Le "Plan M"
par Jules Braunschvig
Extrait des Cahiers de l'Alliance Israélite Universelle avec l'aimable autorisation des éditeurs

Dans ses souvenirs, le président Jules Braunschvig accorde une place privilégiée à son activité et à l'implantation de l'Alliance au Maroc . En voici quelques extraits :

Avec Marcus Cohn, nous avons, dès notre captivité, prévu une action sur trois niveaux: c'était ce que nous appelions le plan P, le plan F et le plan M - Palestine, France, Maroc.

Pour moi, c'était le plan M (Maroc) qui, naturellement, m'attirait. Voila une communauté telle que nous la souhaitions. Elle était bel et bien "séparée", ne serait-ce que par le statut personnel qui la régissait. Elle était suffisamment proche de ses traditions pour qu'un réveil soit une marche en avant et non un "retour". Elle avait pour moi le prestige du "séfaradisme"... Mais plus important encore était le sentiment que l'Alliance, par son réseau d'élèves, constituait un instrument d'action culturel et cultuel juif extraordinaire.

La "Maison Braunschvig" au Maroc.
On lit sur la pancarte : "DRAP FRANCAIS fabriqué spécialement à ELBEUF pour la Maison Georges BRAUSCHVIG"
Mon implantation personnelle au Maroc depuis trois générations m'y offrait des possibilités évidentes... je dois même avouer que j'étais résolu à utiliser cet outil, y compris, éventuellement, sans avoir l'assentiment préalable de mes collègues du comité central de l'AIU. En effet, il y avait parmi eux le groupe des "anciens" pour qui l'époque hitlérienne était une parenthèse refermée, pour qui l'enseignement du judaïsme ne devait être que "catéchisme" ou "histoire sainte", pour qui l'on pouvait se demander si les écoles de l'Alliance au Maroc n'étaient pas qu'un anachronisme. Mais il y avait aussi le président Cassin. J'avais senti, dès mon premier contact avec lui, qu'il me ferait confiance et qu'il favoriserait une politique active de ma part. Il avait bien voulu me distinguer et apprécier en moi cette volonté d'agir. Il y eut entre nous, pratiquement dès le début, un accord complet dans ce que nous disions et une "complicité" dans ce que nous faisions ?

Avec le personnel enseignant de l'Alliance au Maroc, la mise en route d'un programme audacieux, exigeant, nouveau bien que se situant en apparence dans la continuité de l'ancien, ne devait pas aller sans poser quelques problèmes. Il faut reconnaître que l'Alliance, entre les deux guerres, s'était davantage préoccupée de la qualité de l'enseignement profane dispensé dans ses écoles que du contenu juif. La majorité des enseignants formés à l'ENIO entre 1920 et 1940 étaient originaires de Bulgarie, de Grèce ou de Turquie. Pour des raisons multiples, et notamment par suite de l'état d'esprit qui régnait dans les écoles normales d'Auteuil et de Versailles, les instituteurs, excellents maîtres et d'un dévouement indiscutable à leurs élèves, n'avaient plus grande flamme juive et guère de connaissances dans ce domaine. Aussi, lorsqu'avec Pierre Dreyfus, de passage au Maroc, nous avons avec l'entière approbation de Ruben Tajouri, délégué de l'Alliance, voulu instaurer dans les écoles, dès 1945, la célébration de Hanouka pour la première fois, nous nous sommes heurtés à une opposition du personnel. "Que les "professeurs de religion" le fassent. Nous sommes des instituteurs laïcs, et nous croyons à la séparation de l'Eglise et de l'Etat, de la Synagogue et de l'Alliance".

Il y avait en 1945 environ 200.000 Juifs dans ce qu'on appelait le Maroc français et à peu près 30.000 entre Tanger et Tétouan. C'était une communauté importante dans le monde occidental - la plus importante après l'Amérique et l'Angleterre, la quatrième ou cinquième dans le monde. Et une communauté où l'assimilation sociale n'avait eu que peu de prise. Culturellement, il en allait autrement. L'action accomplie par l'Alliance depuis quatre vingt-dix ans avait introduit peu à peu le français qui se substituait à l'arabe dans le Sud, à l'espagnol dans le Nord, comme langue véhiculaire. Et l'hébreu ? Avant même que l'Alliance ne commence son oeuvre, il n'était pas parlé.

Les écoles de l'Alliance - dont les premières furent ouvertes, on le sait, à Tétouan en 1862, puis à Tanger en 1864, constituaient en 1945 un réseau important au Maroc. 12.500 élèves avec quelque trois cents maîtres, dans toutes les villes et dans certains villages du bled qui avaient survécu à cinq ans de guerre dont trois sous le régime des pro-consuls de Vichy, jusqu'au débarquement des Américains, les écoles faisaient l'admiration de tous les Européens qui les visitaient. Les locaux - construits pour la plupart par l'administration du protectorat - étaient spacieux, clairs et modernes. Les méthodes étaient rigoureusement celles de l'enseignement primaire français, avec sa discipline, sa rigueur, ses leçons apprises par coeur (et récitées - parfois sans réelle compréhension - mais avec une scrupuleuse exactitude), des cahiers impeccables, aux écritures calligraphiées. Mais elles avaient un trait particulier, c'était le dévouement et la compréhension des maîtres. C'étaient des Juifs qui enseignaient à d'autres Juifs. C'étaient des instituteurs issus souvent de milieux analogues à celui des enfants qui leur étaient confiés et qui savaient la misère épouvantable qui pouvait régner dans ces mellah marocains. Chaque rentrée - et j'en fus le témoin dès 1945 - les directeurs d'école devaient faire appel à la police pour se protéger contre le flot exigeant des parents qui cherchaient à faire inscrire leurs enfants dans les écoles trop petites. 12.500 enfants dans nos écoles, mais 6 à 7000 d'âge scolaire, non scolarisés. Cela peut paraître invraisemblable !

Développer le réseau s'imposait mais aussi donner un contenu juif, donner aux enfants des connaissances et le désir de maintenir leurs traditions face au monde moderne, au "progrès" européen, à l'assimilation à la culture française. Nous étions sans doute fiers et émus d'entendre cette brune jeune fille, fille d'humbles artisans du mellah, nous réciter Phèdre ou Andromaque mieux que ne l'aurait fait la même élève en France. Nous étions heureux de voir se développer un enseignement commercial de qualité, assurant à nos élèves des débouchés immédiats dans un Maroc bourdonnant d'activité économique. Mais où était le respect du Shabath ? Où était la connaissance de la Torah ? Où était même l'enseignement de l'Histoire du peuple juif ? Les directeurs et la plupart des instituteurs se "laïcisaient" à l'instar de leurs collègues de l'enseignement public. Si l'on ajoute à cela que le maître de "judaïsme", sans diplôme et sans qualifications réelles, était misérablement rétribué (par les communautés qui le recrutaient), l'on comprend le discrédit où était tout cet enseignement et son peu d'efficacité.

Les origines de l'Ecole normale hébraïque de Casablanca


Le 31 décembre 1945, je me trouvais en fin de journée dans mon appartement de Casablanca. Je me refusais à participer à la joie factice des fêtes de la Saint-Sylvestre. J'étais donc seul chez moi, la nuit tombée quand on sonne à la porte et quatre ou cinq jeunes gens se présentent, les uns en civil, d'autres portant l'uniforme d'aumôniers militaires. Ils étaient, les uns issus d'une école normale d'instituteurs, les autres d'une école rabbinique. Tous étaient les disciples d'un aumônier à trois ou quatre galons : Isaac Rouche, également d'Oran, dont j'avais entendu parler mais que je ne connaissais pas. Ils étaient hébraïsants et tous animés du désir de consacrer leurs prochaines années à la renaissance du judaïsme marocain. A la base, affirmaient-ils, il y avait, surtout à Meknès, mais aussi à Tanger et à Marrakech, un milieu restreint sans doute, mais vivant où les études talmudiques s'étaient maintenues.

Ces jeunes gens avaient la tête pleine d'idées. Ils avaient surtout une soif d'action et de dévouement. Et une conviction, une chaleur qui complétaient ce que certains d'entre eux pouvaient avoir d'insuffisant. Nous parlâmes des heures d'affilée. Nous avons jeté les bases de la rénovation hébraïque de l'Alliance au Maroc ! Mes jeunes amis s'appelaient Hazan, Médioni, Sebban, Nahon, Amsellem. Il y avait le plus "rabbin" (Hazan), le plus grammairien (Amsellem), les plus scouts (Sebban et Nahon), le plus sensible (Médioni). Grâce à eux et grâce en priorité au rabbin Isaac Rouche, une prodigieuse aventure juive allait se développer au Maroc.

Il y avait aussi S.D. Lévy. C'était l'homme de toutes les initiatives juives au Maroc. Ancien instituteur de l'Alliance, ancien délégué de l'Alliance dans les colonies du baron de Hirsch en Argentine, fondateur au Maroc d'innombrables institutions, il avait voulu, dans les années trente, encourager le développement de l'enseignement de l'hébreu moderne. J'entretenais de très amicales relations avec lui, malgré ses positions souvent critiques à l'égard de l'Alliance - qu'il trouvait trop française et pas assez juive. Je m'ouvris donc à lui de notre projet d'école normale hébraïque. S.D. Lévy rencontra tout de suite le rabbin Rouche et son équipe. Le mariage fut vite conclu.

L'Alliance avait pour délégué Ruben Tajouri. Nous avons dit de lui qu'il avait reçu à Tripoli une formation de base de talmudiste. C'était une nature très richement douée. Musicien dans l'âme, orateur chaleureux et convaincu, il savait capter son auditoire ; l'esprit curieux et universel, il pouvait s'entretenir sur un pied d'égalité avec tous les "intellectuels" de l'administration française ; arabisant lettré, il en imposait aux musulmans cultivés ; hébraïsant, il savait conquérir les rabbins à coups de citations du Talmud. Ce fut avec Tajouri que, la main dans la main, dans une confiance complète, nous avons lancé et soutenu le grand développement du réseau scolaire de l'Alliance au Maroc qui, en dix ans, devait passer de 12.500 à 30.000 élèves, pendant que, dans ce même temps nous réformions l'enseignement hébraïque et "religieux" par tous les moyens possibles.

L'administration du protectorat voulait bien encourager l'évolution des Juifs vers une francisation. Elle ne voyait pas d'un oeil aussi favorable la "rejudaïsation". Pouvait-on enseigner le judaïsme sans enseigner aussi le "retour à Jérusalem" ? Comment distinguer l'enseignement de l'hébreu biblique, langue sacrée, liturgique, de l'enseignement de l'hébreu de Tel-Aviv, langue subversive ou tout au moins défi à l'opinion arabe ?
Nous avions appris à vivre au milieu de ces subtilités. C'est ainsi que dès 1946, ayant constaté qu'il n'y avait pas de manuels d'histoire juive dans les écoles, je m'entendis avec la Fédération des sociétés juives de France, à Paris, qui publiait alors une édition "scolaire" de L'histoire juive de Simon Dubnov.

Pour comprendre nos problèmes, il faut encore rappeler l'extrême pauvreté qui régnait dans les mellah du Maroc. Les succès commerciaux ou financiers n'étaient que le fait d'un tout petit nombre qui avait pu, en quelque sorte, monter dans le wagon de tête du train de l'occidentalisation. Des familles très - trop - nombreuses vivaient et grouillaient dans les masures des venelles du quartier juif.

Élèves de l'Ecole Normale Hébraïque de Casablanca
L'homme qui nous aida le plus et mérite d'être classé parmi les Hassidei Haoumoth, les justes parmi les peuples étrangers, fut Roger Thabaut, directeur de l'instruction publique au Maroc. J'appris à mon retour de captivité qu'il avait été, pendant les années sombres de Pétain, le défenseur intrépide des écoles de l'Alliance. En 1945, je le retrouvais au Maroc, occupant désormais le fauteuil de directeur général de l'Instruction publique (qu'il devait conserver jusqu'à la veille de l'Indépendance).
Roger Thabaut était un homme simple. Un intellectuel français, d'origine modeste, fruit de ses propres efforts, ayant gravi les échelons progressivement, sans passer par la voie royale de l'Ecole normale supérieure. Plus sociologue que littéraire, il avait écrit - était-ce une thèse de doctorat ? - une étude sur un village de l'Ouest de la France, qui vous en apprenait autant sur l'auteur que sur le sujet. Ces qualités lui firent apprécier, dès qu'il les connut, les écoles de l'Alliance, leurs maîtres turbulents et dévoués, leurs élèves avides de savoir. C'était probablemet son premier contact avec les Juifs et le judaïsme. Et ce fut la chance de l'Alliance et la mienne que de lier amitié avec lui. Sans Thabaut et sa "complicité", jamais nous n'aurions pu installer dans l'esprit de toute sa maison le principe selon lequel, dans un pays où moins de trente pour cent des enfants étaient scolarisés, les Juifs avaient droit à une scolarité complète. Pour moi, il fallait aller vite : les événements s'accéléraient et nous devions augmenter le nombre de nos écoles car le jour où le Maroc serait indépendant, qui financerait de nouvelles constructions ?

Les "déjeuners philanthropiques"

En Amérique, j'avais appris ce que l'organisation de la philanthropie pouvait produire. J'organisai, au début de 1947, un déjeuner d'une dizaine de convives choisis avec discernement. Vers la fin du repas, j'orientai la conversation vers l'Alliance. Je mentionnai l'aide massive de l'administration du Protectorat et celle, naissante du Joint, et... je fus interrompu par l'un des industriels et commerçants présents et qui avait bien voulu jouer ce rôle. Il se leva, déclara qu'il ne dormirait pas s'il ne donnait immédiatement 500.000 francs (d'alors) à l'Alliance, et il sortit son carnet de chèques. Les autres suivirent son exemple, les uns de très bonne grâce, d'autres en rechignant... Finalement, la collecte atteignit presque 6.000.000 francs d'alors, ce qui était, surtout pour une première expérience, une manifestation extraordinaire.

L'année suivante, (je m'étais marié entretemps), ce fut avec ma jeune épouse que nous reçûmes le même groupe, un peu élargi et modifié (certains avaient décliné l'honneur coûteux de déjeuner à notre table) et cette fois, pour rencontrer le Directeur général (équivalent du ministre) des Finances. Parmi les convives figurait cette fois un grand industriel non juif, qui, après la libération de la France, avait été inquiété, puis blanchi et qui n'était pas mécontent de montrer ainsi que les accusations de "vichysme" dirigées contre lui devaient être fausses ! J'avais du reste des raisons de penser qu'il avait réellement été victime de malveillance et... je reçus de lui un chèque très important !

Le système se développa par la suite et se perfectionna. Nous arrivâmes à faire de véritables banquets de soixante à cent personnes. Une autre année, ce fut une séance de cinéma, où un film sur l'action de l'Alliance fut présenté en "première mondiale" à Casablanca, puis à Tanger. En fin de soirée, je montai sur la scène et, micro en main, je sollicitai les fonds qui venaient massivement. Puis l'idée me vint de faire une "caisse commune" et d'organiser - avec le secrétariat de l'Appel unifié juif de France - une collecte centrale de fonds et une répartition entre les différentes oeuvres juives du Maroc. Car, à mesure que le judaïsme marocain s'élevait, et que le Joint intensifiait son action, de nombreuses institutions, et notamment l'Aide scolaire qui nourrissait les enfants des écoles, l'OSE qui les soignait, l'ORT qui, en accord avec l'Alliance, créa un réseau ORTALLIANCE d'enseignement professionnel, sollicitaient la générosité des "possédants". Mais les efforts de centralisation durent être abandonnés rapidement au moment de l'indépendance du Maroc, en 1955.

Entre le Maroc et la Palestine

René Cassin en compagnie d'élèves de l'AIU en Israël dans les années 50
Ce fut une période difficile. Le départ du Maroc de la plupart de ceux qui contribuaient le plus volontiers, à soutenir notre action, les grandes difficultés et la récession économique qui suivirent l'indépendance du Maroc, firent retomber le judaïsme marocain dans sa léthargie indifférente, au moins dans les milieux qui auraient dû soutenir l'Alliance et les oeuvres péri- ou para scolaires. Petit à petit, au sein du judaïsme marocain, très réduit en nombre et n'ayant que peu de malheureux à secourir, une nouvelle élite d'argent surgit qui allait peut-être montrer plus de sens civique que les prédécesseurs.

Déjà commençait l'émigration des Juifs du Maroc vers la Palestine (Israël n'est pas encore créé). Désir d'émigrer que les autorités françaises voyaient d'un mauvais oeil. Les Juifs leur étaient utiles au Maroc, car c'était un élément assimilable à la culture française, intelligent et parfait intermédiaire -ou tampon- entre les fonctionnaires et colons français d'une part et la masse arabe, de l'autre. L'Alliance avait conservé la confiance de l'administration française. Le prestige de son passé, le prestige aussi de son président, René Cassin, étaient grands. Si grands que je n'avais pas hésité, en 1946, à faire à Marrakech, en présence des autorités (le Pacha Haouri avait été un ami de mon père et je connaissais le général chef de Région), une lecture solennelle du manifeste de l'Alliance de 1945.

Cette lecture avait bien suscité quelques remous. "L'Alliance est devenue sioniste" dirent certains tout bas, et d'autres un peu moins bas. Je n'y fis aucune attention et j'avais raison. Peu à peu l'on comprit dans les sphères officielles que les choses avaient changé depuis la Shoah, et l'on se rendit compte de l'intérêt croissant que les Juifs du monde portaient à la renaissance juive en Palestine. C'est grâce aux relations que je m'étais faites que je pus aussi me préoccuper d'alyah. Il était bien difficile de faire sortir des Juifs marocains en grand nombre sans que l'Administration le sache. Sans doute l'Alya Beth - l'immigration clandestine - existait-elle un peu partout , mais au Maroc nous avions pensé qu'on pourrait mieux faire en s'entendant avec les autorités. Il y avait, entre autres, un très haut fonctionnaire auquel je me plais à rendre hommage. Il s'agit de Francis Lacoste. Mieux qu'aucun autre, il avait compris qu'il était inadmissible de s'opposer, pour des raisons incertaines de politique locale, au désir compréhensible de nombreux Juifs du Maroc de quitter la misère des mellah, la situation "marginale" qui leur était faite, pour gagner la Palestine et bientôt Israël, où les difficultés ne leur manqueraient pas sans doute, mais où, pour une fois, ils sentiraient qu'ils tenaient leur propre destin dans leurs mains.

La vie juive au Maroc, pour moi, ne consistait pas seulement à développer le réseau scolaire de l'Alliance, ou à essayer d'assurer la protection des Juifs, ou à négocier pour obtenir de l'administration française des décisions pour la construction de logements à faibles loyers pour les Juifs. Il y avait, bien plus profondément, mon désir personnel de m'intégrer dans ce judaïsme marocain dont je sentais à la fois l'authenticité des traditions et les possibilités de culture rénovée. Je sentais que ce judaïsme marocain était porteur d'une longue tradition. Sans doute les divisions étaient-elles profondes entre les différentes villes et, à Casablanca , ville neuve, entre les "originaires" de localités diverses ; sans doute enfin ce judaïsme marocain miraculeusement épargné par la "Catastrophe" européenne ne se sentait-il pas toujours solidaire des Juifs du monde, il n'en était pas moins attirant et attachant par sa fidélité obstinée à sa tradition et son genre de vie.

Revenu au Maroc dès mon retour de captivité, je surpris mes anciens amis. Ils me connaissaient judaïsant, mais un peu "libéré" (n'avais-je pas fait avant la guerre une conférence, une fois, sur la "révolution nécessaire" ?) et me voici non seulement casher, mais fidèle des synagogues marocaines. II y en avait de très vieilles où quand même je ne me sentais pas très à l'aise. Mais il y en avait aussi qui, sans être le moins du monde libérales ni même écartées de la tradition, l'interprétaient de façon plus jeune, y incorporant des chants "palestiniens" comme on disait, supprimant les obséquieuses bénédictions et les annonces des offrandes ; et c'est là que je m'intégrais facilement.


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