THEODORE HERZL
par Dr Alfred ELIAS (suite et fin)


Le congrès terminé, Herzl s'occupe avec ceux de ses amis qui sont au courant des affaires de banque de la création d'une banque coloniale juive. Elle devra avoir pour mission, comme il l'écrira plus tard dans son journal, de lancer des emprunts en faveur de l'état, avec lequel l'accord qu'il désire aura été conclu. Son rôle consistera "à trouver les capitaux nécessaires pour obtenir un terrain de colonisation et pour coloniser". Il soumit au 2ème  congrès un avant projet qui fut accepté et la banque fut créée en mars 1899 à Londres sous le nom de "Jewish Colonial Trust", au capital de 2 millions de livres sterling. La souscription initiale rapporta 75 mille livres, cette somme émanait principalement de pauvres gens qui ne pouvaient se rendre acquéreurs que d'une action. Herzl qui souscrivit personnellement 2 000 actions à une livre n'eut pas d'imitateurs. La banque ne trouva pas dans ces conditions les deux millions qu'il lui fallait, et ne put pas rendre le service qu'on attendait d'elle.

On remarque au second congrès parmi les délégués venus pour la première fois le bactériologiste Alexandre Marmorek, membre de l'Institut Pasteur, le chimiste Charles Weizmann, le futur continuateur de l'œuvre de Herzl, et l'héroïque défenseur du capitaine Dreyfus, Bernard Lazare. Ce dernier n'apporta pas à Herzl l'appui du judaïsme français, mais une chose plus précieuse, son adhésion personnelle, celle du plus noble Juif de France. Il se sépara de Herzl en mars 99, mais resta jusqu'à sa mort fidele au sioniste.

Frédéric de Bade n'avait pas oublié sa promesse. Il chercha longtemps à agir sur son impérial neveu en employant les arguments d'ordre mystique qui l'avaient converti lui-même au sionisme mais il prêchait à un sourd. Au cours de l'été 98, il changea sa tactique et fit prévenir Guillaume que le mouvement sioniste pouvait avoir de l'importance pour la politique allemande en Orient. Il pensa certainement que les futurs colons juifs, dont la langue, le jargon, était un dérivé de l'allemand seraient des agents nés du germanisme en Palestine. Il ne pouvait pas savoir que déjà à cette époque le judaïsme employait en Palestine toute son énergie pour remplacer ce jargon par l'hébreu.

Rencontre de Th. Herzl et de l'empereur Guillaume II à Mikve Israël

Et maintenant Guillaume se laisse convaincre. Lors de son voyage en Orient, il reçoit Herzl à Constantinople et lui promet de demander au sultan d'autoriser la création d'une compagnie à charte juive. Herzl devait être informé du résultat de l'intervention impériale au cours d'une seconde audience, qui cette fois ci, aurait lieu à Jérusalem, et à laquelle des membres du comité sioniste étaient invités. Herzl quitte avec eux Constantinople, part pour la Palestine et est rejoint à Jaffa par Hechler qui se rend dans la Ville Sainte aussi. L'audience a lieu le 2 novembre. Hechler est convaincu que le retour commencera maintenant ; il croit qu'il est un des ouvriers de cette œuvre grandiose. L'émotion l'étreint. Et quand la délégation est sur le point de se mettre en route pour se rendre au camp impérial, où elle doit apprendre que l'exil va prendre fin, il lui donne sa bénédiction au nom d'Abraham, d'Isaac et de Jacob.

L'audience a lieu. Entoure de ses dignitaires, Guillaume écoute une harangue de Herzl, puis s'exprime ainsi :

"Je vous remercie pour vos informations ; elles m'ont fortement intéressé ; mais il est encore nécessaire d'étudier l'affaire soigneusement et d'en faire l'objet de discussions contradictoires... les colonies que j'ai vues, celles des Allemands et celles des Juifs, peuvent servir de modèle. Elles sont les preuves vivantes qu'on peut faire quelque chose de ce pays, qui peut servir de refuge à tous. Donnez lui seulement de l'eau et de l'ombre.... Je connais votre mouvement ; il contient une idée saine..."

Tous les espoirs s'écroulent ; ce n'était pas la déclaration que Herzl et ses compagnons attendaient. On apprit quelques années plus tard que Guillaume s'était consciencieusement acquitté de la mission dont il s'était chargé, mais avait été éconduit. Il ne pouvait ou ne voulait pas informer Herzl qu'il avait essuyé un refus ; mais comme il fallait dire quelque chose, il parla de l'eau et de l'ombre qui manquaient en Palestine.

Le professeur Schapira avait demandé en 1897 dans une séance du premier congrès, la création d'un Fonds territorial. Alimenté par des contributions volontaires, ce Fonds devra consacrer deux tiers de ses revenus à l'achat de terres en Palestine, et le troisième tiers soit pour les mettre en valeur, soit pour atteindre d'autres buts qui intéressaient le Judaïsme. Selon le projet de statuts, que Schapira avait déposé sur le bureau de l'assemblée, "les terrains qu'on aurait acquis ne devraient jamais être cédés à des tiers, ni à des Juifs, ni à des non Juifs ; ils devraient par contre être affermés pour des périodes qui ne pouvaient pas dépasser 49 ans ; et, dernière stipulation, ni le capital, ni les intérêts de ce Fonds ne seraient utilisés tant qu'il n'aurait pas atteint la somme de 10 millions de livres sterling".  Le congrès avait accepté en principe les propositions de Schapira, et avait même décidé, qu'un appel serait lancé au public juif et qu'on lui demanderait 10 millions de livres sterling pour ce Fonds. Cette dernière décision absolument utopique n'avait naturellement pas été exécutée. Mais l'idée que Schapira avait lancée, n'allait plus être abandonnée ; le problème du "Fonds Territorial" ou du "Fonds National" comme on l'appela bientôt (en hébreu : Keren Kayemeth Leisrael) fut étudié consciencieusement ; en 1901, au 5eme congrès, Herzl fil adapter un projet qui contient les idées directrices de celui de Schapira.

Le Fonds National Juif créé ainsi, devait, en vertu de ses statuts, avoir son siège à Londres ; 75% de ses revenus devraient être consacres à l'achat de terres dans la Turquie d'Asie, tout spécialement en Palestine et en Syrie, tandis que les 25% restants devaient former un fonds de réserve et être placés en valeurs sûres. Au 6ème  congrès, sur la demande des délégués russes, les statuts furent modifiés dans ce sens que le Fonds National n'etait autorise qu'a acquérir des terres en Palestine.

Le siège de Keren Kayemeth fut à l'origine Vienne, en 1905 il fut transféré à Bologne, en 1914 à La Haye.

La dette ottomane était, grâce aux intérêts a payer et à d'énormes frais d'administration, une des charges les plus écrasantes de la Turquie. Administrée par l'étranger, elle était considérée par le pays comme une humiliation. Un groupe financier à la tête duquel se trouvait Rouvier, financier et homme politique français, s'était offert pour procéder à la conversion. Mais ses conditions étaient draconiennes et ne délivraient pas les Turcs du contrôle étranger. Ces derniers hésitaient donc à conclure. C'est alors que l'explorateur d'origine juive Vambery décida Abdul Hamid, dont il était un des familiers, de recevoir Herzl... Il semble qu'il obtint ce résultat en persuadant le monarque, qu'il pourrait obtenir par l'intermédiaire de Herzl le secours financier de l'Ica, et peut être aussi des grands banquiers juifs, que la grande société de colonisation et ceux-ci se déclareraient prêts, pour obtenir le droit de créer des colonies en Turquie, de faire au rabais l'opération proposée par le groupe Rouvier, de le faire non seulement bon marché, mais en supprimant aussi le contrôle étranger.

Vambery, nature sceptique, est persuadé que Herzl quittera le sultan les mains vides, mais le fait qu'il aura été reçu aura, selon lui, une importance capitale. Herzl, croit-il, pourra au moins, se présenter devant son congrès, Il gagnera du temps et le sionisme pourra continuer sa marche. Et, il le prévient  que les Turcs considèrent son mouvement comme une "fantasmagorie", qu'il ne devra donc pas en parler à Abdul Hamid. Herzl, par contre, est optimiste ; il pense que le sultan ne demandera pas l'impossible, et qu'il pourra lui faire obtenir satisfaction par l'Ica qui, comme il en est persuadé collaborera sûrement avec lui, "quand le moment d'agir viendra".

Herzl assiste le 17.5.01, jour de l'audience, en qualité d'invité de marque au sélamlik, reçoit à l'issue de cette cérémonie le grand cordon de l'ordre de Medjedié ; puis est introduit auprès du souverain turc. Celui-ci lui explique, après les salamalecs d'usage que les richesses ne manquent pas dans son pays ; Il l'engage a visiter l'Anatolie, où  il verra à droite et à gauche du chemin de fer des régions belles comme des jardins puis il lui parle des mines de fer, d'or et d'argent qui existent dans son empire, et ajoute qu'il vient d'être averti par télégramme que des sources de pétrole plus riches que celles du Caucase viennent d'être découvertes dans la région de Bagdad. Il l'informe ensuite de ses soucis d'ordre financier. La Turquie a besoin, dit-il de nouvelles ressources, et il demande à Herzl de lui indiquer un financier qui pourrait les lui procurer. Il lui explique aussi le mécanisme de l'unification de la dette qui devra entre autres produire un million ou un million et demi de livres, somme nécessaire pour couvrir le déficit de la dernière année budgétaire. La Turquie a besoin, termine-t-il de nouvelles ressources, et il demande Herzl de lui indiquer un financier qui pourra les lui procurer. Il ne nomme ni l'Ica, ni Montagu, ni les Rothschild ; mais tous ses noms flottent dans l'air; et c'est à eux qu'il pense. Ses explications qui sont plutôt obscures, signifient traduites dans un langage clair, qu'il autorisera l'Ica et la haute finance juive à coloniser certaines régions de l'Anatolie, qu'il leur donnera des concessions minières, si elles procèdent à l'unification de la dette ottomane dans de meilleures conditions que celles offertes par le groupe Rouvier.

Herzl promet de donner son avis sur les moyens qui devront être employés pour assainir les finances turques et demande une copie du projet déjà existant d'unification et les documents qui lui permettront d'étudier la situation financière de la Turquie. Le Sultan acquiesce à sa demande et l'audience qui a dure plus de deux heures prend fin. Le lendemain Herzl est de nouveau convoqué au Palais, il est reçu cette fois par deux grands dignitaires, Izzet Bey et Ibrahim Bey, qui l'informent que la Turquie a commandé des vaisseaux de guerre qui coûteraient 4 millions de livres, qu'on n'a pas cette somme et que c'est sur lui qu'on compte pour la trouver. Herzl déclare que ses amis pourront la fournir, mais il ajoute qu'il exige par contre la création d'une société financière qui aurait le droit d'établir des colons sur les terres en friche comme il en existe en Palestine. Le sultan mis au courant des exigences de Herzl, ne dit pas non et le fait prévenir qu'il attend des offres dans les quatre semaines qui suivent.

Herzl peut donc espérer qu'il aura sa charte s'il peut tenir les promesses qu'il vient de faire, et il recommence les démarches qu'il a déjà faites, en juillet 96. Il s'adresse de nouveau à l'Ica et à la haute finance juive, et essuie de nouveau un refus. Son échec en Turquie semble dans ces conditions définitif. Or, sur une demande du gouvernement turc, il retourne en février 1902 à Constantinople. On ne lui parle plus du déficit a couvrir, ni des vaisseaux de guerre à payer, c'est uniquement le problème de la dette qui fait des soucis aux dirigeants turcs. Et Izzet communique à Herzl les projets de son maître. S. M. explique-t-il, est disposée à ouvrir son empire aux Juifs de tous les pays, a condition qu'ils acceptent la nationalité ottomane avec les devoirs qu'elle impose, avec ses lois et son service militaire. "Ils doivent", dit-il, "avant d'entrer chez nous renoncer en toute règle à  leur nationalité et devenir sujets ottomans. Ils pourront alors s'établir dans toutes nos provinces, la Palestine exceptée, au moins pour les débuts. Sa Majesté vous demande de former un syndicat pour l'unification de la dette, par contre elle vous offre la concession de toutes les mines qui existent dans l'empire, celles qui sont découvertes et celles qui sont à découvrir, mines d'or et d'argent, de charbon et de parole... le syndicat devra être autonome, et son conseil d'administration devra être uniquement composé de Juifs et de Musulmans.

Herzl, qui malgré les refus qu'il a essuyés jusqu'alors, a toujours encore l'illusion que l'Ica et les grands banquiers juifs ne le laisseront pas tomber, répond le lendemain qu'il accepte en principe la proposition turque, mais ajoute : "Il s'agit de trouver une jonction entre la colonisation juive et l'opération d'unification. Cette jonction... ne peut consister que dans l'octroi d'une concession générale d'une grande société de colonisation juive". La réponse de Herzl est soumise au Sultan, mais celui-ci ne se déclare d'accord qu'avec une société qui pourra coloniser en Mésopotamie, en Syrie, en Anatolie, en somme où elle voudra, excepté en Palestine. Un financier aurait certainement accepté ; mais le chef sioniste refusa, et il répondit le 18/2/1902 que les propositions impériales lui paraissaient inacceptables.

J'avais fait remarquer quelques semaines auparavant à  Herzl que l'Alliance israélite n'avait plus procédé depuis de longues années aux élections de son comité ; que les membres de l'Alliance n'étaient peut être pas d'accord avec la politique antisioniste de celui-ci, que des élections pourraient faire entrer une majorité sioniste dans son sein, et qu'en entrant dans l'Alliance le sionisme entrait dans l'Ica et je lui avais suggéré l'idée de tenter la chance en exigeant que l'Alliance procède à de nouvelles élections. Herzl avait accepte ma suggestion, il avait mobilise tous les centres de propagande de l'organisation pour cette élection, et m'avait demande de diriger la campagne électorale. "Comme l'idée venait de vous", m'avait-il écrit le 14.1.1902 "c'est vous en personne qui devez le réaliser. J'ai des motifs sérieux pour le désirer... Si vous réussissez, vous rendrez, je pense, un grand service a notre mouvement." Le scrutin eut lieu en mai 1902, et s'est termine par notre défaite. L'Alliance et avec elle l'Ica pouvaient donc continuer à combattre les projets d'Herzl.

En 1903 l'organisation sioniste créa avec les capitaux de l'I.C.T. l'Anglo-Palestine-Company qui ouvrit des succursales dans différentes villes palestiniennes.

Les Turcs n'avaient pas rompu tout contact avec le groupe Rouvier. Celui-ci ne les délivrait pas du contrôle étranger, mais ce contrôle devait leur sembler moins désagréable qu'une Palestine juive, et ils se résignèrent à accepter l'offre de Rouvier. Pour avoir des conditions moins onéreuses ils employèrent le stratagème suivant : ils rappelèrent en 1902 Herzl à Constantinople et entamèrent un simulacre de négociations avec lui. Cette manœuvre réussit rapidement, car peu de jours après Herzl fut prévenu qu'il pouvait repartir ; il comprit alors qu'on s'était joué de lui.

timbres israéliens à l'effigie de Th. Herzl

Et maintenant Herzl se tourne vers l'Angleterre et s'abouche en octobre 1902 avec le gouvernement anglais pour obtenir l'autorisation de coloniser la presqu'ile du Sinaï et El-Arish. Il est soutenu dans cette tentative par Joe Chamberlain, le ministre des colonies anglaises et Lord Nathaniel Rothschild, deux personnages de marque, qu'il a conquis comme auparavant il conquit Frédéric de Bade et tant d'autres. Il demande aussi l'Ile de Chypre. Mais Chamberlain lui explique qu'il ne peut pas être question de celle-ci. "Dès qu'on parlerait de Chypre", dit-il, "une tempête serait déchaînée". Il se déclare par contre immédiatement d'accord avec une colonisation de El-Arish et du Sinaï, sous réserve cependant que Lord Cromer, le représentant du gouvernement anglais au Caire n'ait pas d'objections à formuler. Lord Rothschild de son côté lui promet de trouver les capitaux que cette colonisation exige, si l'Ica se dérobe à son devoir.

Herzl n'ignore pas que le Sinaï est désertique et El-Arish ne vaut guère mieux, mais il croit que ces régions pourront être fertilisées par l'eau et le limon du Nil. L'eau, selon lui, pourrait être amenée  par un aqueduc au désert, et le limon pourrait être transporté par mer à El-Arish. "Considérée comme affaire commerciale", dit-il à Chamberlain., "elle est mauvaise. Personne ne donnera de l'argent pour un pays semblable ; nous seuls nous le donnons, car nous avons des visées politiques". Et il lui explique qu'il lui faut un point de concentration juif dans le voisinage de la Palestine. Et à Lord Rothschild il écrit : "Il me faut la colonisation d' El-Arish, parce qu'il faut commencer immédiatement, parce que je soulage quelque peu des malheureux et parce que je pourrai provoquer l'enthousiasme des masses".

L'affaire étant du domaine de Lord Landsdown, chef du Foreign Office, Herzl s'adresse sur le conseil de Chamberlain à celui-ci, lui expose son projet et demande l'autorisation d'envoyer une expédition qui doit explorer la région sur laquelle il a jeté son dévolu. Landsdown, influencé par son collègue des colonies, se montre disposé à donner l'autorisation demandée, mais déclare comme Chamberlain, ne rien pouvoir accorder sans l'avis favorable de Lord Cromer. Celui-ci ne semble pas bien enthousiasmé par le projet de Herzl ; il informe, il est vrai, son gouvernement, qu'il ne s'oppose pas à l'envoi d'une expédition, mais prévient en même temps "qu'il faut se garder d'espoirs exagérés".

Une expédition sioniste est donc autorisée. Composée d'experts choisis avec soin et accompagnée d'un représentant du gouvernement anglais, elle se met commencement de février 1903 en route et reste partie pendant environ 6 semaines. Après son retour elle remet ses rapports. Il semble résulter de ceux-ci que le projet Herzl est réalisable malgré l'aridité du pays. Le plus important de ces rapports, celui qui sera discuté le plus âprement, est rédigé par l'ingénieur Stephens, et a trait à l'hydraulique des régions explorées. El-Arish est traversé par un cours d'eau qui ne coule que pendant la saison des pluies ; Stephens recommande la construction des réservoirs qui retiendraient l'excédent d'eau de cette saison pour la partie sèche de l'année. Aucune opposition ne se manifeste contre ces conclusions. Quand à la Presqu'ile du Sinaï, il n'y a qu'une partie de celle-ci qui pourra être utilisée, c'est la plaine de Pélouse ; elle est, il est vrai, désertique, comme toute la région dont elle fait partie, mais il est possible de la fertiliser par l'eau du Nil. Cette eau pourra lui être amenée par un canal qui existe déjà en partie, qui part des bouches du Nil et qui se dirige vers l'Est. Et Stephens propose de le faire passer par un siphon sous le canal de Suez et de le prolonger jusque dans la plaine qui doit être irriguée. Mais l'ingénieur du gouvernement nest pas de cet avis. Il affirme que la quantité d'eau dont on aurait besoin pour la plaine de Pélouse est 5 fois plus grande que celle que Stephens a calculée, que l'agriculture égyptienne ne peut pas s'en passer, et qu'en outre la construction d'un siphon qui durerait plusieurs semaines, occasionnerait une interruption inacceptable du trafic sur le canal de Suez.

Lord Cromer se déclare d'accord avec les conclusions de son ingénieur, donne en conséquence un avis défavorable, et l'autorisation demandée par Herzl de coloniser la plaine de Pélouse et El-Arish est refusée. L'Ingénieur du Gouvernement avait pris position contre l'irrigation de la plaine de Pélouse ; on comprend donc pourquoi on refusa cette région à Herzl. Mais pourquoi lui refusa­t-on El-Arish aussi ? Il est probable que Lord Cromer s'est laissé guider dans les deux cas par des considérations d'ordre stratégique. Ses experts militaires lui ont sûrement expliqué, que les choses restant en l'état ou elles sont, une armée ennemie qui viendrait de l'Est et qui marcherait vers l'Egypte n'arriverait au Canal de Suez qu'après avoir traverse un désert de 200 kilomètres, donc épuisée de soif. Pourquoi lui faciliter sa marche en donnant à cette région l'eau qui lui manque.

Le 11/5/1903 Herzl apprend que sa demande est rejetée. Chamberlain avait déjà été informé auparavant de la décision prise par son gouvernement. Revenu à Londres d'un voyage qui l'avait conduit en Afrique Orientale, Il avait reçu Herzl le 24/4 et lui avait dit : "J'ai vu au cours de mon voyage un pays pour vous ; c'est l'Ouganda. La côte est chaude, mais plus on se dirige vers l'intérieur, plus le climat devient bon, aussi pour les européens. Vous pouvez y cultiver la canne à sucre et le cotonnier. Et j'ai pensé que ce serait un pays pour Monsieur Herzl..." Il semble que fasciné encore par le mirage du Sinaï, Herzl n'attacha pas à ce moment de l'importance aux paroles de Chamberlain. Mais le 20 mai celui-ci revient à la charge et offre à Graenberg, le mandataire de Herzl, la région située entre Nairobi et le Mau Escarpment, pour une colonisation juive, lui explique qu'un million d'habitants pourront y vivre, et promet que les colons qui s'y établiront, jouiront d'une autonomie locale. Le 14 août il va même plus loin, et déclare que le gouvernement anglais nommera un gouverneur juif, qu'il accordera aux colons donc, comme il l'a déjà dit, une autonomie municipale, et qu'il s'interdira toute ingérence dans leurs affaires d'ordre religieux.

Herzl s'est rendu au commencement d'août en Russie, où le gouvernement lui promit de ne pas faire obstacle au mouvement sioniste, de contribuer financièrement à une émigration juive, et d'appuyer de son influence les efforts sionistes pour obtenir la Palestine. La première de ces promesses fut tenue, les deux autres restèrent, comme bien on pense, à l'état de lettres mortes. Le chef du mouvement sioniste se trouvait encore en Russie, quand il fut informé de la nouvelle proposition anglaise. C'est avec elle qu'il se présente le 23 août devant le congrès.

"Ce n'est pas Sion, déclare-t-il, dans son discours d'ouverture, et ne pourra jamais l'être. Ce n'est qu'une colonie provisoire, mais n'oublions pas qu'elle aura une base nationale et politique. Nous ne pouvons pas donner à nos masses le signal de se mettre en route dans sa direction et nous ne le donnerons pas. Ce n'est qu'une mesure de pis alter qui doit remédier à l'impuissance des sociétés philanthropiques et empêcher la dispersion et la perte de parties importantes de notre peuple."  

Nordau ne fut pas enthousiasme du projet africain ; il racontera plus tard, qu'il ne suivit Herzl qu'à son corps défendant et après une longue résistance qui lui coûta beaucoup. Mais l'amitié l'emporta sur ses convictions, et il soutint Herzl de toutes ses forces.

"Tant que nous n'avons pas atteint notre but immuable", dit-il dans une séance de ce congrès, "tant que la colonisation de la Palestine par les Juifs ne sera pas possible, nous n'accepterons en cours de route qu'une halte et nous ne ferons qu'un travail qui nous permettra d'attendre ; nous édifierons pour des centaines de mille de nos frères malheureux une construction qui ne pourra être que provisoire. Nous ne demanderons pas s'ils sont sionistes ou non ; il nous suffira de savoir qu'ils sont juifs. Ils ne peuvent pas attendre comme nous, qui avons un home, ils sont déjà sur la route, ils vont et viennent comme la navette du tisserand. Ils sont jetés d'un continent à l'autre, d'un océan à l'autre, et ils périront si nous ne prenons pas des mesures pour les sauver. Nous sommes donc forcés d'ouvrir un asile de nuit pour ces centaines de mille, avant de pouvoir leur offrir on foyer définitif. Et je considère comme un asile de ce genre la colonie que nous pouvons créer sur la terre que le gouvernement anglais est prêt à nous concéder."

D'autres amis de Herzl parlèrent dans le même sens. Mais une opposition compacte formée principalement de Russes, à la tète de laquelle se plaça entre autres Weizmann, fit valoir que le but du sionisme n'était pas de créer des asiles de nuit ; que la colonisation de l'Ouganda ne pourrait pourtant pas commencer immédiatement, qu'elle ne rendrait service qu'à une petite partie du judaïsme, qu'elle provoquerait une scission et qu'elle pourrait même mettre fin au mouvement sioniste. Apres une discussion mouvementée, le congrès décide de nommer une commission qui devra, de concert avec le comite directeur envoyer une expédition exploratoire dans la région offerte par l'Angleterre.

Le congrès terminé, Herzl demande à l'Ica de contribuer aux frais de l'expédition projetée. Elle se déclare d'accord, si elle a la garantie que la future colonisation n'aura pas de caractère politique. C'est un refus sous une forme diplomatique.

Les opposants entreprirent contre la décision du congrès une campagne par la presse, des tracts et des réunions publiques, et la poursuivirent avec une énergie et une violence inouïes. Leurs chefs, dont le principal fut Ussischkin, se réunirent au mois d'octobre à Kharkov, d'où ils envoyèrent un ultimatum à Herzl ; ils exigèrent qu'il renonce à la colonisation de l'Ouganda, et entrèrent ainsi en lutte ouverte avec lui. Appuyé par ses amis, Herzl leur opposa un refus, et les choses en restèrent là provisoirement. Herzl profita du repit que ses adversaires lui laissèrent pour se rendre en janvier 1904 à Rome, où il vit le roi, le pape et le cardinal Merry del Val. Le premier lui affirma qu'il était convaincu que les Juifs obtiendraient une fois la Palestine, les deux autres lui firent les déclarations que mes lecteurs connaissent déjà.

A la même époque Herzl apprend que le gouvernement anglais, informé que le congrès sioniste  n'a accepté qu'à contre cœur la proposition de coloniser une région "qui n'est pas Sion", n'offre plus qu'un terrain beaucoup plus petit situé sur le plateau de Gnas Ngischu. Après de longues hésitations, il se déclara d'accord avec cette nouvelle offre. Mais comme il fallait terminer la crise, il convoque une réunion de son comité directeur, dans lequel siégeaient amis et adversaires du projet. On y décida que l'expédition demandée par le congrès aurait lieu, mais que la discussion concernant le projet de colonisation de l'Est africain resterait ouverte et que ce ne serait que le congrès suivant qui prendrait une décision définitive.

Portrait de Th. Herzl sur le fronton de l'Agence juive à Jérusalem, avec sa devise : "si vous le voulez ce ne sera pas un rêve"

Ce fut la dernière fois que Herzl réunit son comité. Il mourut trois mois plus tard, le 9 juillet 1904, d'une maladie du cœur, dont il souffrait depuis longtemps déjà et qui s'était aggravée par la vie de fatigues et d'émotions qu'il s'était imposées depuis qu'il avait créé le mouvement sioniste. "Pour la premier fois depuis 2000 ans",  écrit le 15/7/1904 Nordau dans l'Echo sioniste, "le peuple juif avait produit un homme admirablement européen et en même temps un juif enthousiaste, qui avait la passion du progrès le plus radical et un merveilleux sens historique, qui était poète et homme d'état pour l'idée juive ; qui était Président, orateur, organisateur, rêveur, homme d'action, prudent où il pouvait, téméraire où il devait l'être ; prêt à tous les sacrifices et même au martyr, en ce qui le concernait, et d'une indulgence, d'une patience inépuisable pour les autres ; fier, noble, plein de dignité, et modeste pourtant, et fraternel avec les plus simples et les plus humbles . Cet homme etait Theodore Herzl..

Quand Herzl expira, ni un Etat ni un Foyer national juif n'étaient créés. Un Etat ne cède une partie de son territoire et de sa souveraineté qu'après une guerre malheureuse, ou s'il a la conviction de faire une bonne affaire. Herzl ne pouvait ni faire la guerre aux Turcs, ni les convaincre qu'ils avaient un avantage en autorisant une colonisation de la Palestine par les Juifs ; il ne pouvait donc pas réussir, même s'il avait eu les millions de l'Ica et de Rothschild à sa disposition. Il s'était donc acharné sur un problème insoluble ; mais s'il n'a pas fondé cet Etat ou ce Foyer, il a inculqué au judaïsme la conviction qu'un Etat juif pourrait être créé par des moyens naturels ; il a donné au sionisme une organisation et il a familiarisé ses contemporains avec l'idée qu'un Etat juif était nécessaire et possible. Son œuvre n'a donc pas été vaine.


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