L'évacuation des populations
d'Alsace-Lorraine (1939 )
pages 151-153

Editions Cheminements, octobre 2002
ISBN 2-9-14474-60-1
Les titres et les notes sont de la Rédaction du Site
Livre
En décembre 1939, mes maîtres Pautrier et Rohmer me demandent instamment d'accepter les fonctions de directeur du d'hygiène à la préfecture d'Angoulême en même temps que celle de commissaire sanitaire des évacués de la Moselle en Charente. Le poste devait être occupé d'urgence à cause de la situation précaire des quarante mille Mosellans, hébergés dans des conditions désastreuses.

Peu après mon arrivée à Angoulême j'eus la visite de Madame Crawshey, fille de Lord Tyrell qui avait été ambassadeur de Paris, accompagnée de lady Montagu, dame d'honneur de la reine. Elles me demandèrent une série d'exposés relatifs à l'évacuation de Strasbourg et la protection des populations des repliés. Ces études seraient destinées à paraître dans le Times. Je rédigeai quatre articles : le premier, anecdotique et un peu lyrique, sur l'évacuation, et les trois suivants, de caractère technique, sur les transports, l'accueil et l'intégration. Quinze jours plus tard je reçus ne lettre (tombée entre les mains de la Gestapo) de la reine à qui les quatre articles étaient en réalité destinés. Elle y disait l'intérêt qu'elle avait pris à la lecture du texte et au rapport que ces dames lui avaient fait. Elle se réservait de me faire part ultérieurement des projets suggérés par ces rapports.

Avant de parler de ma nouvelle charge, je veux mentionner brièvement une initiative réalisée avec mes amis Laure Weil, Fanny Schwab, Lucien Cromback et Raymond Baumann. Il s'agissait de la création d'un organisme central pour l'aide aux populations israélites d'Alsace. Le climat général discriminatoire entourant les juifs, les familles immigrées surtout, leurs problèmes particuliers, la prévision peu optimiste de l'avenir, rendaient nécessaire à nos yeux une protection et une compréhension spéciales. J'avais fait venir Laure Weil et Fanny Schwab de leur lieu d'évacuation dans les Vosges, pour qu'elles prennent la direction de la nouvelle oeuvre. Nul n'était mieux qualifié qu'elles pour l'organiser et la conduire.

Je proposais à mes amis le titre '"d'Œuvres d'Aide Sociale Israélite" aux populations repliées d'Alsace (OASI). Un rez-dechaussée fut loué rue Thiers, où l'on installa les bureaux. Ils ressemblèrent bientôt à une ruche, comme si souvent dans les entreprises animées par Laure Weil. Rapidement les OASI étendirent leur réseau d'assistance sociale à la Corrèze, la Haute-Vienne, le Jura, l'Ain, l'Aisne, les deux Savoie.

Assistants et assistantes parcoururent toutes ces régions avec efficacité et régularité. Dans la Haute-Vienne un noyau communautaire important s'était développé, dirigé, stimulé, encouragé, sans peur ni reproche, par le rabbin Abraham Deutsch de Bischheim-Strasbourg, conduit vers l'affirmation de la liberté propre et donc, vers la résistance. Il paya par la prison, la défense de la personnalité française et juive et seule la libération le délivra des griffes de la milice et de la Gestapo. Mon ami Gaston Lévy, pédiatre réputé de Paris, cousin du rabbin, y avait créé et dirigé une crèche, introduit, avec l'appui de l'OSE, un service complet de puériculture. Il s'étendit, sous sa direction, à tout le Limousin. Il fit profiter jusqu'à la dernière minute mères, nourrissons, enfants, de sa maîtrise, de sa riche expérience, de son talent d'organisateur, de son savoir étendu, de son dévouement. De nombreuses jeunes filles firent sous son enseignement leurs premières armes de puéricultrices. A l'heure de la vérité, la qualité des leçons prodiguées, tant dans le domaine éthique que professionnel, se vérifia au nombre élevé des sacrifices consentis. C'est l'OASI, Laure Weil et surtout Fanny Schwab qui assuraient l'assise matérielle et la motivation spirituelle aux activités d'aide dans toutes les régions où habitèrent des familles juives d'Alsace. Ce témoignage de fidélité à l'organisation sociale communautaire mérite d'être inscrit à part, dans les annales de la communauté israélite de Strasbourg. Le Joint (Jewish Joint Distribution Committee) l'avait bien compris. J'avais pu l'intéresser à l'action d'une conscience communautaire soucieuse de témoigner sa solidarité aux heures de détresse.

Une maison pour les enfants rappelant l'orphelinat, une maison de retraite correspondant à la vénérable institution "Elisa" furent installées par Fanny Schwab à Bergerac. Maître Jules Weil-Sulzer et son épouse Jetty en assurèrent la direction, difficile et efficace. Ils avaient entouré leur maison de leur simplicité banalisée, alors qu'à l'intérieur rayonnait la chaleur de la famille de l'amitié.

On obtint aussi du Joint, au moment de la grande faillite, où toutes les sources de l'espoir et de l'action semblèrent desséchées, la possibilité de mettre sur pied une "équipe médicale volante" auprès des populations repliées qui n'avaient pas voulu ou pu regagner leur domicile. Cette création mérite d'autant plus d'être mentionnée que la législation alliée, aussitôt l'armistice signé, interdit catégoriquement le versement du moindre budget à l'intérieur d'un territoire occupé par l'ennemi. Cette équipe, animée par mon frère Elie, cardiologue, feu Henri Nerson, gynécologue, Gaston Revel, oto-rhino-laryngologunste, exerça son activité féconde jusqu'en 1944. Non seulement des malades juifs purent être soignés par des médecins juifs qui prodiguaient leurs soins à qui les sollicitait, mais ils purent pourvoir leurs protégés de médicaments, de lunettes, de prothèses, prestations inaccessibles à l'époque aux juifs nécessiteux. Le lien avec les familles isolées, abandonnées, angoissées, représentait une des thérapeutiques les plus efficaces.


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