Roger SIMON
engagé volontaire dans la 2e D.B. du général Leclerc (1943-1945)
par Jean Daltroff
Article publié dans l'Almanach du KKL, 2013/2014 Reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.


Sa jeunesse



Octobre 2014. I.D. L'Edition, EAN13 : 9782367010489, 88 pages, Format : 16,5 x 24 cm ;
illustrations en couleur ; prix public : 14 €

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Roger Simon est né le 4 janvier 1921 à Hayange en Moselle. Léon, son père était originaire de Diemeringen, localité où il avait vu le jour en 1891 et Camille, sa mère née Schweich venait d'Allemagne et avait vécu avant son mariage à Cologne. Ses parents travaillaient dans le textile, un commerce de gros qui marchait très fort grâce à la prospérité de l'entreprise de Wendel qui possédait dans la région des groupes sidérurgiques avec des hauts-fourneaux importants. En 1929, Hayange possédait la première usine d'acier de Lorraine.

À l'âge de trois ans, Roger Simon suivit ses parents qui s'installèrent à Strasbourg, boulevard de la Dordogne. Il fréquenta le lycée Kléber jusqu'à la classe de seconde et fit un concours d'entrée à l'école nationale technique de Strasbourg qu'il réussit en 1938 qui permettait en trois ans de devenir ingénieur. Il fit une année en section de mécanique. Il suivit avec application des cours de mécanique, d'électrotechnique, de géométrie descriptive, de dessin technique et à main levée, de physique, de chimie et de langues. Il fut classé 5e sur 34 élèves. Ce cursus scolaire fut interrompu par la seconde guerre mondiale. Strasbourg, en effet, fut évacuée totalement et à la suite de la débâcle de mai-juin 1940, l'école se replia sur Périgueux. Ses parents dans un premier temps partirent à Baccarat et ensuite se fixèrent à Lavaur (Tarn) à 40 kilomètres à l'est de Toulouse, petite ville industrielle et commerçante où la famille, (ses parents, Roger et ses deux sœurs Margot et Ginette) trouva un petit appartement.

Le service militaire (1941-1942)

L'armistice du 22 juin 1940 ayant supprimé le service militaire obligatoire, les chantiers de jeunesse furent créés comme une sorte de substitut le 30 juillet 1940. Les jeunes hommes de la zone libre et de l'Afrique du Nord en âge (20 ans) d'accomplir leurs obligations militaires y furent incorporés pour un stage de six mois. Ils vivaient en camps près de la nature, à la manière du scoutisme, mais avec le volontariat en moins, et accomplissaient des travaux d'intérêt général notamment forestiers, dans une ambiance militaire. Ils étaient encadrés par des officiers d'active et de réserve démobilisés. À partir de 1941, l'obligation des chantiers de jeunesse est étendue à tous les Français de zone libre devant accomplir leurs obligations militaires pour huit mois.

Il s'agissait d'inculquer les valeurs de la Révolution nationale, prônée par le Régime de Vichy. Les chantiers, initialement ouverts aux chefs et aux jeunes juifs français, leur furent d'abord interdits en Afrique du Nord. Puis l'année suivante, cette exclusion fut étendue aussi à la métropole. Le culte de la hiérarchie et de la discipline passait notamment par l'importance donnée à tous niveaux au chef. La vénération du maréchal Pétain imprégnait profondément les cadres. Alors que le régime exaltait le retour à la terre et le provincialisme, la vie en groupements dans les bois pouvait aussi se lire comme une réaction contre la ville industrielle, symbole de l'individualisme et de la lutte des classes. Par ailleurs, aucune politique n'était tolérée dans les chantiers.

Roger Simon, dans ce contexte, fut affecté au chantier de la jeunesse de Montpellier, période considérée comme service militaire du 15 juillet 1941 au 28 janvier 1942 dans le groupement de l'école régionale des chefs du Languedoc, groupe n° 1 l'Espélido. Il y servit avec vaillance, en esprit d'équipe avec ses camarades pour l'honneur de la jeunesse française.
Il témoigne : "Nous étions une cinquantaine à Le Vigan dans l'Hérault en pleine forêt, logeant sous tente, dirigés par des chefs obligés de faire du charbon de bois car toutes les voitures marchaient au gazogène à l'époque pour pallier l'absence de carburant automobile. Le travail était relativement dur. On crevait de faim. Heureusement que mes parents envoyaient des colis. Au bout de six mois, j'ai été convoqué à Montpellier comme quoi l'on avait fait les chantiers de jeunesse et que l'on pouvait rentrer dans l'armée française. Nous étions alignés sur un rang et puis le commandant passait et donnait à chacun son certificat. Le commandant du lieu me regarde dans les yeux : "Vous êtes juif ?" Je dis oui. Il prit le certificat en question et il le déchira. J'étais le seul juif aux chantiers de jeunesse. Personne ne le savait. En fait ce chef s'était renseigné sur mon parcours avant de faire les certificats."

Il chercha un peu plus tard du travail à Toulouse dans le département de Haute-Garonne, se fit engager à l'agence Havas comme démarcheur pour chercher de la publicité et au bout d'un mois apprenant qu'il était juif le patron de l'agence lui dit qu'il "n'avait pas le droit d'engager des juifs" . Roger resta sur Toulouse un certain temps vivant dans un appartement. Il avait des amis et sympathisa avec une famille qui venait de Rombas en Moselle dont il fréquenta notamment le fils.

Toulouse se trouvait encore dans la zone libre jusqu'au 11 novembre 1942 avec l'arrivée des troupes allemandes. Des hommes en civils arrêtaient des jeunes pour les envoyer sur le front russe. Roger Simon échappa à un contrôle. Voyant cette situation, il retourna à Lavaur voir ses parents auxquels il déclara qu'il voulait rejoindre les Forces françaises libres.

Le passage de la France vers l'Espagne

Roger Simon réussit à convaincre un ami juif et à deux, ils partirent de la France vers l'Espagne. "Il me suivit dans tous mes périples jusqu'en Afrique du Nord et plus tard, il s'engagea dans l'aviation américaine et participa au bombardement de Tokyo. Il vécut plus tard à Lyon. À l'époque, il n'y avait pas 36 solutions, il fallait passer par l'Espagne. À deux, nous sommes partis dans un train qui nous a amenés en lisière de la zone rouge où les habitants du coin pouvaient circuler librement. Autrement, il fallait un laisser-passer. Nous sommes donc descendus en territoire français dans cette zone rouge à la frontière pour éviter les contrôles allemands. Puis nous sommes partis et nous nous sommes renseignés auprès des gens pour aller en Andorre. Arrivés dans la forêt, on nous a dit qu'il fallait traverser les Pyrénées pour passer en Espagne. Au cours de la première journée de marche, on s'est trouvé tout à coup en face de plusieurs personnes qui avaient payé un guide et qui essayaient de passer la frontière. Ces personnes étaient tous des officiers français. On leur a dit que nous voulions rejoindre les Forces françaises libres et ils nous ont autorisés à nous joindre à leur groupe. Nous avons marché longuement toute la journée et une partie de la nuit. Le guide connaissait très bien les endroits. Le lendemain matin, le guide réunit tout le monde et dit : "nous sommes arrivés à la frontière espagnole, vous avez devant vous une lisière, vous allez la traverser et vous vous trouverez en Espagne". Nous prenons congé du guide et la colonne composée d'une quinzaine de personnes se met en route.

Les premiers s'engagent dans le chemin et trouvent en face d'eux une mitrailleuse allemande qui commence à ouvrir le feu sans sommation. Plusieurs personnes du début de la colonne ont été tuées. J'étais très effrayé des coups de feu, une mitrailleuse en montagne, c'est terrible. Je me suis aplati par terre et je n'ai plus bougé dans l'herbe, jusqu'au moment où je reçois un grand coup de pied. Je regarde. Il y avait un Allemand devant moi. Il m'intime l'ordre de me lever de mettre les bras en l'air, me fouille avec mon copain. Il restait six hommes debout retenus prisonniers par plusieurs Allemands. J'ai fait une grosse bêtise. J'ai commencé à lui parler en allemand. Il me regarde. "Toi, tu es alsacien." Il ajoute : "Nous allons vous diriger vers Perpignan et tu seras fusillé". Les autres seront envoyés sur le front russe." Le type ajoute : "on va descendre de la montagne et je vais demander une camionnette pour qu'on vous transporte à Perpignan. Au retour, nous avons été obligés de refaire le chemin à pied en sens inverse. Il n'y avait qu'un garde armé derrière nous avec son fusil pour six hommes. Il nous a mis dans la camionnette avec un conducteur et un garde à l'arrière pour nous six.

À un moment donné, je regarde mon copain et lui dit : "on est foutus, il faut faire quelque chose". On décide alors de sauter de la camionnette à un moment donné où le véhicule avait un lacet à prendre, on bouscule l'Allemand et l'on saute du véhicule en marche. Heureusement on tombe à peu près bien et l'on s'enfuit dans la forêt. Le temps que le véhicule s'arrête, il nous tire dessus mais on était déjà loin. Les Allemands sont revenus avec des chiens pour nous rechercher. Heureusement qu'il y avait un torrent dans la montagne qui passait et tous les deux, nous avons marché longuement en pleine nuit dans le torrent. Heureusement, ils ont perdu notre trace. On a laissé passer toute une journée et le lendemain soir, nous avons décidé de nous rendre à la gendarmerie française. On est redescendu de la forêt. On a vu une lumière dans un petit village. On frappe à la porte à trois heures du matin. Un boucher qui travaillait encore nous dit : "vous êtes qui ?" "Nous avons sauté de la camionnette". Nous venions de tomber sur le chef de la résistance du coin ! Il ajoute que cela fait deux jours que toute la résistance nous cherche pour essayer de nous sauver. Il nous fait monter dans son grenier. Cela faisait deux jours que nous n'avions rien mangé. Il nous a nourris et ajoute : "Que comptez-vous faire ? Il y a deux solutions :
- Ou vous rentrez chez vous en traversant la zone rouge, ce qui est très périlleux.
- Ou des gens de la Résistance vous prendront en main et vous feront passer."

Deux jours plus tard, deux gars de la résistance locale en civil, lourdement armés avec mitraillette et grenade, viennent. On est parti de nuit. À chaque coin de rue dans le village, il y avait un résistant qui sifflait pour signifier que la voie était libre. Ils connaissaient la montagne à fond, on a croisé des patrouilles d'Allemands qui ne nous ont pas vus. On est arrivé à la frontière. On l'a vivement remercié. On est passé en Espagne. Au bout de quelques kilomètres, on est tombé sur une patrouille espagnole. C'étaient des gardes-frontières à cheval. Ils nous ont mis les menottes et nous ont mis des chaînes pour pouvoir nous tirer et nous ont emmenés dans le premier village. Ils nous ont interrogés pour connaître les raisons de notre passage. On leur a menti sur tous les points en leur expliquant que nous avions de la famille en Espagne. Ils nous ont dépouillés de nos montres et de notre argent. Ils nous ont condamnés pour franchissement illégal de la frontière et nous sommes allés à la prison de Lérida.

Le directeur de la prison nous convoque. J'ai eu une idée géniale. "Vous êtes de quelle nationalité ?" Je lui réponds que je suis canadien. "Notre avion a été descendu au-dessus de la France. J'ai réussi avec le concours des Français, à rejoindre la frontière. Je désire retrouver l'armée canadienne." Le directeur de la prison a prévenu l'ambassade du Canada qui vous enverra certainement quelqu'un. Le directeur dit qu'il faut immédiatement prévenir l'ambassade du Canada à Barcelone. Nous avons été enfermés dans la prison. C'était absolument horrible. C'était l'enfer. On nous a rasés entièrement. On se trouvait au milieu d'autres Français au nombre d'une centaine dans un grand espace avec du béton par terre où il fallait se coucher sans couverture ni coussin avec des centaines de cafards et de bêtes qui nous empêchaient de dormir avec des murs et la fenêtre qui donnait sur la cour où se trouvaient les gardes espagnols. On mangeait du pain le matin avec une boisson et à midi une soupe que l'on mettait dans des boîtes rouillées à défaut d'ustensiles, c'est-à-dire trois fois rien. Il y avait aussi des Espagnols qui n'étaient pas mélangés aux Français. C'étaient des gens hostiles à Franco et qui étaient pour certains fusillés dans la cour de la prison.

Au bout de huit jours, on m'appelle. Un attaché de l'ambassade du Canada venu de Barcelone désire nous parler. Il dit : "il paraît que vous êtes du Québec, vous êtes canadien". On lui raconte notre histoire. "On est désolés. Nous avons trouvé ce moyen pour éventuellement rejoindre les forces françaises en Afrique du Nord." Il dit qu'il va nous donner un coup de main pour nous sortir de la prison et qu'il va nous mettre en rapport avec le consulat américain de Barcelone. Ils nous ont encore envoyé au bout de huit jours un émissaire du consulat américain qui était un prêtre pour voir si on voulait se confesser. Nous lui avons dit que nous étions juifs. Il répond qu'on va faire le nécessaire auprès du consulat américain.

On a effectivement été libéré quinze jours plus tard. Nous avons pris le train pour nous présenter au consulat américain de Barcelone. "Nous sommes prêts à vous faire rejoindre les forces françaises libres. Cela sera difficile de vous faire sortir d'Espagne, mais les Espagnols ont besoin d'essence et de blé. Vous avez une chance d'être échangés pour tant et tant de sacs de blé et de pétrole". Ils nous ont donné un bon pour un hôtel où nous étions logés et nourris. Arrivés à l'hôtel, Ils nous ont fait passer à l'épouillage car nous étions pleins de vermine, je ne pouvais plus dormir dans un lit tellement j'avais l'habitude de dormir sur du béton. On cherchait à gagner notre vie. Nous étions engagés dans les cabarets où il y avait de grands spectacles. Nous étions chargés d'applaudir les artistes. Ils appelaient cela "la claque". Nous étions payés pour cela. L'hôtel était fermé. Nous rentrions tard le soir. Quand nous arrivâmes devant l'hôtel, il fallut claquer deux fois des mains au "sereno" c'est-à-dire le veilleur de nuit, un garde espagnol avec un costume, qui avait toutes les clés de la rue. Ainsi il ouvrit la porte de l'hôtel.

Nous sommes restés sur Barcelone deux mois au début de 1943. Un jour, on arrive au consulat et l'on reçoit une bonne nouvelle. "Vous allez partir de Barcelone. On va vous donner des papiers et vous allez prendre le train en direction de Malaga, une ville au sud de l'Espagne. Vous allez recevoir des papiers pour un embarquement sur un bateau, le Sidi Brahim rempli de Français qui rejoignent l'Afrique du Nord pas forcément tous des volontaires comme vous." Le navire qui était un cargo allait en direction de Casablanca. La mer était mauvaise. J'étais malade en cale. Quand j'ai vu Casablanca "La Blanche", j'ai poussé un grand cri. Nous débarquâmes à Casablanca et nous allâmes à la recherche du bureau de recrutement dans l'armée française. Nous tombâmes dans un bureau où un gars nous interrogea sur ce que nous comptions faire. Nous avons répondu : "Nous engager dans l'armée". Il nous a répondu "dans quelle armée ?"
- Celle du général Giraud
- Celle du général Leclerc qui vient d'arriver et qui commence à se structurer.
- Nous voulons entrer dans celle du général Leclerc qui allait s'appeler la 2e Division Blindée."

Son parcours dans la deuxième D.B. de Leclerc (1943-1945)

L'origine de la 2e DB remonte à la colonne Leclerc des Forces Françaises Libres (FFL) qui prit l'oasis de Koufra le 1er mars 1941 durant la guerre du désert. Le 21 décembre 1940, la colonne Leclerc composée de 400 hommes et 56 véhicules automobiles sous les ordres du colonel Philippe Leclerc lance une action vers la Libye contre les Italiens. À l'issue de la bataille de Koufra, le 2 mars 1941, Leclerc prête avec ses hommes le "serment de Koufra" : "Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs flotteront sur la cathédrale de Strasbourg." L'année suivante, en 1942, la colonne Leclerc effectue une série de raids en direction du Fezzan en Libye. En 1943, le Fezzan est conquis et la colonne Leclerc fait sa jonction avec la 8ème armée britannique qu'elle accompagne dans la campagne de Tunisie en s'illustrant notamment à Ksar-Rhilane.

Le 15 mai 1943, cette force est transformée en 2e division française libre à Sabratha en Libye et le 24 août 1943, elle est renommée 2e division blindée à Témara (protectorat français du Maroc).
Ses effectifs viennent en partie des forces françaises libres mais principalement de l'armée d'Afrique. Cette fusion dans une seule division, d'unités provenant de ces deux armées, est un cas unique.
Chaque char, armé d'un canon de 75 et de trois mitrailleuses et disposant d'un poste émetteur-récepteur, était servi par cinq hommes (un chef de char, un conducteur, un chargeur, un tireur et un mitrailleur). Ils disposaient d'armes individuelles (colts, mitraillettes), d'une centaine d'obus perforants, explosifs ou fumigènes et de milliers de cartouches de mitrailleuses et de grenades. Chaque escadron se composait de 17 chars et de 3 half-tracks dont 2 servant d'ateliers mobiles de réparations. Il y avait aussi deux camions Dodge tractant des remorques et une pièce de 57 mm antichars. Un camion GMC transportait la réserve de carburant. Deux Jeeps étaient destinées au capitaine et au lieutenant chef d'échelon. Au total, la division comptait 4200 véhicules.

Depuis le début de la campagne de Tunisie, la "Force L" voit arriver de nouvelles recrues toujours plus nombreuses attirées par ce général Leclerc qui, le premier, a apporté un peu de lumière dans la nuit sombre et confuse que traverse la France. Ils arrivent de l'Afrique française libre, de France via l'Espagne, de Norvège, d'Allemagne où ils ont réussi à s'évader de trains ou de colonnes de prisonniers, du Mexique, du Chili, de l'Argentine, de Colombie, d'Amérique du Nord, de Suisse, d'Espagne, d'Afrique du Nord. Tous sont animés de la même foi, portés par la même soif de revanche et le même désir d'en découdre avec le Boche. De Gaulle décide alors de faire de la "Force L" une Division Blindée, c'est-à-dire un corps de 16 000 combattants équipés, habillés et armés par l'Amérique, recevant de ce pays le matériel de combat le plus moderne. Cette division était pourvue de 4000 véhicules, susceptibles de subsister et de combattre complètement isolés, entièrement sur ses propres ressources en vivres et en carburant, pouvant passer de l'offensive à la défensive avec ses 400 chars, ses 650 canons ses 2 000 mitrailleuses.

Au mois d'août 1943, les colonnes de camions de la "Force L" partent pour le Maroc à Témara, au sud de Rabat. C'est là que va naître la nouvelle unité. Trois problèmes se posent : l'amalgame des régiments, le matériel et l'instruction. C'est de loin le premier problème qui est le plus important aux yeux du général Leclerc. Peut-on former des groupements de tactique homogène avec des gaullistes de la première heure et des hommes qui, en 40, ont reçu De Gaulle à Dakar, à coups de canon ? La 2e D.B. est la première grande unité dans laquelle se trouvent réunis des Français qui, depuis trois ans, étaient séparés par les circonstances. Cette 2e division Blindée au Maroc sous le commandement du général Leclerc comprenait un état-major avec à sa tête le colonel Bernard, un régiment d'infanterie portée à trois bataillons, un régiment de marche du Tchad commandé par le colonel Dio avec trois groupes : le 40e régiment d'artillerie nord-africaine, le 64e régiment d'artillerie de division blindée et le 3e régiment d'artillerie coloniale, un groupe de canons anti-aériens, un régiment de reconnaissance : le 1er régiment de marche des Spahis Marocains avec à sa tête le lieutenant-colonel Rémy. Elle comprenait encore trois régiments de chars, un régiment de chasseurs de chars, une compagnie de transmissions avec un bataillon médical (deux compagnies de conductrices ambulancières et une troisième de Quakers pour secourir les blessés) et un groupe d'escadrons de réparations. Aux Français des Forces Françaises Libres ralliées en Angleterre dès 1940, en Syrie dès 1940 et 1941 se mêlaient d'autres Français venant du Tchad mélangés de Noirs et de quelques Sud-africains. Des Français du Sénégal ou de Guinée voisinaient avec ces premiers. Des Libanais, des Algériens, des Marocains, des Noirs d'Afrique Equatoriale Française, des Indiens de l'escadron de Réparations, Catholiques, Protestants, Juifs, Musulmans priaient ensemble quand ils y pensaient ou que les circonstances les y incitaient. Enfin communistes et réactionnaires, socialistes et radicaux, libres-penseurs et chrétiens militants, quakers, fraternisaient sinon par passion sentimentale réciproque, mais en tout cas pour des raisons communes ; la haine du Boche, l'amour de la Patrie, le sacrifice de la vie consentie d'avance pour sa libération, la confiance dans l'étoile du chef . Chaque homme doit connaître son métier à fond sous peine de compromettre les efforts de tous. Préparation minutieuse, rapidité, précision, décision, initiatives hardies, tout l'art de Leclerc est là et toute la force de la 2e D.B. en découlera.

La 2e D.B. est intégrée au 15e corps américain commandé par le général Hailslip qui faisait partie de la 3e armée américaine sous les ordres du général Patton.
La création de la 2e DB s'effectua donc selon le témoignage de Roger Simon au Maroc, près de Rabat à Témara pour bénéficier de la proximité du port de Casablanca, où les matériels américains étaient livrés et une indispensable instruction était effectuée pour maîtriser ces nouveaux engins.

Lettre de félicitations adressée par le Général Giraud à Roger Simon
le 4 décembre 1943. (coll. R. Simon)
"Le sergent me dit : "sous quelle forme vous engagez-vous ?" Je signai un contrat pour la durée de la guerre. "Vous avez un avantage. Vous pouvez choisir votre unité de combat." Je regarde par la fenêtre. Je vois passer un type en uniforme. Je suis émerveillé par son calot rouge sur la tête. Je dis que je voulais rentrer dans cette unité-là. J'ai appris après que je m'étais engagé au 1er régiment de marche des spahis motorisés (RMSM). C'était un régiment de reconnaissance de la 2e DB qui avait des missions extrêmement dangereuses. Je suis rentré dans cette unité et la première chose que j'ai dû faire était de passer mon permis de conduire de poids lourds pour conduire les automitrailleuses. J'ai commencé ma formation.

Un événement m'a sauvé la vie. Un dimanche où j'étais libre de mes mouvements, je décide de me rendre à Marrakech et d'aller chez le coiffeur. Or tous les coiffeurs français étaient fermés. À la lisière de la vieille ville, la médina, j'en aperçois un d'ouvert. J'y suis allé. Je me suis fait couper les cheveux et raser. J'ai passé la journée tranquillement à Marrakech et suis rentré dans mon unité. Des boutons commencent à envahir ma figure. C'était de l'impétigo, une infection cutanée avec des boursouflures purulentes, due au rasoir infecté. Cela a pris des proportions énormes. Mon commandant m'appelle. "Je ne peux pas vous laisser comme cela. Il faut aller à l'hôpital." J'arrive à l'hôpital de Marrakech où il n'y avait que des Américains (la moitié de l'armée), qui étaient tous soignés pour des maladies vénériennes car les Américains couchaient avec des femmes de la médina. Je vois un médecin qui parle le français qui me dit : "Tu es le seul ici au milieu de l'armée américaine. On va te soigner comme eux." Il m'a donné des médicaments qui n'étaient pas efficaces. Arrive le miracle. Cette année-là, il y eut une invention d'un chercheur américain Alexander Fleming, la pénicilline qui a été aussitôt envoyée dans les hôpitaux. Les Américains ont été guéris et moi aussi !

J'ai retrouvé mon unité. Le commandant est surpris de ma guérison. Il me dit que c'est très embêtant. Tous vos camarades ont fait leurs classes. Les postes ont été distribués. Je vais vous mettre dans une unité hors rang. Comme j'avais mon permis, on allait souvent en Algérie à Oran chercher du matériel. La division s'est constituée avec le matériel américain qui arrivait. J'étais au volant d'un grand camion GMC qui avait sept vitesses et qui transportait des munitions. Je revenais dans la forêt de Témara. Un jour, les autorités estimant que la division était prête, nous reçûmes l'ordre d'aller de Témara sur Oran soit plus d'un millier de kilomètres. Je suis chargé de conduire un Command Car, une jeep. Je prends la route arrive à Oran où les bateaux sont prêts pour êtres embarqués à destination de l'Angleterre."

En avril 1944, Leclerc part avec quelques officiers pour l'Angleterre. La 2e D.B. le suit en convoi dans le plus grand secret, passe par les Açores et arrive enfin en Grande-Bretagne où elle restera cantonnée à Hull dans le nord de l'Angleterre pendant deux mois et demi et où elle parachèvera son instruction. Roger Simon souligne que "la plus grande partie des jeunes était embarquée dans de gros bateaux et logeait dans des cabines. Je fus embarqué sur un gros navire chargé du matériel comme des chars. On s'est mis en route, j'avais un mal de mer terrible. J'ai eu une chance énorme car sur le pont il y avait une ambulance. J'ai passé toutes les journées avec d'autres jeunes. On jouait toute la journée au bridge. Des bombardements allemands ont eu lieu pendant la traversée au niveau du détroit de Gibraltar. Nous avons également été attaqués par des sous-marins allemands. Mais nous étions protégés par des porte-avions. Nous avons finalement débarqué en Ecosse dans la baie de Scapa Flow où il y eut des combats, un gros navire de guerre américain avait été coulé. On a entendu Radio Paris nous dire "bonjour à la division Leclerc, vous êtes arrivés à tel endroit. Ne vous faites aucune illusion. Vous serez coulés". Cette traversée dura du 18 mai 1944 au 8 juin 1944. Nous débarquons en Écosse où nous recevons un accueil formidable de la population. Une jeune fille m'invite à prendre une tasse de thé et me met tout de suite mes pieds dans de l'eau chaude. Nous étions considérés comme des héros. J'avais un calot rouge et l'on s'est battu en treillis. Nous avions des casques. Ensuite, on est descendu aux environs de Londres. Nous sommes restés un moment où l'on a vu le bombardement de Londres. Des V1 en effet s'abattaient jour et nuit sur cette ville. Un jour, on reçoit l'ordre de se diriger vers la côte anglaise dans un endroit qui s'appelle Hull pour nous signifier que l'heure du débarquement était arrivé. Nous avons procédé au chargement des péniches de débarquement vers la côte française. On nous a même donné un médicament pour le mal de mer. On a donc embarqué d'Hull vers les côtes françaises."

Le 6 juin 1944, les alliés débarquent en Normandie ; la 2e DB est toujours en Angleterre. Le 29 juin, la Division Blindée de Leclerc est présentée au général Patton. On boucle les paquetages et c'est par une belle matinée d'été que la division prend la mer à Southampton et à Portland. Il fait très chaud, la mer est d'huile et tous ces hommes se recueillent avant de souffler l'énorme tempête qui balaiera l'Allemand de France. Leclerc et ses hommes débarquent en Normandie le 2 août 44 . Roger Simon ajoute que :
La carte d’identité spéciale de Roger Simon en date du 15 juillet 1944 .
(coll. R. Simon)
"Nous sommes arrivés en France sur la plage d'Utah Beach le 6 août 1944. Nous n'étions pas les premiers. Les troupes du commando Kieffer ont ouvert la route aux Américains. Nous sommes arrivés derrière. Elles ont pratiquement été toutes décimées. Auparavant j'avais eu une affectation. Le général Leclerc avait décidé de constituer une petite unité chargée de le suivre comme pratiquement sa garde personnelle et qui pendant les combats devait diriger en Normandie les chars.

J'étais donc conducteur au milieu des chars, chargé de les diriger. Je portais un casque de combat, une gaine avec une mitraillette tout comme l'homme assis à l'arrière tandis que l'homme assis à côté de moi avait un fusil-mitrailleur.
Au début du débarquement, il y avait des types gravement mutilés. Je suis donc au milieu des chars en étant chargé de les diriger. Quand on a débarqué, le plus terrible était l'odeur de brûlé, surtout des cadavres d'animaux brûlés. Ce qu'il y avait de terrible, c'est que tout était miné. Les premiers à passer, les démineurs étaient chargés de faire une petite route de la largeur d'un char et nous avions juste le droit de passer le long du passage de la route qui avait été déminé. Il est arrivé des accidents. Un jeune qui voyait par exemple un stylo le prenait, il était miné. Il perdait la main. Des cadavres d'animaux qu'on voulait enlever étaient minés. On ne pouvait rien faire. Les Allemands avaient disséminé des mines partout. Il fallait donc rester dans notre chemin pour avancer.

En Normandie, nous étions rattachés à une unité blindée américaine très importante du général Patton (1885-1945). En effet, après l'invasion normande, Patton fut placé à la tête de la 3 e armée américaine, à l'aile droite des forces alliées, sous les ordres de Bradley, l'un de ses bras droits en Afrique du Nord. Il mena cette armée durant l'opération Cobra dont le but était de percer le front allemand dans le Cotentin. Patton participa à cette percée, prenant Avranches et pénétrant en Bretagne avant de se déplacer du Sud vers l'Est, en prenant à revers plusieurs centaines de milliers de soldats allemands dans la poche de Falaise. Patton employa la propre tactique de l'attaque-éclair allemande, en parcourant près de 1 000 kilomètres en seulement deux semaines. On le voyait de loin car il avait un pistolet à crosse d'ivoire qui brillait. L'intendance était remarquablement organisée. Nous recevions chaque semaine des colis où il y avait de tout avec des conserves, des cigarettes. Il y avait une section d'infirmières. La Division blindée se composait de 600 chars fabriqués aux Etats-Unis et de 20 000 hommes. Ces chars étaient déployés en de nombreuses unités qui étaient toutes commandées par des colonels qui sont devenus ensuite des généraux. Beaucoup ont été tués car ils se battaient avec les soldats étant dans les tourelles des chars. Leclerc allait voir ce qui se passait à gauche et à droite. Un jour, j'étais témoin de la scène, il se trouve en face d'un command car allemand sur une route. Le commandant sort son arme et tue le chauffeur allemand. Six officiers allemands se rendent aussitôt.

J'ai dormi une fois la nuit et tous les chars étaient passés. Ils avancent pendant que je dors. C'étaient des chars allemands qui reculaient !

La division lâchée sur les routes de France arrive à Argenteuil puis au Mans le 9 août 1944. Elle attaque la 9e Panzer en direction d'Alençon. Puis nous avons avancé lentement vers Paris. Puis s'est posé le problème suivant : qui entrera en premier à Paris ? les unités américaines ou la 2e D.B. ? Les F.F.I. envoyaient des éclaireurs pour dire qu'on était en train de se faire massacrer. On va vous guider. Il y eut une réunion avec Eisenhower et Leclerc. Il a été décidé que la 2e DB libérerait Paris et elle a reçu l'ordre de marcher sur la capitale.

C'est le premier combat de chars, la ville est atteinte le 12. La 2e DB pousse vers Argentan, détruisant ce qui reste de l'unité ennemie. À partir du 13 août, la division regroupée dans cette zone attend les ordres tandis que les divisions américaines amorcent le contournement de Paris par le nord-ouest et par le sud."

Le 18 août 1944, Paris entre en insurrection contre l'occupant allemand tandis que les forces alliées progressent vers la capitale. Le 22 août, le général Eisenhower, commandant en chef des forces alliées, cède à l'insistance du général de Gaulle et du général Leclerc et donne l'ordre à la 2ème division blindée de Leclerc et à la 4ème division d'infanterie américaine (DIUS) de foncer sur Paris. Le 24 au soir, les premiers éléments de la 2e DB parviennent à l'Hôtel de Ville.

Roger Simon aux commandes de sa jeep lors de l’épopée de la 2e D.B. du général Leclerc
(coll. R. Simon)

Laissons parler Roger Simon : "Le général Leclerc est monté dans un Half Track et nous sommes entrés à Paris par la porte d'Orléans au milieu d'une foule en délire. Les gens nous sautaient dessus. Nous nous sommes dirigés vers la gare Montparnasse. On entre dans cette gare qui est vide, noire et sale. Il a essayé d'y faire son quartier général. Il y a un général qui nous attendait à la gare : c'était le général de brigade Jacques Chaban-Delmas. Ensuite il a été décidé d'envoyer un ultimatum au général Dietrich Von Choltitz, gouverneur militaire du "Grand Paris", Gross Paris qui se trouvait à l'hôtel Meurice, palace situé rue de Rivoli, en face du Palais des Tuileries. Au bout d'une heure et demie n'ayant aucune réponse, on décide d'attaquer. Lorsque l'insurrection éclate, les Allemands sont encore 20 000 à défendre la capitale. Équipés de chars, alors que les résistants n'ont aucune arme lourde à leur opposer, ils se replient pourtant. On va vers la place de la Concorde. Les chars de Leclerc se trouvent en face des Panzers allemands. Une grosse bataille de chars s'engage. Une première unité est entrée dans l'hôtel Meurice où il y avait des officiers en bas qui se sont rendus. On leur a demandé où se trouvait Von Choltitz. Ils nous ont répondu au premier étage. Nous y sommes montés. Il était debout, blanc et il transpirait. Il a été embarqué et dirigé vers la préfecture de Paris."

Leclerc emmène ensuite le général allemand à son PC de la gare Montparnasse. Il y retrouve le général de Gaulle qui a fait une entrée triomphale dans la capitale par la porte d'Orléans. Après cette étape gare Montparnasse, de Gaulle gagne l'hôtel du ministère de la guerre, rue Saint-Dominique. Il y établit le siège de la présidence du gouvernement. Il se rend ensuite à l'Hôtel de Ville où il prononce un discours devant les chefs de l'insurrection réunis : "Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré !" De Gaulle s'y pose en chef de gouvernement qui n'a d'investiture à recevoir de personne, sinon du peuple souverain, autrement dit ni du Conseil national de la Résistance (CNR) ni bien sûr des Alliés. Il énonce les "droits et devoirs" de la France. Les devoirs, ce sont la guerre et l'unité nationale sous les couleurs républicaines. Les droits sont, à l'intérieur, ceux d'une République sociale - souveraineté populaire et droits sociaux, et, à l'extérieur, ceux d'une "grande puissance mondiale".

Dans le grand salon de la préfecture le 25 août 1944 vers 15 heures se trouvaient le général Leclerc, le général Chaban, un général de la 4e division d'infanterie américaine, le colonel Rol Tanguy, chef des FFI de Paris, ils font signer la capitulation de Paris au général von Choltitz. Aussitôt après la capitulation, le général Leclerc emmène von Choltitz dans son scout car au P.C. Montparnasse. Les officiers allemands de son Etat-Major suivent dans un camion de la préfecture en direction de la gare Montparnasse . Le 26 août, De Gaulle décide d'aller à l'Etoile et de descendre avec toutes les autorités les Champs-Élysées à pied. Il descend les Champs-Élysées en tête du cortège. Il est entouré et suivi à une distance respectueuse par les membres du gouvernement et par Alexandre Parodi, son ministre dans les territoires occupés, par les membres du Conseil national de la Résistance (dont son président, Georges Bidault), du Comité parisien de Libération, des préfets de Police et de la Seine, puis par les généraux FFI et FFL, Koenig, Leclerc marchant derrière le général de Gaulle, Juin, Chaban-Delmas etc. À une centaine de mètres derrière viennent Rol-Tanguy et ses officiers.

Médaille de la France Libre de Roger Simon
 

Roger Simon ajoute : "Nous avons descendu les Champs-Élysées. Ma jeep était en tête. J'étais près du général de Gaulle et du général Leclerc. La descente des Champs-Élysées a été filmée par une caméra des armées avec un trépier posé à l'arrière d'un camion et le caméraman tournait. Les chars étaient les uns à côté des autres. Les Américains ont fait après leur propre descente des Champs-Élysées. Il y avait une tribune à la Concorde. Le défilé a fait beaucoup de victimes car les chars étaient tellement près des gens qu'ils ont écrasé plusieurs personnes. Leclerc était dans la tribune et ma jeep était à côté. J'ai vu le film à la télévision, on me voit à côté de Leclerc.

Ensuite la division a été mise au repos. Les gens voulaient qu'on vienne chez eux. C'était énorme. Il y a peu de gens qui ont connu Paris comme moi sans aucune voiture. On a eu l'ordre de nous diriger sur Royan pour aider les forces françaises à libérer cette poche (12 septembre 1944) qui abritait 5 000 soldats allemands. L'aviation américaine a pilonné la ville. Puis on est remonté en prenant la direction de Strasbourg. Il y a eu avant Strasbourg et avant Baccarat la plus grande bataille de chars qui s'est déroulée à Dompaire en Lorraine du 12 au 15 septembre 1944 où nous avions en face de nous 90 chars allemands."
Elle opposa les troupes françaises de la 2e DB appuyée par l'aviation américaine aux troupes allemandes de la 112e Panzer brigade. Les colonnes de chars Sherman et les chasseurs de chars M 10 sont accrochés par les chars allemands stationnés dans le village. Avec l'aide de l'aviation américaine (avions Thunderbolt = tueurs de chars), les troupes françaises détruiront 53 chars allemands.
"Nous avons fait route par la suite sur Baccarat. Nous sommes entrés dans la cristallerie, et l'on nous a offert le champagne. Les coupes de champagne étaient destinées à Goering ! Puis la 2e DB s'est dirigée sur Strasbourg. Les quatre itinéraires fixés par le général arrivent du nord, du nord-ouest et de l'ouest par Schiltigheim, Mittelhausbergen, Cronenbourg et Koenigshoffen. J'étais rattaché au groupement Massu ; nous sommes entrés par Wasselonne. Nous avons été accrochés. Devant moi deux spahis ont été tués. Nous avons été ensuite arrêtés sur la route de Strasbourg au fort Foch. Puis Leclerc a reçu le fameux message du lieutenant-colonel Rouvillois à son entrée dans Strasbourg le 23 novembre 1944 à 9h 15 : "Tissu est dans iode", autrement dit "Rouvillois est dans Strasbourg". J'avais comme ami un sous-lieutenant dénommé Braun qui était originaire de Strasbourg qui est allé trouver Leclerc en lui disant qu'il allait se mettre en rapport avec l'état-major allemand. En effet, Il est 9 h 30 lorsque le sous-lieutenant Edgard Braun arrive à Pfettisheim, sur la foulée de la colonne Massu."

Braun fait partie du 2e Bureau du groupement Langlade et la langue allemande n'a pas de secret pour ce Strasbourgeois natif d'Offendorf. Les renseignements ne lui manquent pas davantage. Il sait notamment qu'un bataillon fortement constitué s'est incrusté à Truchtersheim et qu'il est décidé à s'y défendre. Le bataillon est fort de 300 à 400 hommes. Comme il dispose des noms, des grades et des fonctions des officiers tombés entre les mains de l'unité, il va tenter de faire sauter ce bouchon dangereux. À Pfettisheim, Braun entre dans le bureau de poste et demande au téléphone le lieutenant allemand qui commande l'unité de Truchtersheim. "Ici le capitaine Hauchoweichsel, du cabinet du gouverneur militaire du Grand Strasbourg, dit-il. Heil Hitler ! Strasbourg vient d'être envahi par les Français. Vous êtes donc encerclés. Il ne vous servirait à rien de résister. Une seule chose importe : sauver vos hommes. Ordre du général Vaterrodt : vous constituez prisonniers. Déposez vos armes et rendez-vous en colonnes jusqu'à Pfettisheim.-Jawohl ! Hauptmann Hauchoweichsel. Heil Hitler !"
Les hommes accueilleront peu après cette étrange colonne de 400 soldats qui avancent, comme à la parade, conduits par leur commandant.

Roger Simon ajoute que : "L'effet de surprise a été total pour les Allemands Nous ne sommes pas passés par les routes normales mais par Dabo et par des chemins où les chars ont eu énormément de mal à passer. Le serment de Koufra du 2 mars 1941 est tenu : "jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg."

Le 23 novembre 1944 à 14 h 30, Maurice Lebrun, Claude Laborie, Robert Larbaigt et Jo Calmejane des Spahis ont hissé le drapeau tricolore sur la flèche de la cathédrale. Leclerc a décidé d'installer son Q.G. au Kaiser Palast. Leclerc a reçu le général Vaterrodt, gouverneur militaire de Strasbourg qui était encerclé dans le fort Ney. Il signa à 13 h 30 au Palais du Rhin l'ordre de cesser le feu le 25 novembre 1944. Il se rendit avec 626 officiers et hommes de troupes. Dans la salle du Kaiser Palast, il y avait un lustre. Ce lustre est tombé au moment où le général Leclerc recevait la reddition de Franz Vaterrodt en compagnie du colonel de Langlade et du capitaine Betz, l'interprète. Leclerc était juste à côté !

La guerre pourtant n'est pas finie et l'Alsace, pendant plus de deux mois, va demeurer le champ d'action et le souci de la 2e DB. En effet, après la surprise de Strasbourg, le commandement ennemi se ressaisit très vite, envoie des renforts et organise ce qui devient la "poche de Colmar". "L'hiver 1944-1945 est particulièrement rude, nos hommes, les blindés peinent souvent dans la boue, dans la neige. Entre Noël et début janvier, la contre-offensive allemande des Ardennes oblige le commandement allié à envoyer la 2e DB au nord des Vosges, en Sarre ; pendant ce temps, Strasbourg que nous protégions se trouve gravement menacé. Lorsque, dans la deuxième quinzaine de janvier, la division revient en plaine, les belles et riantes bourgades libérées en novembre ont été ravagées, défigurées par les durs combats qui viennent de s'y livrer. Il y a eu en effet la contre-offensive allemande des Ardennes. Les Allemands, sous le commandement du maréchal Von Rundstedt, lancent une ultime et puissante contre-offensive contre les Américains dans les Ardennes. Ce dernier assaut, immortalisé par la bataille de Bastogne, se traduit par une avancée nazie jusqu'au 23 décembre. Mais dès le 26 décembre, les troupes allemandes sont contraintes de battre en retraite arrêtant l'opération en janvier. Elles ont perdu des dizaines de milliers d'hommes parmi ses meilleures unités et Von Runstedt, lui-même sera fait prisonnier par les Anglais."

Roger Simon ajoute : "il y a eu après la poche de Colmar une bataille du 20 janvier au 9 février 1945. On a fait la jonction avec les troupes de la Première Armée française de Lattre de Tassigny. On était en Alsace, on attendait des renforts. On voit arriver des chars américains. Ces chars laissés sur place par les Américains lors de la bataille des Ardennes ont été utilisés par les Allemands contre nous. Ces chars ont été détruits. Trois ponts sur quatre de Kehl sont restés intacts. On est donc passé en direction de l'Allemagne où l'on ne s'est pratiquement pas battus. La seule bataille a été la bataille de Berchtesgaden où il y avait une compagnie de SS qui a vraiment livré une bataille. Puis on est retourné aux environs de Münich. J'ai été démobilisé le 20 mai 1945. Je trouve extraordinaire le fait suivant : quand je me suis engagé, j'étais dans une tenue d'été que j'avais achetée en Espagne. J'étais tout en blanc. Quand j'ai été démobilisé le 20 mai, j'ai remis mes uniformes. J'étais tout en blanc ! C'est que de Casablanca, on me remet mes vêtements dans lesquels je me suis engagé qui ont suivi toute la guerre notamment à Paris."

Conclusion :

Roger Simon a volontairement quitté la France occupée par l'armée allemande en passant par l'Espagne pour venir combattre dans les rangs de la 2e DB en Afrique. En tant que soldat de 1e classe à la 397e compagnie de circulation, il a comme agent de circulation routière toujours rempli avec calme et courage les missions variées qui lui firent confiées pendant la campagne de France et a apporté sa contribution à la libération de la patrie.

Roger Simon avec le calot rouge du 1er régiment de marche des spahis marocains (RMSM) et les insignes de la France libre lors la cérémonie commémorative du 69e anniversaire de la libération de Strasbourg le 17 novembre 2013. Le monument en bronze place Broglie dédié au maréchal Leclerc (inauguré le 23-11-1951) est une sculpture réalisée par Georges Saupique (1889-1961). C’est le premier monument en hommage rappelant la charge du général Philippe Leclerc de Hauteclocque et de la 2e D..B qui libéra Strasbourg le 23 novembre 1944. (Photo © J. Daltroff)

Parcours de Roger Simon :

Citations :

Entretien de l'auteur avec Roger Simon : 30 juillet 2012, 8 octobre et 19 novembre 2012.

Bibliographie :

Jean Daltroff envisage d'écrire un livre intitulé Roger Simon, engagé volontaire dans la 2e DB du général Leclerc  Itinéraire d'Hayange à Strasbourg (1921-2013), qui paraîtra en 2014.


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