Témoignages sur Andrée Salomon
Extrait de HOMMAGE A ANDREE SALOMON (1982)


Ruth... 26ans alors, écrit 40 ans après :
...décembre 1940... Je t'ai rencontrée par hasard dans un train de nuit et tu m'as dit : " J'aurais besoin de toi au camp de Gurs". Un mois après j'y étais, j'y suis restée trois ans.
Quand on savait au camp que "Frau Salomon" était présente dans la baraque de l'O.S.E. , les problèmes étaient résolus d'avance. Ton crayon sur l'oreille, disponible pour noter, tu avançais dans la boue, pataugeant mais souriante, paisible, rassurante, la femme valeureuse des Proverbes.
Tu m'as appris à être attentive à l'autre, à tenir totalement compte de celui ou de celle qui était en face de moi et que j'avais le privilège de pouvoir aider.
Ton courage était invincible. Je me souviens aussi de tes "nebbich" si pleins de commisération. Et puis tu fonçais, tu luttais, tu bagarrais. Et nous, dans ta lignée--oh, tout simplement parce que l'on ne te résistait pas.
Tu aimais l'humain d'un amour si profond, tu répandais la vie, si souvent mitigée de douleur tout autour de toi. Merci Andrée, pour tout ce que tu m'as appris, entr'autre la simplicité et le sérieux du devoir accompli..

Madeleine... 25 ans alors, 40 ans après :
...La première image que je conserve de vous, Andrée, est celle d'une silhouette blanche, de deux yeux de braise, se penchant sur un jeune enfant, une apparition lumineuse dans l'univers gris et dur de Rivesaltes. Certes, d'autres formes blanches circulaient entre les baraquements, mais vous seule saviez réconforter les plus désespérés, répondre à l'appel le plus incongru, organiser quelque chO.S.E. d'humain dans ce paysage inhumain, glacé malgré le soleil, le vent sec et brûlant,arracher des enfants aux convois dévorants qui partaient pour Drancy. Nuit et jour, vous n'arrêtiez pas, discutant avec les autorités du camp, cherchant des solutions impossibles. Pour vous, Andrée, le danger n'était pas un obstacle, vous le braviez à chaque instant, à chaque geste, et vous saviez encourager les autres à le braver.

Gaby-Nini... 19 ans alors, écrit 40 ans après :
...Au petit matin, sur des quais de gare parfois embrumés, inquiétants, dans la hantise d'un jour nouveau, on la rencontrait à la descente d'un train qui allait repartir et l'emporter vers Lyon, Limoges ou ailleurs. Cachée quelques instants par la vapeur et le bruit de la locomotive, elle ressortait du nuage, fraîche, vive, rassurante, décidée, le sourire éclatant. Alors, le miracle opérait : on était prête à tout. Le convoi par ici, la liste par là-bas. Oui, au petit café au fond de la place. Pas d'hésitation, Andrée avait parlé, tout devenait clair.
Avec elle, on était là où il fallait être, on allait venir à bout d'un inextricable nœud de dangers. Partir sans préavis à Sete, à Béziers, à Montpellier, cela devenait évident. J'étais simplement éblouie, je le suis restée....

Lise Hanau-Schlanger, 18 ans alors, écrit 40 ans après :
....Je ne sais pas si quelqu'un ira se recueillir à Fort-Paillet, à Vénitieux, à Rivesaltes par un sinistre 40 à l'ombre, sans ombre, mais je sais que nous devons un Kadish à la mémoire de ceux que nous avons croisés dans ces camps, partis pour toujours.
Rivesaltes, été 1942...désolation, désespoir.....une lumière, un espoir Andrée Salomon, la grande Cheftaine de l'équipe O.S.E. , vivant à demeure au camp. Tu as été notre tête, tu savais galvaniser nos forces, nous apprendre à mépriser le danger pour sauver des enfants, pour en sauver le plus possible et rapidement gagner chaque enfant de haute lutte, obtenir des contingents d'exception de déportation, dépasser systématiquement leur quota, arracher encore et encore des enfants aux griffes de nos geôliers français.
Que de ruses, que de ténacité tu as déployées, Andrée. Et l'espérance pour ces pauvres parents partant vers l'inconnu en te laissant leurs enfants pour les sortir de cet enfer et les sauver. Tu les rassurais en les accompagnant au wagon jusqu'à l'extrême limite permise...
...et ce 13 septembre 1942, ce matin de Rosh Hashana sur la place centrale du camp, l'appel de tous les internés qui devaient quitter leur groupe et aller se ranger aux côtés des partants, comme cet homme en talith tout en prières....
...les baraques d'enfants "exemptés" donc miraculés, leur nombre dépassant de beaucoup le chiffre autorisé. Quelle force de persuasion avec les autorités dont tu forçais la main, mais aussi la grande estime, voire l'admiration parfois. Ainsi ce haut-fonctionnaire à la Préfecture de Perpignan, Paul Corrazzi qui dira en parlant de toi : "S'il existe au monde un être auquel on devrait ériger un monument de son vivant, ce serait à Madame Andrée Salomon".

Max... a 12 ans en 1938, il écrit 45 ans après :
....Avec un groupe d'enfants de Francfort, j'avais quitté ma famille et c'est désemparé, apeuré que j'arrivais à la gare de Strasbourg le 6 décembre 1938. Sur le quai au milieu du tumulte de l'appel, des questions sans réponses, une main me saisit le bras et Madame Salomon, car c'était elle, me dit : "on s'occupe de toi, Max, une famille chaleureuse t'attend".
Max encore cinq ans plus tard en 1943 à Annemasse, avant le passage en Suisse : Notre petit groupe venait d'arriver dans un café où un inconnu nous dit " Disparaissez, allez où vous voulez, revenez dans trois heures"... J'errai pendant quelques minutes, je sentis une main sur mon bras, j'eus à peine le temps d'avoir peur. Je vis l'ange sur terre, Andrée Salomon : " Heureuse de te voir, Max, prends cette adresse, vas-y, tu y trouveras des copains, vous pourrez y rester jusqu'à ce soir, vous passez cette nuit, tout est arrangé, tout ira bien" Et tout alla bien. Nous sommes nombreux à vous devoir la vie, au risque de la vôtre.

Bertel... 20 ans alors, écrit 40 ans après :
...J'étais internée au camp de Rivesaltes d'où les autorités françaises envoyaient des convois de juifs vers Drancy et la déportation..J'appris que mon nom se trouvait sur la liste du prochain convoi et me précipitai à la baraque de l'O.S.E. . Madame Andrée Salomon me fit cacher dans une baraque vide, sous un lit de camp, me procura une blouse d'infirmière et les papiers d'une véritable infirmière. Elle me fit sortir du camp par la grande porte et avait organisé pour moi la filière qui devait me mettre en sécurité. Grâce à elle, j'avais échappé à la mort.

Esther... adolescente alors, écrit 40 ans après :
....nous étions une dizaine de jeunes anversois dont les parents venaient d'être déportés de Belgique et tentaient de passer en Suisse en novembre 1942, se retrouvent à Bayonne, arrêtés par les gendarmes français et internés à Gurs. Ma cousine, ma jeune sœur et moi fûmes libérées au bout de quelques mois et placées dans la maison d'enfants de l'O.S.E. au Couret. Nous ne te connaissions pas encore personnellement, Andrée, mais nous avons su que tout avait été arrangé par toi. Plus tard tu nous a fait placer dans une famille près de Châteauroux, sous le couvert d'une association d'entr'aide, l'Aide aux Mères. C'est là que nous t'avons connue.
Tu venais nous réconforter à tes passages à Châteauroux, et nous en avions tant besoin Lors d'un de tes passages, au début de 1944, tu nous a demandé : "que diriez-vous de l'idée d'aller en Palestine ?" Cette idée nous semblait utopique. Autour de nous, tout était noir, sans espoir De Pologne filtraient les premiers échos sur l'extermination des juifs, et tu nous propO.S.E. s la perspective exaltante d'une vie libre, et d'une vie libre dans notre pays ! -- J'y suis depuis novembre 1944 et comme tant d'autres, c'est à toi que je dois cette liberté, à toi ainsi qu'à tous ceux qui ont lutté à tes côtés

Hélène... 5 ans alors, écrit 40 ans après :
...J'avais 5 ans lorsque tu m'as fait sortir du camp de Rivesaltes. Je ne m'en souviens pas, c'est ce que l'on m'a raconté. Oui, tu m'as sauvé la vie comme tu l'as fait pour tant d'autres, mais si tu n'avais fait que cela !
Des années après, au seuil de mes vingt ans, tu t'es souvenue de moi, quelle mémoire exceptionnelle, et là tu m'as sauvée une deuxième fois, tu as sauvé une âme juive, tu fus à cet instant la mère que je n'ai pas connue, la mère idéale, la mère qui donne des certitudes. Calmement, tu as parlé, beaucoup parlé, avec générosité, avec chaleur, avec amour, tu as su donner un sens à ma vie.
Tu as continué à me donner ces certitudes durant de longues annèes et tu es devenue la grand-mère de nos enfants. Ton courage, ta rigueur remarquables m'ont insufflé le goût de vivre et d'entreprendre. Tu as été tolérance, patience, avec le don d'apaiser tout en disant la vérité, et surtout tu faisais confiance. Andrée, tu es épatante et je t'aime....

L'élan et la chaleur des témoignages, tel un cri jailli du fond des cœurs où quarante années l'ont maturé. Cri de reconnaissance, d'admiration, d'amitié, de fidélité au souvenir. Tel un cri retentit notre hommage à Andrée zatza"l.
Raymond Heymann


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