Causes de la décadence du judaïsme
Dr. Ernest Meyer


Pourquoi 1a décadence du judaïsme est-elle plus marquée en France que dans n'importe quel pays ? Pourtant il y a un siècle la France (avec l'Alsace et la Lorraine) était encore la forteresse de l'orthodoxie et le berceau de théologiens célèbres, appelés aux plus hautes fonctions dans les diverses métropoles de l'Europe. Il doit exister de cette chute rapide des raisons très sérieuses qu'il vaut bien la peine de rechercher et d'examiner. On a 1es plus grandes chances de guérir quand on en connaît la cause.

Eh bien, il n'est pas difficile d'en découvrir les quatre principales. On a qu'à avoir les yeux ouverts et à juger avec franchise sans autre considération.


L'orgue de la synagogue de Mulhouse, détruit en 2010 par un incendie - © M. Rothé
La faute principale est imputable en premier lieu à nos guides religieux du dernier siècle : c'est l'abandon de l'étude de la langue hébraïque. La grande masse ne sachant plus lire les textes, s'en est désintéressée. N'étudiant plus notre littérature, on s'est jeté sur la littérature banale courant, d'où la religion était banni, où elle était même ridiculisée. Pour toutes les questions religieuses, on s' en rapportait entièrement au Rabbin, qui était seul censé connaître notre religion, et par conséquent seul astreint à la pratiquer intégralement. Voilà la première erreur fondamentale, la plus grave dans ses conséquences. La seconde, presque aussi grave, paraît à première vue plutôt d'ordre mesquin. C'est l'introduction de l'orgue dans nos synagogues.

La légende raconte que le jour ou le roi Salomon épousa la fille de Pharaon, un mauvais génie descendit du ciel et enfonça des perches près du littoral de l'Italie. La vase retenue par ces perches aurait formé à la longue la terre ferme, sur laquelle Rome fut construite, celle destinée à anéantir plus tard toutes les splendeurs salomoniques. Je serais tenté d'en dire autant de l'orgue, qui a eu des conséquences aussi incalculables pour le judaïsme moderne. Là il s'est agi uniquement l'existence matérielle et politique. Ici il s'agit de notre raison d'être spirituelle.

Cet instrument lugubre, venu d'Allemagne et adopté en France par esprit d'imitation simiesque, a été la source de quantité de méfaits. Comme un synode rabbinique avait lancé l'anathème contre l'usage de cet instrument dans le service religieux, les éléments conservateurs et sincèrement attachés à la reli­gion ont été obligés de se séparer de leurs corréligionaires pour ouvrir des lieux du prières sans orgue. D'autre part, quand il s'est produit une vacance dans le rabbinat, pour la même raison la p1ace n'a pu être occupée par un rabbin conservateur de stricte observance à opinion indépendante. Ainsi l'élément orthodoxe a été éliminé systématiquement du rabbinat français, comme il a été exclu de la synagogue. On peut imaginer sans peine les conséquences funestes de cette élimination.

Une troisième cause s'est ajoutée, comme conséquence. logique pour ainsi dire, aux deux premières. La grande masse était ignorante, l'élément orthodoxe restant exclu, tout manifestation religieuse devait se confiner dans la synagogue, représentée par son Rabbin. Le Rabbin se trouvait amené à jouer ainsi un rôle pour lequel il n'est nullement désigné par notre code religieux, rôle qu'il a pour ainsi dire usurpé, par imitation des autres cultes. La loi mosaïque connaît bien des prophètes, des chefs de sections, des juges, des prêtres, mais elle ne connaît pas de rabbin. Vers la fin du moyen âge les fonctions rabbiniques se sont précisées, mais uniquement dans le sens de l'aptitude particulière à l'instruction religieuse et de la compétence supérieure pour des décisions cultuelles. Bref, le rabbin n'avait de l'autorité que par son savoir. Homme privé, vivant de ses propre ressources, ou rabbin salarié par la communauté, il avait les mêmes attributs. En tous cas, il n'avait nullement le caractère d'un représentant du la religion.

Ici les conséquences fâcheuse ressortent moins manifestement à première vue, mais au fond elles n'en existent pas moins pour celui qui voit clair. Qu'il suffise d'appuyer sur le fait que cet état de choses supprime toute initiative individuelle du fidèle.

Mais il y a encore une quatrième raison de la rapidité étonnante de notre décadence. Et là, les événements conservateurs sont peut-être le plus en faute. C'est une erreur grossière de croire que les commandements de notre religion sont solidaires l'un de l'autre, en ce sens que si l'on a renoncé à l'exécution ou à l'observation d'un commandement principal, il ne vaut plus la peine de se tenir aux autres préceptes, car on se considère comme tout de même damné d'avance. Quelle fausse interprétation de notre code religieux ! Pour nous une mitzva en vaut une autre. Chaque mitzva porte en elle sa récompense, en en entraînant un tas d'autres. Chaque transgression porte en elle son châtiment, en poussant à d'autres transgressions.

Combien il est donc faux de se dire : "Parce je ne peux plus observer le Schabbess - pour prendre un exemple - cela ne vaut plus la peine d'observer les autres mitzvoss ou d'éviter les autres averaus. Au contraire, le croyant qui ne se sont pas le courage d'affronter les difficultés de repos sabbatique doit être incité par là à être encore d'autant plus fervent et méticuleux dans l'observation des autres commandements.

Nous venons d'indiquer les quatre plaies dont souffre notre judaïsme français. Les remèdes se trouvent à côté.

En premier lieu soyons infatigables dans l'intensification de l'étude de l'hébreu classique. Je ne puis comprendre certains rabbins qui laissent échapper cette belle occasion de montrer leur savoir et l'utilité de leurs fonctions. Vous voyez combien le remède est simple et facile.

Encore plus facile à notre portée se présente le remède sur le second point. Rien de plus simple que de faire taire l'orgue dans synagogues. L'orthodoxie rentrerait dans les cadres de nos temples officiels et s'intéresserait à leur postérité. Par exemple, elle soutiendrait toutes les belles initiatives. Mais bien entendu les autres institutions de la communauté doivent également être gérées de façon à ne porter atteinte à leurs convictions.

Le troisième remède n'est pas moins aisé. Le rabbinat français doit revenir son rôle d'éducateur et de conseiller de la jeunesse, au lieu de se contenter de parader comme figurant décoratif aux fêtes ou deuils de famille. Inutile de s'épuiser en prédications stériles au temple ou en gestions des diverses œuvres de bienfaisance, toutes choses pour lesquelles le diplôme de rabbin n'est pas indispensable. Que les rabbins consacrent une grande partie de leurs loisirs à l'étude approfondie de nos codes religieux, afin de se qualifier comme précepteurs autorisés et compétents. Ils feront des trouvailles merveilleuses.

Le quatrième remède ressort tout seul des déductions précédentes. Qu'aucun israélite ne se considère comme un roscho parce qu'il pas assez de force de caractère pour mettre en pratique, jusqu'au bout, ses convictions. Que chacun s'efforce d' observer strictement tout le reste. Et que celui qui en pratique un peu plus ne jette pas la pierre à l'autre et ne se permette pas de le couvrir ridicule. "Kol Israël areivim ze beze", "les israélites sont solidaires l'un de l'autre".

En observant ces quatre règles si simples, nous pouvons compter sur le relèvement de notre judaïsme français, judaïsme qui a joui naguère d'un renom si glorieux dans l'histoire de notre peuple.

Tout ce que nous venons de préconiser est si simple, hasardons le mot : si naïf que j'ai bien peur de ne pas être compris et surtout le ne pas être suivi. Simplex sigilum veri. Malheureusement, le monde recherche les complications.


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