Témoignages sur le Docteur Alfred ELIAS
transmis par ses descendants, Didier et François BLUM


Châteauroux le 22 Juillet 1941

Cher Monsieur BLUM,

Je m'empresse de répondre à votre lettre me demandant des renseignements sur l'activité patriotique de M. le Docteur ELIAS, ainsi que sa collaboration à des oeuvres philantropiques

Je pense que vous pourriez vous adresser utilement à M. WICKY, Maire de Mulhouse (actuellement à Agen ) qui a bien connu votre beau-père .

En ce qui me concerne je me fais un devoir d'attester ce qui suit :
Habitant dans la maison de M. le Docteur Alfred ELIAS dont j'étais le locataire de décembre 1937 à l'occupation de Mulhouse par les allemands, j'ai entretenu avec lui et sa famille les meilleures relations .
J'ai donc été à même d'apprécier les hautes qualités morales du Docteur ELIAS et particulièrement son patriotisme.

En effet, bien que son âge de plus de 70 ans le pouvait dispenser d'activité militante, le Docteur ELIAS consacrait tous les loisirs que lui laissait sa profession, à l'œuvre philanthropique des "SAMARITAINS" dont il était depuis de longues années l'animateur dévoué. Si je ne fais erreur, je crois même qu'il était le fondateur de ce groupement mulhousien.
Organiser des cours, former des brancardiers civils, bénévoles, et surtout entretenir dans leurs coeurs l'amour de la France, et l'esprit du Devoir, voilà en résumé à quoi tendaient les efforts constants du Docteur ELIAS.
A la déclaration de la guerre, les Services de la Défense Passive apprécièrent l'importance d'une telle organisation

Cet homme de bien ne se contentait pas d'apporter son concours intelligent à une seule œuvre. Soucieux du bon état physique et moral de ses compatriotes il était à la tête de la Section de la Ligue-anti-alcoolique . D'autre part, il faisait partie du Conseil d'Administration de la Caisse d'Épargne.
Son esprit de bons sens, sa longue expérience des choses et des hommes donnaient à ses conseils une valeur précieuse .

Dès la déclaration des hostilités, le Docteur ELIAS malgré son âge tint à être mobilisé avec le corps médical civil mis à la disposition des services de la Défense Passive .
Il fut affecté à l'ambulance que l'on installa dans le sous-sol du bâtiment de la Caisse des Malades. Cette ambulance avec salle d'opérations était parfaitement aménagée grâce aux directives du Dr ELIAS.

Ayant envoyé sa famille à Dinard afin de la préserver des risques éventuels de la guerre, le Dr ELIAS demeurait seul dans sa maison, servi par une vieille bonne, fort dévouée. Sollicité par les siens de venir les rejoindre, il leur répondait qu'il demeurait au poste ou son devoir l'avait placé

Je l'ai quitté en novembre 1940, ayant été chargé du repliement à Pau, de services du Tribunal de Ière instance de Mulhouse, ainsi que du transfert des archives judiciaires.
Avant mon départ, le Dr ELIAS me confirma sa volonté de demeurer à Mulhouse jusqu'à la fin de la guerre et quoi qu'il advienne. Je reçus plusieurs fois de ses nouvelles où il exprimait sa confiance dans la victoire et son amour de la patrie .

Fin Juin 1941, je reçus à Pau une lettre que M. WICKY, Maire de Mulhouse m'avait envoyée par l'intermédiaire de la Croix-Rouge. Cette missive m'avisait du décès du Dr ELIAS, en me priant d'aviser sa famille. Je m'acquittai de cette triste mission .

Nous apprîmes plus tard que la veille de l'entrée des allemande à Mulhouse ou l'avant-veille, le Dr ELIAS avait tenté de quitter la ville afin de rejoindre sa famille. Selon certains renseignements il aurait été vu à bicyclette sur la route de Cernay et se dirigeant dans cette direction ; puis on l'aurait rencontré faisant demi-tour et rentrant à Mulhouse, très las et découragé , sans doute s'était-il rendu compte de l'impossibilité de franchir la ligne des armées ou ne se sentait-il plus la force suffisante pour accomplir un long et pénible voyage

Rentré à son domicile il rédigea son testament dans lequel il n'oublia pas un don important aux pauvres de Mulhouse et le lendemain matin la bonne, ne le voyant pas descendre de sa chambre, s'inquiéta et trouva son maître râlant et près à mourir. Transporté à l'Hôpital Civil de Mulhouse il y expira peu après son admission .

Le Docteur ELIAS, désespéré de voir la France vaincue, réalisant tout ce que la défaite allait entraîner de tragiques conséquences pour l'Alsace-Lorraine, pour tout ce qui lui était cher, n'avait pas voulu survivre à la fin de son idéal ici-bas .

Je dois ajouter que le Dr ELIAS avait aussi des raisons graves pour redouter l'entrée des allemands à Mulhouse :
Au début de la guerre 1914-1918 , quand les troupes françaises entrèrent pour la première fois à Mulhouse, deux officiers français se trouvèrent surpris par les allemands qui reprirent la ville Afin de sauver ces officiers, le Dr ELIAS affecté dans un hôpital, leur fit des pansements sur des blessures fictives car ils n'étaient pas blessés et les admit dans cet hôpital. Lorsque les autorités militaires allemandes se présentèrent pour envoyer les deux prisonniers en captivité en Allemagne, le Dr ELIAS déclara qu'ils n'étaient pas transportables et que leur état exigeait des soins attentifs pendant un certain temps.
Une contre-offensive de nos troupes dégagea Mulhouse. A ce moment le Dr ELIAS enleva leurs pansements aux deux officiers qui purent grâce à lui rejoindre notre armée. J'ai su par le Dr ELIAS que l'un des deux officiers est malheureusement mort peu de temps après, des suites d'un accident mais que le second serait encore en vie et qu'il avait longtemps correspondu avec lui .
Un infirmier de l'hôpital (coiffeur à Mulhouse, dans la vie civile) avait eu connaissance de ces faits et le Dr ELIAS ne l'ignorait pas. Discrètement le Dr ELIAS sut acheter le silence de ce témoin .

Après la victoire et le retour de l'Alsace-Lorraine à la France, le Dr ELIAS fut cité à l'Ordre de la Nation pour ce geste admirable . (J'ignore si la dite citation comportait l'attribution de la Croix de Guerre , car jamais je n'ai vu le Dr ELIAS portant une décoration ). Je sais également par lui même qu'on lui offrit de le proposer pour la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur mais qu'il déclina cette proposition , estimant qu'il n'avait fait que son devoir, et d'autre part un peu écœuré de voir que l'on avait décoré une personnalité
mulhousienne qui n'avait accompli aucun acte pendant la guerre pour mériter cet honneur.

Je sais qu'au début de l'année 1939 le Dr ELIAS a fait l'objet d'une-proposition pour la Croix du Mérite Civique et aussi pour une autre distinction dont je ne me souviens plus. A cet effet j'ai établi au Tribunal de Ière Instance de Mulhouse, deux extraits de casier judiciaire demandés par la Sous-Préfecture (ou la Préfecture). Je n'en jamais parlé au Docteur, persuadé qu'il ignorait les deux propositions en question et qu'il fallait lui laisser la surprise de ces récompenses.
Peut-être pourriez-vous vous adresser à ce sujet à M. KUNTZ Sous-Préfet de Mulhouse actuellement S/s Préfet de Roanne (Loire).

Il me reste à parler de l'esprit de tolérance du Dr ELIAS. S'il était d'esprit strictement laïque, par contre il respectait les convictions religieuses de ceux qui vivaient dans sa maison. En effet, il avait à son service une vieille bonne catholique très pieuse qui assistait chaque matin à la messe et le dimanche aux vêpres. Le Docteur, aussi bien que Madame ELIAS, laissaient à cette personne toute liberté pour pratiquer sa religion .
Catholique moi-même, ainsi que ma femme, jamais nous n'avons entendu quoique ce soit de la bouche du Dr ELIAS qui put blesser nos convictions .
Ainsi, la bonne entente régnait dans cette chère Maison où hélas ! la guerre a apporté le malheur...

Voilà cher Monsieur BLUM ce que je puis attester en ajoutant que je vous considère vous aussi (alsacien d'origine, ayant servi dans l'armée française pendant la guerre 1914-1918 ) comme un excellent patriote .
Comme tous les alsaciens-lorrains, tous les français, je souhaite la libération de notre patrie. Alors, les survivants, rentrés chacun dans leurs villes ou leurs villages auront le devoir d'honorer ceux qui furent, comme le Docteur ELIAS, les meilleurs serviteurs du pays .

Veuillez agréer cher Monsieur et ami, l'expression de mes sentiments cordialement dévoués.

Greffier du Tribunal de Ière Instance ce de MULHOUSE
délégué au Tribunal Civil de Châteauroux
Membre de l'Association des Ecrivains d'Alsace et de Lorraine
Membre du Comité d'Honneur de la Fédération Française des Coloniaux et Anciens Coloniaux ( reconnue d'utilité publique )


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