Marguerite Cohn
De Ingwiller à Jérusalem, une vie bien remplie.

1922 - 2016
par Janine Lazare


Vendredi 28 juin 2002, avant-hier à Nataf, petite localité située à une demi-heure de Jérusalem, famille et amis célébraient le 80ème anniversaire de Margot Cohn. Daniel, son fils et sa belle-fille Hanah, habitent ce joli village avec leurs trois enfants. Margot a l'habitude de s'y rendre tous les quinze jours pour y passer le Shabath. C'est une grande dame dont une des qualités majeures est la modestie, et elle n'avait pas du tout imaginé ce que lui préparaient famille et amis. Quand sa belle-fille l'a emmenée en voiture à 13h30, elle a eu la joie, la surprise et la grosse émotion de découvrir d'abord son fils Elie, arrivé quelques heures avant de Los Angeles, puis sa fille Ruthi qui habite Haïfa, et plein d'amis d'antan et de maintenant, y compris d' "enfants" dont elle s'était occupée pendant la guerre.

Nous étions tous installés sur une prairie superbement ombragée, et après nous être régalés de salades et de quiches, nous avons eu le plaisir de voir défiler des épisodes de la vie de Margot (née Marguerite Kahn). Ce fut d'abord le tour de Marthe Heymann, ancienne camarade de jardin d'enfant et d'école, qui a su faire revivre avec simplicité et chaleur la vie juive de ces petites localités où des instituteurs dévoués et compétents ont su réparer des classes de 25 enfants de 6 à 12 ans aux étapes suivantes, où les élèves se rendaient à Bouxwiller, en train la semaine, à pied le Shabath, parcourant les sept kilomètres qui séparaient les deux petites villes.

Puis la guerre survenant, les Juifs d'Ingwiller sont expulsés par les Allemands ; Margot, qui est membre du Mouvement de jeunesse Yechouroun, se réfugie dans la région de Limoges avec sa famille.

En 1942 débutent les rafles de jeunes étrangers, et l'OSE demande aux moniteurs de colonies de vacances de laisser ces dernières ouvertes. C'est ainsi que Margot commence son travail auprès des adolescents de la région de Limoges. L'un d'eux, le professeur Meno Horowitz venu de Tel Aviv, raconte comment dès cette période sombre de 1942-43, alors qu'il était placé en internat à Limoges, les visites de Margot étaient pour lui comme l'apparition d'une bonne et belle fée. Car Margot, n'en déplaise à sa modestie, était une superbe jeune fille, et c'est une octogénaire droite et belle, bonne marcheuse, à qui on ne donne pas son âge.

Puis, dès 1943, elle "travaille" comme résistance, assistante sociale dans la région de Lyon, visite les enfants placés dans des familles de l'Ain, découvre la misère de la communauté de Saint-Fond. Elle fait partie du réseau Garel et de l'OSE, prend des initiatives personnelles. Et au moment de la Libération, le 2 septembre 1944, elle retire les enfants des familles où ils étaient placés pour qu'ils passent Rosh Hashana dans des familles juives de Lyon, puis dans un home à Oublins avec Gaby Wolf. Deux mois après, ceux-ci seront placés dans la maison des Hirondelles, ouverte par les Samuel mandatés par l'OSE.

Mais laissons la période de la guerre et de l'immédiat après-guerre : Margot a épousé le directeur pédagogique de l'OSE ; ensemble ils maintiennent et développent leurs relations avec les jeunes adolescents, et pour certains d'entre eux, ils deviennent réellement des substituts de parents.

En 1950, ils montent en Israël avec leurs trois petits enfants. Malgré la modestie de leur logement, leur maison est ouverte à tous, autant aux amis strasbourgeois qui visitent Israël en touristes, qu'aux étudiants immigrés dans le pays sans leurs parents, qui trouvent une table accueillante et une ambiance chaleureuse.

Quelques années plus tard, Margot devient la secrétaire de Martin Buber, et au cours des années 60, bibliothécaire à la Bibliothèque nationale universitaire où elle travaille depuis lors, aussi bizarre que cela puisse paraître : en effet, depuis sa retraite, elle a continué à travailler au même rythme. Sont témoins et présents là, à sa fête, son patron et ses collègues avec certains desquels elle s'est liée d'une amitié très solide et chaleureuse. Son patron témoigne avec humour de son assiduité au travail.

Sont là également des amis avec lesquels Margot a voyagé ces dernières années en Chine, sur la Route de la Soie etc..

Bref, ce qui apparaît, c'est qu'à toutes les étapes de sa vie, malgré des épreuves dures, puisque depuis presque trente ans elle est veuve, elle a su réunir autour d'elle des gens qui l'apprécient, l'admirent, et qui l'aiment : nous sommes de ceux-là et lui souhaitons de continuer sur sa lancée active, tonique de grand-mère aimée, d'amie d'antan et d'aujourd'hui, et de planifier encore de beaux voyages.

En ces jours si éprouvants, où l'on ne perçoit pas de lumière au bout du tunnel, les rencontres de ce genre sont d'un réconfort appréciable.

Margot Cohn est décédée le 1er mars 2016 à Jérusalem (n.d.l.r.).


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