Une lettre de Léo Cohn

Au cours d'une réunion d'ancien résistants, Jacques Rosenzweig, ancien de Lautrec, puis du maquis E.I.) nous a transmis cette lettre de Léo Cohn, qui est un document historique très précieux. C'est le curé actuel de Lautrec qui a découvert cette lettre dans les archives de la région du Tarn qui l'a envoyée à J. Rosenzweig, qui nous l'a donnée J'ai recopié ce texte et vous l'adresse et je pense qu'il intéressera tous les E.I. d'Alsace qui ont connu cette période ainsi que Léo Cohn, Chameau, etc.

Jacques Rosenzweig et Adrien Gensburger (maquis de Vabre), présents lors de la commémoration du cinquantenaire du maquis de Vabre, en 1994, ont rencontré l'abbé de Lautrec, Meynardier. Celui-ci s'est intéressé au passé de sa région, et il a fait des recherches dans les archives de Toulouse où il a découvert une lettre de Léo Cohn qui fut probablement incerceptée par la censure de l'époque. Le Père Meynardier a recopié cette lettre et en a envoyé des photocopies à J. Rosenzweig et A. Gensburger (document très émouvant pour eux). L'original se trouve donc dans les archives de Toulouse.

Monette Bohrmann

DESCRIPTION D'UNE COMMUNAUTÉ JUIVE
RECONSTITUEE DANS LE TARN

Lautrec, 16 février 1942

Léo Cohn était l'Instructeur national des E.I.F. et l'un de leurs principaux inspirateurs religieux. Arrêté par les Allemands le 20 mai 1944, alors qu'il dirigeait un convoi de soixante garçons vers l'Espagne et la Palestine, il a été déporté à l'âge de 29 ans.
Leo Cohn
"Nous sommes ici à Lautrec depuis la fin du mois de janvier 1941". C'est une sorte de "Hachshrah". La direction se compose de : "Castor et de Pivert" qui habitent ici avec la mère de Castor et leurs deux enfants, d'"Adrien" qui est un ancien chef de Mulhouse et de "Musaraigne (André Lyon-Caen)", l'ancien C.P. de Salomon à Paris qui est aussi ingénieur agronome, et de "moi-même". J'ai la direction spirituelle et juive du "Chantier" sous ma responsabilité. Nous travaillons en marge des événements qui bouleversent le monde. Nous sommes une cinquantaine de jeunes gens, jeunes filles et enfants. (Il y a 5 couples, 8 enfants dont 5 au-dessous de 4 ans) et nous exploitons tous un domaine de 80 hectares qui était en partie abandonné depuis une génération. Nous sommes en même temps école et une sorte de" kibboutz".

Dans nos loisirs - c'est-à-dire pendant le temps qui n'est pas pris par les travaux agricoles et manuels - nous avons des cours tant techniques, (agriculture, physique, chimie) que généraux (puériculture, histoire universelle etc..) que juifs (hébreu, histoire et philosophie juives). Nous avons formé, c'est-à-dire j'ai formé et je dirige une "chorale" et une petite "troupe dramatique". La chorale a fait une tournée de concerts il y a quelques semaines. Nous avons chanté avec grand succès à Toulouse, Marseille et Montpellier. j'ai fait de sorte que nous puissions rendre visite à Tante Else que nous avons trouvée en excellente santé et moral, mais quand même bien vieillie.

Le but de notre école est de former des jeunes gens pour qu'ils deviennent capables d'exploiter ou de diriger exploitation d'une petite ferme. La forme idéale de cette exploitation est constituée par une petite collectivité - groupe rural - qui doit comprendre un couple comme chef et une dizaine de jeunes gens groupés autour d'eux comme une famille. Les Eclaireurs Israélites ont déjà formé deux groupes , l'un sous la direction de "Chameau", près de Lyon, l'autre près de Moissac. Cette activité de "retour à la terre" réalisée par nos éclaireurs trouve un plein appui par les autorités. Ainsi notre "Chantier" est officiellement affilié et contrôlé par le Ministère de l'Agriculture et le Secrétariat à la Jeunesse.

Je ne puis dire que mon travail me satisfait entièrement. Des difficultés que je n'ai pas connues pendant mon service à la Légion Etrangère concernant le maintien de la "Cachrout" et du "Chabbat", et les divergences au point de vue religieux en sont la cause. De plus, la préparation de mes cours et cercle, et des activités chabbatiques m'occupent si entièrement que pour ainsi dire je ne suis agriculteur ou paysan que de nom. En vérité je suis presque toute la journée plongé dans les livres et papiers, dans la musique aussi évidemment. D'ailleurs comme nous manquons toujours de gens assez instruits et expérimentés aux Eclaireurs Israélites, je continue à collaborer à la direction du mouvement E.I. qui a fait un très bon travail dans le centre de la France non occupée, depuis l'armistice. j'ai campé 4 ou 5 fois cette année comme instructeur dans les "Camps de formation des Cadres" et je continue à envoyer des contes, des midrashim, des explications, des articles pour les brochures et des circulaires que le mouvement édite.

J'ai continué un fichier de chants hébraïques qui comprend 150 cartes et qui sera agrandi au fur et à mesure. Mais je fait tout ce travail d'étude dans des conditions très mauvaises : toute ma bibliothèque est restée à Strasbourg ou à Paris, je n'ai plus qu'un seul ouvrage, surtout les livres hébraïques me font défaut. Et dans notre ferme isolée, il n'y a pas non plus la possibilité d'aller dans une bibliothèque officielle ou chez un ami pour emprunter ce dont j'ai besoin. Mais vous pouvez vous imaginer combien nous sommes heureux de nous adonner à tous ces travaux par les temps qui courent. Surtout parce que nous avons l'espoir qu'ainsi nous préparons à notre "Aliya" et que dès que la grande tornade sera passée, nous pourrons venir vous rejoindre là-bas.

Léon COHEN, Chantier rural de Lautrec

Destinataire: Famille Wm COHN, 30 R. Shiste, ISRAEL - TEL AVIV. PALESTINE


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