Félix LÉVY
par Michel LÉVY
2 décembre 1913 - 9 août 2006


C'est dans l'Alsace allemande qu'il naît à Strasbourg, le 2 décembre 1913, au foyer de Berthe et Alphonse Levy, rue Thiergarten, dans ces petites rues qui entourent la synagogue du Quai Kléber. Le 2 décembre, anniversaire du couronnement de Napoléon, anniversaire d'Austerlitz. Il nous l'a souvent rappelé. Il n'a jamais beaucoup raconté son enfance. Il se rappelait cependant la fierté de son père le jour de sa Bar-Mizwah. Il vient de fêter ses quinze ans lorsque son père décède. Sa mère assure son éducation, aidée en cela d'un tuteur, l'avocat Jules Lévy, qui aura une influence déterminante sur sa vie. Bonnes études au Lycée Kléber, ainsi qu'au Talmud-Thora. Doué d'une mémoire remarquable, il nous récitera jusque dans ses derniers jours des extraits de poésie française ou allemande, ou des évènements des livres des prophètes appris dans sa jeunesse.

Les vacances se passent à Offendorf chez ses oncles et tantes, ou chez ceux d'Ingwiller. Il se souvenait encore de marches qu'il effectuait alors entre Ingwiller et Saverne, conduisant les bêtes que ses oncles voulaient vendre. Et jusque dans ses dernières années, il allait encore en bicyclette se promener jusqu'à Offendorf. Et quand nous marchions ensemble dans les petites rues du village, je l'entends encore apostropher les paysans dans leur jardin d'un "Salut Seppi" ou d'un "Salut Alter". Il savourait ce "retour à la campagne" et quand je m'étonnais : "Mais tu le connais ?" Il me répondait : "Non mais ça lui fait plaisir, et peut-être va-t-il être occupé à se demander pendant des heures, qui est-ce type qui l'a salué ?"

Apres sa scolarité, il entre à la faculté de Droit dont il sort avec la médaille de deuxième lauréat. Nommé attaché au parquet à Strasbourg, il est évacué avec son tribunal à Limoges. Il y est tout d'abord magistrat, puis, chassé par les décrets sur le Statut des juifs d'octobre 1940, il se reconvertit à la profession d'avocat, qui lui sera interdite elle aussi par le second décret de juin 1941. Conseiller juridique, aidé par les propriétaires du petit appartement que sa mère et lui ont loué, il échappe aux rafles, survit à la guerre. Il est toujours reste très discret sur son activité communautaire pendant ces années-là. Ce n'est que très récemment, dans les Mémoires du grand rabbin Deutsch, que j'ai par exemple découvert qu'il était secrétaire trésorier du comité de l'école ORT créé à l'initiative du grand rabbin Deutsch. Toujours est-il qu'au retour à Strasbourg il sort en tête des élections à la commission administrative.

Ce retour, courant 1948, comme juge au Tribunal de Grande Instance de Strasbourg,  s'effectue après un passage a Saverne où il a été muté comme juge a la libération. Passage bref mais important, puisque c'est a Saverne qu'il rencontre sa femme, Suzanne Frenkel, et que naît ma sœur.

Ce retour tant attendu a Strasbourg (où je viens compléter la famille) est pour lui une étape très importante. Ainsi l'appartement où le couple s'installe au haut de 84 marches, sera  le bastion familial pendant 25 ans ! Il est dans "sa" ville, et il y est a la fois magistrat et administrateur communautaire. Il a toujours bien marqu" la frontière entre les deux, allant jusqu'à ne pas s'asseoir sur les bancs de l'administration de l'Almemor lorsqu'il était en poste en dehors de Strasbourg. (Comme le jour de l'inauguration de la synagogue de la Paix !).

Nommé successivement à Autun, Valenciennes, Saverne, Metz, Sarreguemines, Colmar et Strasbourg, il n'a jamais renoncé à habiter Strasbourg. Sa mère n'aurait pu s'adapter ailleurs, il ne pouvait la laisser seule. C'était son excuse qui cachait pour nous la pudeur qu'il avait de ne pas nous imputer ces voyages, car ce qu'il avouait pour sa mère, il y tenait tout autant pour sa femme et ses enfants : ne pas nous déraciner tous les 3-4 ans. C'est lui qui a voyagé.
Deux à trois aller-retour par semaine dans ces villes mentionnées plus haut ! La médaille de la SNCF lui revenait sûrement ! Au cours de ces pérégrinations, il est passé de juge à président, puis Conseiller à la Cour d'Appel, Président de Chambre, et finalement en 1973, Président de Tribunal de Grande Instance.

Articles de Félix Lévy sur notre site

Bûrem d'antan et Pourim d'aujourd'hui

Construction de la nouvelle synagogue (Synagogue de la Paix)

Parallèlement, il met ses compétences au service de la communauté. Administrateur puis vice-président, il se voit confier par le président Charles Ehrlich la présidence de la commission de la reconstruction. Ce seront des années intensives, qu'il a relate dans la brochure publiée par la C.I.S, dont l'aboutissement sera le 23 avril 1958, l'inauguration de la synagogue de la Paix. Il dirigera le FSJU, l'AJUF, et après en avoir été longtemps vice-président, sera élu à la présidence de la Communauté.

Grand travailleur, il usa de toutes les arguties pour prendre sa retraite le plus tard possible, et put ainsi travailler jusqu'à 73 ans ! Et après cela il en "voulait" à son employeur "qui l'avait mis a la porte" alors qu'il était encore vigoureux 
Ses qualités de juriste étaient unanimement reconnues, et il continua longtemps a être consulté comme "sage" de la communauté.

Rigoureux, ferme et juste, il n'en était pas moins un homme dont l'humour était un trait dominant. Sur un petit pense-bête dans son portefeuille, il avait une liste de mots lui rappelant une bonne blague, que surtout il savait raconter. On peut retrouver dans l'Arche son article sur les "moshelich" alsaciens, ainsi que sur ce site, ses histoires de Pourim. Si quelqu'un dans la rue lui demandait "Vous avez l'heure ?" il pouvait répondre : "Oui bien sûr" et continuer son chemin !

C'était aussi un père attentif, mais exigeant, dont la droiture est un guide permanent. Et un grand père affectueux, avec lequel, malgré les distances, ses petits enfants, qui vivent en Amérique, en Israël ou en France,  avaient un contact merveilleux. Lui qui disait "j'ai des petits-enfants, mais je ne suis pas grand-père" a eu la joie de connaître trois  arrière-petites-filles et un arrière-petit-fils.

Il avait dessiné lui-même la forme de la pierre tombale qu'il voulait, en précisant "en grès des Vosges". Dans ce cimetière de Cronenbourg où, me disait-il en sortant un jour d'un enterrement "j'ai plus d'amis à l'intérieur qu'à l'extérieur",  tout en me faisant remarquer que la communauté avait dû investir pour renforcer la clôture du cimetière, "alors que ceux qui sont dehors ne veulent pas y entrer, et que ceux qui sont dedans ne peuvent pas en sortir ".

Il s'est éteint doucement le 9 août 2006, 15 du mois d'Av.

 

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