemain à mon camarade Rochon, disparu plus tard en déportation" (3).


La tour médiévale "La Mal Coiffée" à Moulins.
Robert Waitz est emprisonné successivement à Clermont, Moulins puis transféré au camp de Drancy. A Moulins, dans la tour médiévale de la Mal Coiffée.
"J'ai beaucoup appris en prison au contact de mes camarades d'infortune, le paysan de l'Allier qui avait été torturé, l'ouvrier de Michelin, les étudiants strasbourgeois. Chacun expliquait aux autres son métier, ses travaux. J'ai rencontré il y a quinze mois à Clermont-Ferrand un petit débitant du centre de l'Auvergne. Il m'a sauté au cou. Il m'a fait des compliments dont je reste fier. Il m'a dit : Tout ce que sais en médecine, c'est vous qui me l'avez appris à La Mal Coiffée" (3).

Il est déporté à Auschwitz III - Monowitz dans le convoi N° 60 parti de Drancy le 7 octobre 1943.

"Pendant sa déportation, au mépris total de sa propre sécurité, il se consacre à aider ses camarades, restant aussi en toutes circonstances, un médecin, arrivant même à réaliser dans les conditions que l'on imagine, des transfusions sanguines au sein des camps" (4).
En janvier 1945 il participe à la fameuse marche de la mort, marche forcée de 68 km d'Auschwitz à Gleiwitz. Il tente de s'évader dans la forêt silésienne couverte de neige avec un camarade, Roger Forest,
"et là, par moins 20°, sans vêtements, sans pain, n'entendant pas le son du canon soviétique, nous avons dû nous résoudre à rejoindre notre convoi" (3).
Les survivants sont transférés à Buchenwald par train dans des wagons à ciel ouvert.
"Arrivé à Buchenwald j'ai retrouvé des étudiants strasbourgeois. Je leur ai demandé à voir le plus vite possible un des responsables français de l'organisation clandestine du camp [Marcel Paul, 1900-1982]. J'ai pu lui remettre une longue liste, celle de nos compagnons de Monowitz auxquels il fallait une aide immédiate".
Il accepte d'être affecté au
"Kaninchen-Block, le block 46, où les SS. entretenaient des souches de typhus exanthématique par passage d'homme à homme en injectant du sang des malades à des bien portants. J'ai accepté d'y être affecté, mais à une condition, celle d'avoir avec moi un de mes étudiants strasbourgeois dont je suis sûr. C'est Laurent Feldmann qui a été volontaire tout en connaissant le danger qu'il y avait à m'accompagner" (3).

"Libéré, il s'engage et part, sur sa demande, à Bergen-Belsen [camp de concentration en Basse Saxe où Anne Frank trouva la mort]. Par son obstination il obtient le rapatriement de grands malades convalescents de typhus, en risque d'être sans lui, abandonnés à leur sort. Il sauve de nombreuses vies. L'expérience ainsi vécue lui donne une connaissance de la pathologie concentrationnaire, dont il précise les aspects dans divers travaux effets de la misère physiologique prolongée sur l'organisme humain, pneumopathies aiguës dans les camps de concentration, typhus expérimental sur l'homme, pathologie tardive des déportés" (4,5,6,7,8).


Le trocart
de biopsie
médullaire
de R. Waitz.
De retour à Strasbourg en 1945 il reprend ses fonctions à la Clinique médicale A. En 1946 il devient titulaire de la chaire d'Hydrologie thérapeutique et de Climatologie laissée vacante par le professeur Eugène Vaucher (1884-1966) puis obtient, en 1961, une chaire d'Hématologie créée pour lui. Il déploie une activité intense et acquiert une renommée considérable dans le domaine de l'Hématologie et de la Transfusion sanguine, publie des ouvrages et de très nombreux travaux dans des revues médicales et scientifiques. Ses travaux sur l'ostéomyélosclérose feront autorité sur le plan international.
"Les délices du myélogramme et de la cytologie avaient, un temps, fait méconnaître l'importance des structures et de l'histologie. Dès 1935, Robert Waitz avait souligné l'intérêt, après ponction sternale, de l'inclusion des grumeaux de moelle. Le premier il revient à l'histologie. Non point cette histologie cadavérique qui permet des vérifications un peu tardives. Mais une histologie in vivo, mouvante, changeante et qui va gouverner diagnostic et traitement. Il met au point les techniques qui font entrer l'histologie de la moelle dans la pratique courante et, en particulier, propose pour la trépanoponction osseuse un trocart nouveau qui porte aujourd'hui son nom. Il montre l'importance d'une étude très raffinée du collagène et de la réticuline… Les fibroses, les scléroses, tout un grand domaine, grâce à lui, s'ouvre à la recherche. Robert Waitz donne la première description complète des myéloscléroses primitives. Il isole à côté de la forme classique, la splénomégalie myéloïde, les myéloscléroses lymphoïdes, les formes subaiguës… les formes tumorales, objet de sa dernière publication dans la Nouvelle Revue Française d'Hématologie en 1978… Grâce à Robert Waitz, à son action de pionnier, dans tous les centres hématologiques dans le monde, la biopsie médullaire est entrée dans la méthodologie hématologique courante" (2).


Publication par
le professeur Robert Waitz en 1974.
C'est encore au professeur Jean Bernard, éminent chef de file de l'hématologie française de la seconde moitié du 20ème siècle, que l'on doit cette remarquable synthèse des activités déployées par Robert Waitz :
"Aucun des domaines de l'hématologie ne lui est étranger. On lui doit du côté des globules rouges, une étude pénétrante de l'hématexodie [terme créé par Robert Waitz pour désigner une forme particulière de désintégration des globules rouges, distincte de l'hémolyse, caractérisée par "l'expulsion de substances hors des hématies sous forme de filaments et de granules visibles au microscope sur fond noir ou après certaines colorations sur frottis"], des recherches sur les stromas érythrocytaires [membranes des globules rouges], sur la caryométrie des érythroblastes médullaires, la description d'une nouvelle variété de déficit en G-6-PD, la variante Gd Strasbourg ; du côté des plaquettes, des travaux sur le diamètre des thrombocytes et les populations thrombocytaires au cours des diverses hémopathies ; du côté des globulines, l'isolement d'une agammaglobulinémie congénitale non liée au sexe ; du côté de la coagulation, des travaux sur le facteur VIII, ses inhibiteurs, leurs relations avec la rate ; du côté enfin de la transfusion sanguine, une des toutes premières études des indications de la plasmaphérèse, de très précises propositions concernant le choix des sangs compatibles dans les anémies hémolytiques, la mise au point des techniques de détection de l'antigène et de l'anticorps Australia" (2).
Par ailleurs
"Robert Waitz est partout. Il reste un grand thérapeute apportant à ses malades le secours médical le plus efficace, le secours affectif le plus tendre. Il prend une part personnelle à l'enseignement. Il organise un Centre de transfusion modèle avec, dès 1951, congélation du plasma, dès 1952, lyophilisation, dès 1955 dessication du plasma. Il attire à Strasbourg les chercheurs étrangers. Il devient le chef d'une école… il anime une recherche hématologique de haut rang qui, comme toutes les grandes recherches, part à contre-temps" (2).

Robert Waitz a été président de la Société française d'hématologie, de la Société nationale de transfusion sanguine. Il organise et préside en 1965 à Strasbourg le 10e Congrès de la Société européenne d'Hématologie. Il faisait partie de nombreuses sociétés savantes, dont la plus illustre, l'Académie de médecine, membre correspondant en 1967, puis titulaire en 1974. médecin lieutenant-colonel de réserve, il était titulaire des plus hautes distinctions : Commandeur de la Légion d'Honneur, Commandeur de l'ordre des Palmes académiques, Commandeur de l'ordre de la Santé publique, titulaire de la médaille de la Résistance avec rosette, Croix de Guerre avec palme et étoile d'or. Il a également assumé jusqu'en 1968 la présidence du Comité International d'Auschwitz et de la Fédération Internationale des Déportés-Résistants.

À sa retraite, en 1977, la chaire d'hématologie sera confiée à ses élèves et collaborateurs de longue date, successivement au professeur Georges Mayer (1911-1978) puis au professeur Simone Mayer (1920-2006). Il avait accueilli régulièrement des médecins ou chercheurs étrangers et formé de nombreux élèves qui ont participé à ses travaux, ses publications et ont poursuivi son oeuvre dans les domaines de l'hématologie de l'immunogénétique, de l'immunologie et de la transfusion : les professeurs Jacques Malgras, Francis Oberling, Jean-Pierre Cazenave, Georges Hauptmann, Jean-Marie Lang ainsi que Mmes les docteurs Lucette Rodier, Denise Weil, Marie-Louise North, Marie-Marthe Tongio.

Robert Waitz est décédé à Strasbourg le 21 janvier 1978.
Par ses contributions fondamentales aux méthodes d'exploration de la moelle osseuse et la mise en place d'une structure originale d'organisation des activités médicales et scientifiques en hématologie et transfusion, Robert Waitz fut le fondateur d'une école strasbourgeoise d'hématologie et de transfusion de grande renommée (9,10). Il fut aussi, indirectement,fondateur de la discipline immunologie biologique au CHU de Strasbourg.


Robert Waitz félicité par Jean Bernard après la cérémonie
de remise de son buste le 11 janvier 1975.

Buste de Robert Waitz par le sculpteur
François Cacheux.
Bibliographie
  1. Waitz Robert, L'ensemble hématologique de Strasbourg, Strasbourg, Impression ISTRA, 1974.
  2. Bernard J., "Éloge de Robert Waitz" (1900-1978). Bulletin de l'Académie nationale de médecine, 1981, 165 (9) : 1171-77.
  3. Waitz Robert, "Réponse de M. Robert Waitz" ; Le Buste de Robert Waitz (recueil des discours prononcés à l'inauguration du buste de Robert Waitz le 11 janvier 1975), Imprimerie et clicherie du Centre de transfusion sanguine de Strasbourg, 1975.
  4. Mayer Georges, Mayer Simone, "Le professeur Robert Waitz" ; Revue Française de Transfusion et d'Immuno-hématologie, 1978, 21 (4) : 911-15.
  5. Wellers G., Waitz Robert, "Effets de la misère physiologique prolongée sur l'organisme humain" ; Journal de Physiologie, 1946-47, 39 (1) : 59-74.
  6. Waitz Robert, Ciepielowski M., "Le typhus expérimental au camp de Buchenwald" ; La Presse médicale, 18 mai 1946, n° 23 : 322-23.
  7. Waitz Robert, "Contribution à l'étude des pneumopathies aiguës dans les camps de concentration" ; La Presse médicale, 14 août 1948, n° 47 : 562-564.
  8. Waitz Robert, "La pathologie des déportées" ; La Semaine des Hôpitaux, 1961, 37 (33) : 1977-84.
  9. Mayer Simone, Burgun René, "L'hématologie se développe" ; Histoire de la médecine à Strasbourg, J. Héran et col., Strasbourg, éd. La Nuée Bleue, 1997, p. 712-14.
  10. Mayer Simone, Burgun René, "Hématologie : fondation de l'école strasbourgeoise" ; Histoire de la médecine à Strasbourg, Jacques Héran et col., Strasbourg, éd. La Nuée Bleue, 1997, p. 504-505.


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