Quelques sceaux de la famille du Préposé général de la Nation juive en Alsace,
Cerf Berr de Medelsheim.
par Robert Weyl
Equipe de Recherche du C N R S
Nouvelle Gallia Judaica

Extrait de Cahiers d'Héraldique et de Sigillographie n° 3 1989


Les minutes notariales d'Alsace recèlent d'innombrables contrats signés par des Juifs au 18ème siècle, mais rares sont ceux scellés à la cire. Ceci a de quoi nous surprendre puisque nous n'ignorons pas que les Juifs à partir d'un certain niveau social s'étaient fait faire un sceau qu'ils portaient en bague ou en pendentif. La collection de la Société d'Histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine comprend une vingtaine de matrices. On en trouve aussi au Musée juif de Bâle et dans les Musées de Spire et de Cologne. Il semble que le sceau était plutôt destiné à sceller la correspondance qu'à authentifier la signature.

Parmi les grands personnages du judaïsme d'Alsace, nous fûmes heureux à deux reprises de rencontrer l'empreinte du sceau du Préposé général de la Nation juive en Alsace Moïse Blien (v. 1700 - 1762). En revanche, aucun contrat signé par l'illustre Cerf Berr de Medelsheim, Préposé général de la Nation juive en Alsace, conservé aux Archives départementales du Bas-Rhin ou aux Archives de la Ville de Strasbourg, n'est marqué de son sceau.

Ce fut le mérite de Karl Lillig de découvrir au Landesarchiv de Saarbrücken (1) deux empreintes de sceaux accompagnant la signature de Cerf Berr. Il eut aussi l'extrême amabilité de m'envoyer les photographies de ces empreintes pour me permettre de les étudier. (A)
Ce qui me permit d'attribuer le premier de ces sceaux à Dov Berr (v. 1705 - 1778), le père de Cerf Berr, le second à Cerf Berr (1726 -1793) lui-même.

Pour compléter cette étude intéressant la famille Cerf Berr, j'ai cru bon d'ajouter les armoiries de Théodore Cerf Berr (1765- 1836) un des fils de ce dernier, ainsi que celles de son petit fils, le colonel Max Théodore Cerf Berr (1796 - 1874), député de Wissembourg. Pour la biographie de ces personnalités, nous renvoyons à ce que nous avons écrit dans le Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne (2).

Sceau de Dov bar Naftali Medelsheim (v 1705-1778), le père du Préposé général Cerf Berr.
Dessin à la plume Robert Weyl
Le premier de ces sceaux est facilement identifiable : c'est celui de Dov Berr de Medelsheim, l'ancêtre, le père du Préposé général Cerf Berr. Né vers 1705 dans le duché des Deux-Ponts, il est mort à Rosheim en 1778 (3) après avoir exercé une activité de banquier et de marchand.

Le sceau porte son nom en lettres hébraïques carrées, Dov bar Naftali Medelsheim. Le champ central est occupé par les lettres latines enlacées B et H, B pour Berr, H pour Hirtz. Enfin un ours debout dans un décor d'arbres. Ceci nécessite quelques mots d'explication. Il existe une équivalence entre Dov (mot hébreu signifiant ours) et Berr ou Bär (ours en allemand). Il existe aussi une équivalence entre le nom biblique Naftali et l'allemand Hirtz, Hirsch, Hertz.
Ouvrons la Bible, Genèse, chapitre 49. Jacob mourant bénit ses enfants. "Tu es un jeune lion, ô Juda " (verset 9) "Benjamin est un loup, destructeur " (verset 27) "Naftali est une biche bondissante " (verset 21).
A la lumière de ce passage, on comprendra qu'un Juif qui porte le nom biblique de Juda par lequel il se fait appeler à la Torah, portera dans la vie courante le nom de Loeb, Lion, Leib, Lehmann, etc. Il en sera de même pour Benjamin qui se fera appeler Wolf, ou en français Louis, très proche de loup. Et le biblique Naftali deviendra dans la vie courante Hirsch, Hirtz Hertz, Cerf, etc., masculinisation de la biche du verset 21.
Pour Issakhar, les choses sont un peu plus compliquées. Nous lisons dans le même chapitre 49, verset 14, de la Genèse " Issakhar est un âne robuste ". Les porteurs du nom d'Issakhar ont hésité à se faire appeler par le nom peu flatteur d'Âne. Comment on est passé de l'image de l'âne à celle plus digne de l'ours demeure un mystère. Mais toujours est-il que tous les porteurs du nom biblique d'Issakhar se font appeler Bär, Berr, Behrmann, Bernhard, etc. et en hébreu Dov.
A la lumière de ce qui précède on comprendra qu’Issakhar fils de Naftali se soit fait appeler Dov Berr fils de Hirsch.

Sceau du Préposé général de la Nation juive en Alsace Cerf Berr de Medelsheim ( 1726-1793)
Reconstitution d’après une empreinte lacunaire.
Dessin à la plume Robert Weyl
Il faut souligner la médiocrité du travail du graveur et sa maladresse qui fait contraste avec la qualité de certains sceaux juifs alsaciens, notamment celui de son fils que nous allons examiner maintenant.

Le sceau de Cerf Berr de Medelsheim, est d'une grande finesse. De part et d'autre d'un écu ovale nous voyons un cerf et un ours rampants. On a malheureusement quelque difficulté à déchiffrer le motif ornant l'ovale central. La matrice a mal marqué cette zone faute d'épaisseur de la cire. Pourtant on distingue très nettement, à l'intérieur de l'écu, vers dix, onze heures, une fleur à quatre pétales tenue par une main.
Or nous savons que les Juifs du 18ème siècle faisaient très couramment graver sur leur sceau le signe zodiacal du mois de leur naissance, et que le signe de la Vierge était représenté par une jeune femme debout tenant une fleur dans sa main droite. Les exemples abondent. Ainsi le sceau du Préposé général Moyse Blien, reproduit ici, le sceau d'Eliaqum fils de Jacob, la Mappa d' Isaac Netter de Rosheim de 1762.
En examinant le sceau de Cerf Berr de plus près, nous distinguons l'ébauche d'un visage, les plis d'une robe et les pieds. Pour nous, il n'existe pas le moindre doute: l'écu ovale du sceau de Cerf Berr était occupé par le signe astrologique de la Vierge, ce qui nous permet aussi d'affirmer que Cerf Berr est né au cours du mois d'Elul 5487, soit entre le 18 août et le 16 septembre 1726.

Sceau de Moyse Blien(v 1700-1762) Préposé général de la Nation juive en Alsace
Dessin à la plume Robert Weyl
En nous aidant du motif central du sceau de Moyse Blien, nous avons tenté de reconstituer le sceau de Cerf Berr dans son état primitif.
Si Moyse Blien n'hésita pas à se servir d'un sceau portant couronne de marquis, car il n'existait aucune règlementation à cet égard, Cerf Berr choisit un motif plus discret, réalisé au peigné donnant l'illusion d'une couronne de flammes.
Remarquons que la plupart des Juifs faisait graver leur nom en caractères hébraïques, ajoutant parfois, comme le firent Dov Berr et Moyse Blien, leurs initiales en lettres latines. Cerf Berr se contenta de ses initiales latines.

Nous avons pensé qu'il n'était pas dénué d'intérêt de compléter cette courte étude par les armoiries adoptées par deux descendants directs de Cerf Berr, son fils Théodore (1765-1836) et son petit fils, le colonel et député Max Théodore Cerfberr (1796-1874). Sur l'ex-libris de Théodore nous retrouvons le cerf et l'ours rampants, de part et d'autre d'un écu au nom de Théodore Cerf Berr, le tout couronné par une couronne de marquis.

Le sceau du colonel et député de Wissembourg Max Théodore Cerfberr est conservé à l'Hospice Elisa de Strasbourg qui en est devenu propriétaire à la suite du legs fait par son petit fils Roger Levylier.

Il s'agit d'une intaille, une topaze montée sur une bague en or, gravée d'un écu surmonté d'un heaume empanaché de trois plumes d'autruche et flanqué de part et d'autre de deux chiens tricéphales.
L'allusion est transparente : Cerf Berr, devenu Cerfberr puis le Cerbère de la mythologie.
L'écu porte un cerf au premier quartier, un ours au quatrième.


Armoiries de Théodore Cerf Berr (1765-1836)

Sceau de Max Théodore Cerfberr, petit fils de Cerf Beer
Dessin à la plume Martine Weyl

Cette brève étude nous aura permis de compléter nos connaissances en sigillographie juive, et de cerner de plus près la date de naissance de Cerf Berr, né en Elul 5487 (18 août - 16 septembre 1726) (4).

Notes :

  1. *Karl Lillig. Cerf Beer von Medelsheim (1726 - 1793) Zeitschrift Saarheimat.Verlag "Die Mitte" Saarbrüken. 7-8.1980, p.171-176.
    Les documents revêtus de sceaux se trouvent au Landesarchiv Saarbrücken. Le premier de ces documents ( St. A. Koblenz Abt. 22 n° 2360 ) daté du 4 novembre 1750 porte les signatures de Willhelm Heinrich, comte de Nassau-Saarbrücken (1718-1768), de Moyse Blien, Préposé général de la Nation juive en Alsace (v 1700 - 1762 ) et de Berr (Dov) Hertz, (v.1705 - 1778) le père de Cerf Berr. Le second document ( St. A. Koblenz Abt.22, n° 2630 ) daté du 3 septembre 1758 porte les signatures du comte Willhelm Heinrich, de Berr Hirtz et de Cerf Berr (1726 -1793)
  2. Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne. Publié par la Fédération des Sociétés d'Histoire et d'Archéologie d'Alsace. pages 478 et 479.
  3. Stèle funéraire au cimetière de Rosenwiller. Voir Patrimoine d'Alsace. Le cimetière juif de Rosenwiller par Robert Weyl. Editions Salde. Strasbourg.1988.
  4. Sigillographie juive. Pour la période médiévale, voir Daniel M. Friedenberg, Medieval jewish Seals from Europe. Detroit.1987.
    Pour le XVIIIe siècle alsacien : Robert et Martine Weyl, Saisons d'Alsace n°55-56. Des mêmes dans Raphaël et Weyl. Juifs en Alsace. Privat. Toulouse. 1977. p 209 et suiv.
    Dans Saisons d'Alsace, n°55-56, page 89, lesceau du colonel Max Théodore Cerfberr fut mal attribué.
Sur le même sujet, voir l'article de R. Weyl :
Trois sceaux, trois époques du destin des juifs d'Alsace


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