Docteur Joseph WEILL
(Bouxwiller 3 juillet 1902 - Montfaucon 11 mars1988)
par Frédéric-Shimon Hammel (Chameau)
extrait de Souviens-toi d'Amalec, Editions C.L.K.H. 1974

Il est difficile de savoir si l’ascendant d’un médecin sur autrui et sur son entourage lui vient de son don de sympathie - dans le sens étymologique : participation à la souffrance - ou de la connaissance de l’homme que lui confère l’exercice de la médecine.
Le fait est que, dès la première rencontre avec le Docteur Joseph Weill, on a l’impression qu’il en sait plus sur vous que vous-même. Sa façon de parler, toujours calme, jamais passionnée, et son habitude d’observer son vis-à-vis avec un intérêt manifeste, mettent à l’aise.

Sa culture générale, sa culture juive, sont très étendues. Le Docteur a su nous transmettre dans ses exposés et dans des cercles d’études, des connaissances qui nous resteront. Il a donné aux études religieuses à Strasbourg un élan qui y faisait défaut depuis des générations, en promouvant, au début des années trente, un Institut des Etudes Juives.

Rien d’étonnant à ce que le Docteur ait été un conseiller remarquable. Lorsque, peu avant la guerre, nous déclenchons une politique de la jeunesse dans la communauté, ses conseils et ses encouragements sont des plus précieux.

Négociateur hors pair, il le prouvera, entre autre après la Débâcle, lorsque certains milieux chrétiens commenceront à s’émouvoir de la situation dans les camps d’internement. Ses interventions et ses initiatives auprès du Comité de Nîmes, groupant trente oeuvres nationales et internationales, confessionnelles ou laïques, seront très efficaces.

Le pessimisme du Docteur Weill nous étonnait toujours. Chaque fois, nous devions admettre qu’il avait raison. C’était un pessimisme tout particulier, car constructif. En France, il est alors courant de penser "que l’antisémitisme de type nazi est impensable", mais il nous encourage à nous organiser, à prévoir l’auto-défense. Lui-même use de son autorité pour inciter à plus de modération les Juifs ayant des relations d’affaires avec les populations rurales.

Il met à la disposition des E.I.F. sa propriété proche de Saumur où, pour la première fois, les projets de Robert Gamzon seront mis en pratique et seront à l’origine, après la Débâcle, du réseau des fermes de la Zone Sud.

Il s’oriente vers les questions sociales, début 1940, en rejoignant les évacués d’Alsace en Dordogne. Il y crée de toutes pièces un ensemble médico-social qui attire l’attention des autorités et même d’une commission anglaise qui remarque que le Docteur "était le seul à dire la vérité", sous-entendu : sur la misère des évacués.

Lorsqu’à la suite de la défaite, une bonne partie des Juifs d’Europe Occidentale se trouvent en Zone Sud, soit à titre de réfugiés, soit à titre d’internés dans des camps, le Docteur se met à la disposition de l’O.S.E. Grâce à ses nombreuses relations, et malgré un antisémitisme institutionnalisé, il maintiendra des contacts avec des personnalités officielles et intéressera au destin juif des organisations humanitaires internationales.

Il obtient même des secours substantiels pour notre ferme de Taluyers où, pendant les deux premières années, se poseront de graves problèmes de ravitaillement et de financement.
D’une façon générale, il parvient à aider tout travail positif : Les maisons d’accueil pour "internés en congé non libérable" de l’Abbé Glasberg, par exemple.

Dès 1941, le Docteur Joseph Weill prévoit l’extension de l’activité de la Gestapo au-delà de la Ligne de Démarcation. Il prévoit la nécessité de préparer le passage dans la clandestinité de l’O.S.E., la dispersion et des planques pour les pupilles des maisons d’enfants, raison d’être du Circuit Garel.

Le docteur, et quelques-uns de ses collaborateurs, Andrée Salomon, Julien Samuel, Directeur de l’O.S.E. Marseille, sont recherchés. Il parvient à faire revenir le préfet sur sa décision en faisant vibrer la corde patriotique; mais lui et son équipe devront dorénavant éviter cette ville.

A Limoges l’atteint le message du secrétaire de mairie de Terrasson : "Coco est très malade". Cette fois, c’est la Gestapo qui le recherche. Il décide d’aller en Suisse, où il deviendra l’une des personnalités les plus actives pour le sauvetage des populations juives. Il gardera le contact avec les oeuvres internationales pour leur rappeler leur devoir et, en particulier, avec la Croix Rouge. Il collaborera avec les institutions juives, notamment avec le Joint, pour qu’elles augmentent leur aide aux populations persécutées et il touchera également des personnalités suisses afin qu’elles fassent pression sur la Confédération pour améliorer les conditions d’accueil des réfugiés. En un mot, il deviendra l’ambassadeur du Judaïsme européen à Genève.

La France n’est pas encore libérée qu’il prépare déjà l’après guerre en fondant, avec un de ses amis de l’Unitarian Service Committee, une école de formation sociale pour des cadres destinés aux survivants des camps et des communautés. Les candidats seront recrutés parmi les meilleurs éléments des camps d’internement suisses.


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