Vatican II (1962-1965)
pages 433 - 438

Editions Cheminements, octobre 2002
ISBN 2-9-14474-60-1
Les titres et les notes sont de la Rédaction du Site
les sous-titres sont ceux de l'Auteur
Livre
Le conctact avec "nos" évêques, monseigneur Weber et son coadjuteur, A. Elchinger se resserra au moment du Concile (1). On sait que la teneur de la première version "des Juifs" avait employé des termes courageux et clairs, sous l'impulsion de monseigneur Bea. Elle suscita une opposition véhémente parmi des cardinaux, des évêques et un groupe de religieux réactionnaires. Une brochure, imprimée en Espagne avait été distribuée parmi tous les participants du Concile. Elle avait pour titre prometteur : L'action judéo-maçonnique au Concile. Il vaut la peine d'en souligner quelques passages.
"Ce sont des juifs convertis qui essaient une fois de plus de détruire l'oeuvre divine.
Le secrétariat qu'ils ont convaincu frauduleusement Jean XXIII de créer pour l'unité chrétienne a servi aux Juifs à monter une plate-forme de propagande en faveur des juifs, éternellement anti-chrétiens.
Les juifs furent le Cardinal Bea, monseigneur Oesterreicher, le révérend Père Braun, auxquels se sont joints ultérieurement Karl Kempf, coadjuteur de l'évêque de Wurzbourg et monseigneur Arcès Mendes... La totalité de ceux qui appuient les thèses des Juifs ont été trompés par eux, car ils ont su cacher jusqu'ici leur véritable identité.»
On croirait relire des extraits du "Sturmer".
Et monseigneur Lamont de la Rhodésie du Sud commente ainsi la brochure fameuse : il serait outrageant d'insinuer qu'il existe de l'antisémitisme chez les catholiques.

Pourtant une majorité de prélats s'en tenaient à la première rédaction et réclamaient sa réhabilitation. Ils n'y parvinrent pas. Monseigneur Arthur Elchinger, alors coadjuteur de l'archevêque de Strasbourg, monseigneur Weber, s'était érigé en l'un des défenseurs les plus acharnés de la version dure. Voici des extraits de son intervention (traduits du latin) :
"Notre Concile du Vatican tend vers un dialogue sincère avec les hommes de ce temps. Il est dans le temps présent très opportun qu'il favorise particulièrement le dialogue avec les Juifs... De nombreuses occasions m'étaient offertes pour entrer en conversation avec les Juifs. Voici mon témoignage modeste, pour dire ce qui en est de ces deux questions :

1. Que signifient les Juifs aujourd'hui pour les chrétiens de notre temps ?
2. Que signifie notre déclaration pour les Juifs de notre temps ?

1) Les Juifs sont dignes d'une considération particulière, non seulement comme ceux de l'Ancien Testament, mais aussi comme contemporains, pour autant qu'ils sont aussi les témoins vivants de la tradition biblique, par l'érudition et la compréhension des Livres Saints. J'avoue avoir été incité par de pareils Juifs à une connaissance meilleure et un amour plus vivant pour les Patriarches du premier Testament...

2) Parmi les Juifs d'aujourd'hui, beaucoup, comme témoins de la tradition biblique, expriment, par leur vie, les vertus religieuses, ordonnées par la Loi ou les Prophètes. Ils ont par exemple un sens élevé de la transcendance divine au point qu'on les appelle souvent, selon une expression française répandue "les pèlerins de l'absolu".
Leur obéissance aux préceptes de la Loi divine et aux principes du dialogue n'est pas seulement d'ordre moral, mais proprement religieuse. Ils entretiennent la fidélité de la foi en la libération du peuple de Dieu, de la servitude.
Leur culte et leurs prières célébrés non seulement chaque semaine dans les synagogues (c'est en réalité chaque jour et plusieurs fois par jour) mais aussi au sein de leurs familles, confirment et consacrent les relations familiales par la religion.

3) Nous avons la foi certaine que dans son éternité, Dieu prévoyait déjà, dans son amour, le second testament. Donc, le second ne rompt pas avec le premier. Le Seigneur, lui-même, annonçait cette vérité. "Je ne suis pas venu abolir mais accomplir (Math. V 17)". Aussi n'est-il pas licite, à nous Chrétiens, de considérer les Juifs comme membres rejetés du peuple de Dieu... Chrétiens et Juifs en tant que témoins du monothéisme, de témoins de la Parole et de l'Histoire du Salut ne sauraient apporter un témoignage plus large d'une grande tristesse aux défenseurs de l'incroyance que la grave carence de la compréhension et de la charité mutuelles. Que signifie notre déclaration aux yeux des Juifs de notre temps ?
Notre défunt Pontife de sainte mémoire, appelé aujourd'hui par les juifs "Jean le Bon", a suscité par son attitude véritablement évangélique un immense espoir parmi les juifs... Sans nul doute cette déclaration constitue le point culminant d'un dialogue nécessaire entre les Juifs et l'Église Catholique.

Qu'est-ce qui est souhaitable?
Les Juifs attendent de notre Concile oecuménique une parole solennelle de vérité.
Nous ne saurions nier que non seulement dans ce siècle mais aussi au cours des siècles passés, des crimes ont été perpétrés contre les Juifs par des fils de l'Église et souvent, même si c'était à tort, au nom de l'Église même... des inquisitions furent instituées contre les Juifs, des injures, des violations de la conscience, même des conversions obtenues par la violence... C'est pour notre Concile oecuménique un devoir de justice et un don pour effacer de fausses doctrines relatives aux Juifs, de notre institution d'enseignement catéchique comme c'est excellemment affirmé dans notre Déclaration. Il est avant tout nécessaire de rejeter catégoriquement une expression telle "le peuple juif déicide".
Notre déclaration doit stigmatiser... sous n'importe quelle forme l'invitation à la conversion de tout le peuple juif. Car, dans la situation présente, les Juifs ne sont en général pas capables de comprendre que le passage à l'Évangile du Christ ne représente pas, pour eux, une apostasie mais un véritable accomplissement. Cette heure de Dieu dont parle l'apôtre Paul dans l'épître aux Romains (cf. Chap. II de l'Epître aux Romains) visant l'union de tout le Peuple Élu, nous ne la connaissons pas, nous ne pouvons pas la connaître.

Je conclus :
La déclaration des Juifs devrait être séparée de celles qui traitent des autres religions non-chrétiennes. Le rapport entre l'Ecclesia et la synagogue est en tout cas spécial... Selon Saint Paul, les Chrétiens sont les sauvageons d'oliviers greffés sur les branches juives et unis à la racine commune (Ep. Rom. 1, 17).
Il serait souhaitable que divers éléments des textes antérieurs soient réintégrés correspondant mieux tant à la vérité de la révélation biblique qu'à l'Histoire ancienne et récente.
Nous n'ignorons pas, évidemment, les inquiétudes de certains pères à propos des conséquences résultant de la déclaration sur les Juifs qui leur furent rapportées, peut-être, incorrectement; nonobstant, la Vérité et la Justice dans l'Église ne peuvent pas être délaissées dans une situation difficile. Nous ne pouvons pas nous taire.
Mais ces bien-aimés frères ne pourraient-ils pas puiser consolation et satisfaction dans les paroles de Paul VI qui sont l'écho des paroles du Seigneur Christ. Elles furent prononcées le 5 janvier dans la ville de Nazareth.
Le Pape a dit :
Bienheureux, serons-nous si nous aimons mieux être opprimés qu'oppresseurs et si nous avons toujours faim d'une Justice en progrès.
J'ai dit.
Léon Arthur Elchinger
En prenant connaissance de cette déclaration courageuse, le consistoire adressa une lettre à monseigneurs Weber et Elchinger le 5 octobre 1964 :
... Le consistoire israélite, représentant le judaïsme d 'Alsace, a prit connaissance, avec une émotion profonde, de la position noble et courageuse de l 'épiscopat du diocèse de l' Alsace, exprimée lors des discussions du Concile sur la déclaration concernant les Juifs et non-chrétiens, par la voix ardente de monseigneur Elchinger coadjuteur de monseigneur l Archevêque-Evêque de Strasbourg. Bien que par faitement conscient et demeurant convaincu que l'émulation impressionnante au service d'une élévation et d'une actualisation spirituelles, reste pour l'instant l 'objet exclusif de recherches et d d'eplor ations originales de la pensée et de la doctrine de l'Église, le consistoire israélite, avec l'élite de ses coreligionnaires, suit, dans un élan fraternel et avec une sympathie humaine, religieuse et déférente, cet effort exceptionnel de confrontation avec ses responsabilités et de retour sincère aux sources, des pères conciliaires.
une deuxième lettre fut envoyée aux évêques d'Alsace :
" Rescapés d'un génocide dont l'horreur dépasse aujourd 'hui encore toute imagination, les Juifs font d'autant mieux préparés à comprendre les racines profondes de cet élan de vérité animant la grande majorité du Concile, qu'ils consacrent, année par année, durant les fêtes solennelles du Pardon, au retour, à l 'examen critique et lucide du comportement propre à la prise de résolution d'lmitatio Dei, une journée de souvenir à la mémoire de leurs martyrs dont tout sentiment de haine et de vengeance est rigoureusement exclu en faveur de la recherche du contact humain, de la compréhension et de l 'estime mutuelles à laquelle, monseigneur, vous avez bien voulu rendre hommage.
Le consistoire espère que les fruits du Concile seront dignes de vos efforts".

Note :
  1. Le Concile Vatican II se réunit à partir de juin 1962. Lors de sa deuxième session, (septembre-décembre 1963), le Cardinal Bea propose un texte sur les Juifs, inséré dans le schéma sur le mouvement oecuménique.
    Les projets de texte sur les rapports historiques de l'église catholique et des Juifs, sur leur culpabilité dans le déicide, subiront de nombreuses modifications au cours de cette période, de septembre 1963 à fin 1964. Des courants divers et contradictoires s'affrontent au Concile sur ce sujet.
    Jean XXIII meurt à Rome le 3 juin 1963 et il est remplacé par Paul VI.
    D'une part "tenace par fidélité à la volonté du pape Jean XXIII, mais aussi encouragé par les contacts avec des personnalités juives entre juin 1962 et février 1963", le cardinal Bea estime "indispensable de tenir compte de la mémoire de l'extermination du peuple juif, qui requiert une reconnaissance des fautes de l'antisémitisme chrétien et en conséquence une purification des mentalités."
    Cependant, le Concile est soumis à de fortes pressions de la part des Eglises orientales. Le "Decretum de Judaeis" de la période préparatoire a été écarté en juin 1962, principalement à cause des réactions politiques arabes. Par exemple, les Pères melkistes s'écartent sensiblement des orientations de l'aile rénovatrice, en faisant prévaloir "les raisons de la société arabe et la préoccupation de protéger les minorités chrétiennes dans les pays musulmans".
    Ces interventions expliquent que la déclaration"Nostra Aetate", consacrée notamment aux Juifs, sera finalement adoptée par le Concile Vatican II en 1965, dans un texte édulcoré, qui aura pris en compte les pressions auxquelles le Concile a été soumis.    Retour au texte


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