Géographie cordiale d'Israël
Moché CATANE
Extrait de Géographie cordiale d'Israël, plaquette publiée en 1963, Ed. KKL-Strasbourg

4. - La Galilée

Région la plus variée, la plus humide d'Israël, la Galilée est peut-être la plus proche des paysages européens. On la comparerait volontiers à la Provence, avec ses montagnes odorantes et sauvages, tombant à pic d'un côté sur une Durance qui s'appelle le Jourdain, et offrant de l'autre à la Méditerranée une Côte d'Azur, dont la forteresse d'Acre est le château d'If et Nahariya le Monte-Carlo.

La Galilée occupe le nord du territoire traditionnel de la Terre sainte, comme de l'Etat d'Israël actuel (bien que sa partie septentrionale soit actuellement incluse dans les frontières du Liban et de la Syrie). Le récit de la conquête du pays par Josué semble comprendre cette région, qui devint l'apanage des tribus d'Aser, d'Issachar, de Zabulon et surtout de Nephtali. Mais les limites des possessions israélites ne paraissent pas avoir été stables à cette époque, et, en outre, une importante population cananéenne s'était maintenue sur les lieux. Aussi Isaïei appelle-t-il cette contrée Guelil­ha-goyim ("le Cercle des Gentils), d'où vient le nom de Galilée.

On a l'habitude de diviser la Galilée en Haute-Galilée, Basse-Galilée, Galilée orientale et Galilée occidentale.

Ancienne ville de Tibériade.

La Galilée occidentale est constituée par la plaine côtière, riche en herbages et en cultures, ou l'on élève du bétail de boucherie... et que le partage de 1947 voulait nous ravir.
La Galilée orientale est formée par les bassins que traverse le Jourdain avant d'arriver au Lac de Tibériade ; autrefois marécageux, ils sont devenus, par le travail des juifs, d'excellents terrains, où prospèrent les arbres fruitiers, la vigne, les céréales ; le dernier qui a accédé à ce niveau est le bassin de Houla, récupéré sur les eaux comme un polder hollandais ; de son ancien état n'ont subsisté qu'un petit parc national d'animaux et de végétaux rares et une épaisse couche de tourbe, utilisée comme engrais et peut-être un jour comme combustible.
La Basse-Galilée est la région de plateaux et de vallons située entre Haifa et Tibériade, au centre de laquelle se trouve Nazareth.
Et la Haute-Galilée, qui monte vers le Liban, peuplée d'Arabes avec des îlots juifs comme Safed, est le paradis de l'olivier, dont l'huile, selon la Bible, y ruisselle d'entre les rochers.

Mais la Galilée est surtout riche d'histoire, et qui plus est, d'histoire religieuse.

A partir de l'époque du Second Temple, et surtout au temps de la Michna et du Talmud, la Galilée devint un centre majeur de l'activité du peuple d'Israël. Ses montagnes et ses vallées, abondamment arrosées, se relevèrent sans doute mieux des dévastations auxquelles s'étaient livrés les envahisseurs babyloniens, et désormais elle fut considérée comme une contrée particulièrement riche et peuplée.
Pourtant, au début de cette période, les gens de Jérusalem n'avaient que mépris pour ces lourds paysans, qui, incapables de prononcer correctement les consonnes gutturales, confondaient les mots araméens qui veulent dire "vin" (hamra), "mouton" (amra) et "laine" ('amra). Aussi un dicton judéen n'hésitait-il pas à dire : "Qui veut s'assagir va au sud ; qui veut s'enrichir va au nord".
Des usages particuliers que les docteurs de la Loi voyaient d'un assez mauvais oeil s'étaient établis en Galilée, comme celui de ne pas considérer la volaille comme de la viande, et, partant, de ia cuire dans le lait.

Mais, lorsque les persécutions romaines eurent rendu la vie impossible aux juifs en Judée, les académies et les savants se déplacèrent aussi vers le nord. La Michna, à laquelle les rabbins de Tsipori (Sephoris) et d'Oucha avaient mis la dernière main, fut achevée par Rabbi Juda le Saint, vers l'an 200, à Tibériade. Le Talmud dit "de Jérusalem" fut aussi élaboré autour de cette ville deux siècles plus tard. A présent, et jusqu'à la ruine du judaïsme de Terre sainte, provoquée d'abord par les guerres entre rois de Perse et empereurs de Byzance, puis par le raz-de-marée de l'islam au 7ème siècle, la Galilée est véritablement le centre de la pensée et de la science juive.

C'est dans ce climat que naquit aussi en. Galilée le christianisme. Et jusqu'à ce jour des communautés chrétiennes diverses bariolent la carte démographique de la contrée. Il est très probable que ce sont les héritiers des premières communautés de l'Evangile, qui se sont arabisées dans leur langue et dans leur moeurs, mais sont restées fidèles aux croyances qui leur furent prêchées avant de partir à la conquête du monde. N'oublions pas que c'est la persistance de ces groupes isolés de chrétiens, impatients du joug musulman, qui justifia le départ des chevaliers européens pour la Croisade, afin de sauver, avec le tombeau de Jésus, leurs frères opprimés par les mécréants. Mais les juifs se trouvèrent entre le marteau et l'enclume.

Les Croisades accentuent le déclin matériel et intellectuel du judaïsme de Galilée. La tradition locale affirme que seul le village de Peki'ine conserva toujours sans interruption sa synagogue.

Mais ce n'est qu'une brève éclipse, et, dès la fin du moyen âge, de nouvelles communautés se fondent dans les petites villes de la. région, notamment à Safed. Puis, au 16ème siècle, c'est la résurrection de Tibériade, et désormais Tibériade et Safed forment, avec Jérusalem et Hébron au sud, les quatre cités saintes vers lesquelles les enfants d'Israël du monde entier envoient leurs aumônes pour entretenir une petite population de gens qui prient et s'adonnent aux études sacrées. Et l'on conserve précieusement, dans les familles de la Diaspora, les albums reliés en bois d'olivier qui renferment quelques fleurs séchées de Galilée ou bien de maladroites gravures représentant les monuments sacrés.

Cette vie qu'on peut dire recluse, parce que les communications avec l'extérieur étaient uniquement assurées par les émissaires se rendant régulièrement en Europe pour y recueillir des fonds et par les nouvelles arrivées de pieux pèlerins, se poursuivit sans changement notable jusqu'à l'avènement du sionisme.

A la fin du 19ème siècle, un nouveau type d'immigrant prend pied en Terre sainte et cherche à renouer l'alliance avec la terre que Dieu a donnée à son peuple. Mais la Galilée n'est pas un des lieux de prédilection de la colonisation sioniste. Et c'est le miracle de la Guerre de Libération qui, en donnant providentiellement toute cette région à l'État d'Israël, a provoqué un renouveau d'intérêt pour cette contrée pleine de souvenirs.

Aujourd'hui, la Galilée, en même temps qu'une région que ses ressources promettent à un avenir brillant, est une sorte de reliquaire d'un passé plus varié et plus attachant que Jérusalem elle-même, Hébron ou Sichem.

Sans nous arrêter aux stations secondaires, nous évoquerons à présent trois hauts lieux de la spiritualité juive, Mérone et Safed, sur la montagne, et, dans sa cuvette bouillante, l'adorable Tibériade.

Mérone est consacré au souvenir de Rabbi Chim'one bar Yohaï. Au 2ème siècle, cet élève de Rabbi Akiva, qui se distinguait par la flamme dévorante de son amour exclusif pour le Tout-Puissant, fut recherché par les Romains, pour avoir publiquement bafoué leurs croyances et leurs moeurs. On montre encore aujourd'hui à Peki'ine, dans un bosquet de caroubiers, la grotte où il demeura avec son fils El'azar pendant treize ans, approfondissant la Loi divine et se nourrissant uniquement des fruits de l'arbre que l'Eternel avait fait pousser à l'entrée de la grotte et de l'eau d'une source qui avait jailli pour eux. Le résultat des méditations du père et du fils fut, dit-on, le livre du Zohar.
C'est à Mérone que se dresse le modeste mausolée de Rabbi Chim'one, auprès duquel se trouvent les tombes d'autres rabbins fameux. Toute l'année, l'endroit est presque désert, à l'exception d'une petite académie talmudique qui, il y a peu de temps, s'est installée à proximité. Mais chaque année, au printemps, le 18 Iyar (Lag ba'omer), des milliers de pèlerins viennent célébrer l'anniversaire de la montée au ciel du Maître de la Cabbale. D'innombrables autobus déversent une population bigarrée, hommes, femmes et enfants, qui viennent allumer des bougies du souvenir au bord de la tombe. Les petits garçons qui ont atteint dans l'année l'âge de trois ans sont dépouillés de leur chevelure, dont il ne reste plus que les deux boucles sur les tempes. Et, pendant toute la nuit, ce ne sont que rondes endiablées aux accents de versets des Psaumes vigoureusement scandés.

Safed sur une gravure ancienne.
Safed est à présent une ville de peintres, et elle essaye ainsi de retrouver son lustre d'antan. En effet, les tremblements de terre du 19ème siècle ont découragé beaucoup d'habitants, qui étaient restés fidèles à leur cité montagneuse à travers les âges. Safed, redevenue dès le 13ème siècle la capitale de la Galilée juive, devait connaître deux cents ans plus tard un prodigieux essor, qui en fitpendant un siècle le centre incontesté de la spiritualité d'Israël. Dans la limpidité de l'air galiléen, sous ce ciel merveilleusement pur, le divin Yitshak Louria, surnommé le "Lion", enseigna à ses disciples, "les lionceaux", les splendeurs du Zohar, dont l'écho se répandit dans le monde entier.
Deux preuves incontestables de l'universalité de cette influence sont le code de législation rituelle Choulhane Aroukh ("La Table dressée"), rédigé à Safed en 1.556 par le cabbaliste Yossef Caro, et le cantique d'accueil du Shabath, Lekha dodi, qui fut composé dans la même cité par Chelomo ha-Lévi Alkabets en 1575. L'un et l'autre se répandirent à travers toutes les communautés du monde juif avec une rapidité extraordinaire, et aujourd'hui, il n'y a plus de synagogue oit l'on ne chante pas chaque vendredi soir le poème d'Alkabets ("Viens, mon bien-aimé" - c'est-à-dire l'Eternel
"au-devant de la fiancée" - la princesse Shabath), de même qu'il n'existe plus de juif pratiquant qui ne reconnaisse pas la somme de Caro comme l'autorité suprême en matière de décision religieuse.
Vers la même époque, c'est le rabbin de Safed, Ya'akov Bérav, qui. songea à rétablir le Sanhédrin, assemblée de docteurs ayant le pouvoir de légiférer pour le judaïsme tout entier. Enfin, Safed a l'insigne gloire d'avoir été la première ville de Terre sainte où l'on imprima des livres. Alors qu'il faut attendre le milieu du 19ème siècle pour voir une imprimerie fonctionner à Jérusalem, c'est en 1577 qu'Avraham et Eliézer Achkenazi firent sortir de leurs presses l'ouvrage de Yomtov Tsahalone Lèkah tov, un commentaire du Livre d'Esther.

Une tradition affirme que c'est Tibériade qui, sous le nom de Rakath, est mentionnée dans le livre de Josué ("Et les thermes de Rakath et Kinèreth"). Ce dernier nom de lieu désignant jusqu'à nos jours le "lac-lyre", il est d'autant plus facile de faire le rapprochement avec les sources d'eau chaude de Tibériade. En tout cas, les Sages du Talmud, ne voulant pas admettre que ce foyer de la Loi porte le nom d'un empereur romain, qu'Hérode Antipas avait donné à la ville reconstruite par lui, trouvèrent une nouvelle étymologie : "Bellevue" (tov reïya).
C'est à Tibériade que, semble-t-il, dès le 7ème siècle, le plus grand poète liturgique, El'azar Hakalir, rédigea ses compositions au style recherché, mosaïque d'allusions bibliques et talmudiques. Bientôt après, Tibériade fut le centre de l'activité des deux écoles rivales de Massorètes, de Ben-Acher et de Ben-Naftali, et Tibériade a laissé son nom à leur système de ponctuation, universellement accepté par tout le judaïsme.
Tibériade, détruite en 1187, au cours de la guerre entre Saladin et Guy de Lusignan, ne se releva qu'au 16ème siècle. Aussi est-il difficile de savoir à quand remonte la tradition qui affirme que plusieurs des grands maîtres d'Israël reposent sous ses tombeaux, qui sont encore à l'heure actuelle des lieux de pèlerinage vénérés. Le sépulcre attribué au fameux Rabbi Akiva se trouve à flanc de coteau, avec les tombes de Rabbi Hiya et de ses fils, et selon la légende, toute la campagne alentour contient les restes des vingt-quatre mille disciples d'Akiva, qui succombèrent à la terrible épidémie dont les juifs pieux commémorent toujours le deuil entre les fêtes de Pessah et de Shavou'oth. Mais c'est en plein centre de la ville, à quelques pas de la gare routière, qu'est situé l'enclos où, sous un parallélépipède de maçonnerie blanchi à la chaux, sont enfouis les restes de Maïmonide et d'autres rabbins éminents de tous les temps.
Tibériade redevint en 1560 une cité juive grâce à Don Yossel Nassi, duc de Naxos, tout-puissant conseiller du sultan de Constantinople. Le duc Yossef avait choisi ce site pour y introduire la culture du mûrier, afin qu'un groupe de ses coreligionnaires s'y adonnent à la fabrication des tsitsith, ces franges rituelles que tout bon Israélite doit porter aux quatre coins de son vêtement.
Une nouvelle renaissance de Tibériade fut provoquée à partir de 1777 par l'immigration de nombreuses familles de dévôts d'Europe orientale (Hassidim), qui fondèrent des synagogues de rite allemand à côté des anciennes de rite espagnol. De grands jours pour la vieille cité furent ceux de l'hiver 1798-1799, où l'un des chefs les plus respectés du mouvement mystique de Pologne, Rabbi Nahmane de Bratzlaw, vint séjourner parmi ses fidèles au bord du lac. Mais le maître était appelé à d'autres luttes, et c'est dans sa bourgade ce Podolie qu'il devait, dit la légende, affronter le général Bonaparte, devenu l'empereur Napoléon...

Malgré l'emprise de la civilisation moderne, qui peu à peu couvre la Galilée de ses réseaux de fils et de tuyaux, parsème ses champs de tracteurs et de moissônneuses-lieuses, fend ses villes de larges rues à angle droit, les souvenirs du passé ne sont pas morts. A chaque pas, le pèlerin rencontre un endroit où quelqu'un de ses ancêtres a prié, supplié, exalté Dieu ou a approfondi les arcanes de sa Loi. L'ancien "Cercle des Gentils", devenu il y a deux mille ans le berceau du christianisme, et resté terre d'islam pendant douze siècles, est demeuré néanmoins une terre intensément juive, dont tous les paysages sont marqués d'une indélébile empreinte, celle de la foi d'Israël.

Aussi ne faut-il pas s'étonner que la Galilée soit considérée comme le lieu où devra apparaître un jour le Messie. Un recueil de légendes populaires, le Livre de Zeroubavel, raconte que le Messie Menahem ben Amiel se révélera dans la vallée d'Arbel, au nord de Tibériade, que les Sages d'Israël et le prophète Elie s'y rendront auprès de lui, et qu'ils monteront tous ensemble à Jérusalem...


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V. - Le Nèguev
LE MAGISTER : Au sud (IL FRAPPE LA CARTE DE SA BAGUETTE) le triangle renversé du Nèguev, qui a quelque 100 kilomètres de base et dont le sommet, à Elath, baigne dans la Mer Rouge. Plus de la moitié de la superficie totale d'Israël, 12 000 kilo-mètres carrés de désert...
LE SIONISTE : De désert ! C'est un mot qui n'existe pas en hébreu.
LE MAGISTER : Comment, Monsieur, à chaque page de l'Ecri­ture sainte... Ignorez-vous que la vocation religieuse du peuple d'Israël a m2lri, dans les grands espaces désolés, de la confrontation de l'homme avec l'horizon illimité des sables, en un mot que le monothéisme est un fruit du désert ? Midbar, Bemidbar, Hamidbar, Kol koré bamidbar...
LE SIONISTE : Non, -maître sot, midbar, en clépit de tous les clichés de traduction, ne veut pas dire "désert. Issu d'un radical qui signifie "conduire, mener paître», midbar représente les éten­dues en friche oss les moutons vont brouter.
LE MAGISTER : Sans doute l'histoire nous a-t-elle conservé les noms de plusieurs oasis, ois les enfants d'Israël campèrent au temps de l'Exode. Mals l'ensemble...
LE SIONISTE : Ce qu'on sait avec certitude, c'est que jusqu'à l'époque byzantine, le Nèguev était semé de villes, dont les archéolo­gues repèrent les ruines depuis quelque temps, exactement depuis qu'on a cessé de considérer comme un axiome qu'une région comme celle-là ne pouvait étre peuplée.
LE MAGISTER : Sa stérilité, en effet...
LE SIONISTE : Stérile ? Laissez-moi rire ! Le sol du Nèguev est le plus fertile de tout le pays. Il est formé en grande partie de loess, de ce loess qui fait la prospérité de l'Alsace et qui permet aux; millions d'habitants de ia Chine du Nord d'exploiter le moindre pouce de terrain.
LE MAGISTER : S'il en est ainsi, comment expliquez-vous qu'aujourd'hui...
LE SIONISTE : Il ne manque qu'une chose, l'eau. Si les Naba­téens ont pu constituer toute une civilisation dans le Nèguev, c'est parce qu'ils savaient recueillir et conserver l'eau de pluie. Avant eux, Abraham et Isaac, d'étape en étape, découvraient et creusaient des puits. Dès que l'eau est présente, la terre devient généreuse...
LE MAGISTER : Alors vous croyez aux légendes de la Bible : (IL ANNONE) "Et il arrivera, si vous écoutez bien mes com‑

mandements que je vous commande aujourd'hui, d'aimer l'Eternel votre Dieu et de le servir de tout votre coeur et de toute votre vie, que je donnerai la pluie de votre pays en son temps — de la bruine d'automne à l'averse de printemps —, et tu recueilleras tes céréales, tes raisins de pressoir et tes oléagineux....
LE SIONISTE : Oui, et ce qui est dit ensuite : "Prenez garde que votre coeur ne se laisse pas séduire, que vous ne vous fourvoyiez pas, que vous ne serviez pas d'autres dieux en vous prosternant devant eux. Car le courroux de l'Eternel s'enflammera contre vous, il bouchera les cieux et il n'y aura plus de pluie, et le sol ne don­nera plus ses récoltes.... Tous ceux de la Diaspora qui récitent ce texte deux fois par jour ne se doutent pas combien il est vrai, corn-bien il est actuel.
LE MAGISTER : Certes, mais aujourd'hui l'homme n'est plus livré au bon plaisir des puissances célestes. Le gouvernement.. l'Agence juive... le Ministère de l'Equipement national... la Com­pagnie des Eaux Mekoroth... la conduite Y arkone-Nèguev... les procédés de dessalement de l'eau de mer... Bientôt, le désert ne manquera plus d'eau, et immanquablement il "refleurira.
LE SIONISTE : Peut-être. Mais c'est encore la volonté divine qui se sera réalisée — si elle se réalise -- par les hommes. Car, en-fin, si Dieu ne veut pas, oit sera la sagesse des savants ? N'avez-vous pas entendu parler du danger d'assèchement de la Galilée, des puits de Tel-Aviv qui se mettent à donner de l'eau saumâtre. Nous avons confiance que tous ces problèmes seront résolus, com­me beaucoup d'autres, mais on a le droit de penser que cela ne tient pas seulement à nous.
LE MAGISTER : Mais Beér-Chèva, n'est-ce pas David Toviya­hou qui en a fait de ses propres mains une ville de 50 000 habitants, au milieu du désert ?
LE SIONISTE : Mettons : au nord du Nèguev. Et saluons bien bas ce maire qui a longtemps pris sur ses épaules la respon­sabilité de sa cité, pour les plus grandes choses et pour les plus petites. Mais il n'a jamais été seul. Alors que l'ancien cara­vansérail venait d'être enlevé par l'Armée d'Israël — quand ce bourg arabe ne comptait que 3 000 habitants — le Dr Lehmann descendait avec sa famille de Jérusalem à Beér-Chèva pour y fon­der l'Hôpital Hadassah. Et ces milliers de juifs du Maroc et d'ail-leurs, qui peuplent les cubes blancs des nouveaux chikounim, qui est-ce qui les a envoyés ?
LE MAGISTER : Le Département de l'Abs...
LE SIONISTE : Qui est-ce qui leur a fait comprendre le bon-heur de vivre libres et de construire son foyer de ses mains ? LE MAGISTER : La Histade...
LE SIONISTE : Qui est-ce qui a manipulé ainsi les fils de l'histoire ? Nous, les marionnettes ?
LE MAGISTER : Avouez pourtant que l'essor industriel du Nèguev vous a surpris ?
LE SIONISTE : Ne parlons pas trop vite, et ne nous vantons

pas sans prudence de richesses encore enfouies en majeure partie dans un sous-sol mal connu. Mais cela aussi la Bible nous l'avait promis : "Un pays, dit-elle, dont les pierres sont du- fer, et de ses montagnes tu extrairas du cuivre.»
LE MAGISTER : Mais le pétrole de Hélets, le brome de Sodo­me, les phosphates d'Orone...
LE SIONISTE : Nos ancêtres n'auraient su qu'en faire, et c'est probablement pour cela qu'on ne leur a pas révélé l'existence de ces ressources.
LE MAGISTER : Grâce à l'institut national de Géologie...
LE SIONISTE : Je lui tire mon chapeau. Mais j'ai le droit de voir en filigrane un apologue, une légende comme vous dites. "Des quatre coins de la terre, viens, ô sable, s'écria l'Eternel quand il eut achevé de fabriquer la Terre sainte, des quatre coins de la terre, viens et recouvre le trésor de mon pays, le Nèguev. Et le sable en tournoyant vint s'abattre sur le sol gras des plaines du nord du Néguev, et entre les arêtes rocheuses veinées de métaux du sud du Nèguev. Et l'on ne put plus distinguer un chemin dans cette immensité, si bien qu'en passant même à cent pas d'une source ou d'une oasis{ on n'en aperçoit rien et l'on s'égare, comme Hagar jus-qu'à ce que Dieu lui eaît ouvert les yeux. "Maintenant, dit Dieu, s'ils agissent comme je le désire, j'enverrai l'eau, et l'eau balaiera peu à peu les sables, et le sol fertile reparaitra, les chemins mène­ront d'une mine à l'autre, et les enfants d'Israël peupleront cette région...
LE MAGISTER : Comme le sable de...
LE SIONISTE : Comme les étoiles du ciel, de En-Guèdi à Sa'ad, de Sa'ad à Chouval, de Chouval à Nevatim, de Nevatim à Sedeh-Vokère, de Sedeh-Vokère à Hatséva, de Hatséva à Beér-Menouha, de Beér-Menouha à Beér-Ora, miracles de la volonté humaine....
LE MAGISTER : Nous y voilà : la volonté humaine...
LE SIONISTE : Dieu aime et aide ceux qui savent vouloir. Il a béni l'audace des pionniers. Bien plus, il a béni l'audace des guer­riers, qui ont ouvert la Mer Rouge à nos vaisseaux. Un jour peut-être cette voie nouvelle qui s'est ouverte de l'Océan Indien à la Méditerranée sera-t-elle aussi fréquentée qu'il y a mille ans, alors que les soies de la Chine et les épices des Indes empruntaient le Nèguev pour gagner l'Europe.
LE MAGISTER : Mais ces marchandises sont à la merci des royaumes fragiles et barbares qui bordent la Mer Rouge...
LE SIONISTE : Tiens, tiens, à votre tour de croire aux fac­teurs du destin... Mais, si Israël mérite de grandir et de prospérer, aucun obstacle n'emcombrera sa route. Le Nèguev se couvrira de villlages et de cités.
LE MAGISTER : Et Beér-Chèva sera au centre du pays.
LE SIONISTE : Comme c'est déjà le cas. Mais alors la géogra­phie redeviendra la vérité...


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VI. - Jérusalem d'en bas... et d'en haut
Y a-t-il des cloches en Israël ?
Certes, il y en a à Nazareth, à Jaffa, partout où se sont main-tenues des communautés chrétiennes, faisant partie de la minorité arabe ou réunissant des diplomates et des experts étrangers. Mais les villes juives ne connaissent pas plus les carillons des cloches que les appels des muezzins. Le seul son qui accompagne les prières est celui de la corne de bélier.
Et pourtant à Jérusalem, l'on entend des cloches. Peut-être est-ce, en plein centre de la ville, celles de l'Eglise russe, qu'un bedeau barbu et chevelu martèle en. cadence les jours de fête, ou bien celles plus modeste de l'Eglise abyssine, dont le tintement, étouffé le jour par le vacarme des voitures, s'égrène la nuit dans l'air pur dqs Monts de Judée ?
Non, ce qu'on perçoit surtout aux heures calmes, c'est l'écho amorti des bourdons de la Vieille Ville, que le vent du désert ap­porte à la Ville nouvelle, et que le blocus est impuissant à arrêter.
Ainsi ce sont des cloches très chrétiennes qui se font pour nous les messagers du Mur des Lamentations. Tel ce pasteur qui offrit à Israël un fragment de pierre, ramassé clandestinement au-près du Mur, les carillons nocturnes des églises évoquent intensé­ment ce cul-de-sac perdu au fond d'un labyrinthe, et que ferme une muraille de gigantesques moëllons — cet endroit où, pendant deux mille ans n'ont pas chômé Ies supplications, et qui, depuis dix ans, prisonnier, se tait. Et tous ceux qui perçoivent le message des cloches souffrent d'être si près du dernier vestige du sanctuaire d'Israël, et à la fois si irrémédiablement loin de lui.
Et, s'il faut interpréter les symboles, dirons-nous qu'entre Israël et les Arabes, condamnés à vivre en voisins, mais privés oe tout contact, ce sont les pays chrétiens qui, sous l'égide des Nations Unies, exercent une sorte de médiation ? Et ajouterons-nous que le peuple juif, parvenu au terme de son Exil, croyant avoir atteint le but, est encore séparé par une barrière infranchissable de l'ac­complissement réel de sa destinée ancestrale ?
Toujours est-il que les juifs, disposés à oublier leurs masures et leurs synagogues de la vieille Jérusalem, que les Jordaniens ont rasées, ne peuvent remplacer par aucune construction nouvelle ce mur vétuste et effrité, aux anfractuosités garnies de touffes d'herbe sauvage, qui était, en même temps que le signe de leur humiliation, la promesse d'un avenir radieux. Et compte, chassés de l'enceinte de Soliman le Magnifique, ils ont gardé en leurs mains, au flanc de la montagne oà se juche la Vieille Ville, le seul quai.‑

tier laissé en dehors de la muraille, le Mont Sion, ils ont transformé celui-ci en un reliquaire et en un observatoire, où l'on contemple, du haut d'un escalier vermoulu, de la terrasse d'une bicoque saturée de légendes, un moutonnement de toits, de coupoles, de minarets, de flèches et de buildings — éden insalubre dont l'accès nous est interdit, et oit l'on doit deviner, à l'ombre des cyprès, l'emplacement du Mur des Lamentations...
Assez, assez de nostalgies ! Assez, assez de regrets ! La Jéru­salem nouvelle tourne le dos au passé ; elle s'étend en toute liberté vers l'Ouest et vers le Sud, et, fuyant les taudis qui longent la frontière, inaugure quartier neuf sur quartier neuf.
Le nom de Katamone s'est multiplié en innombrables Katamonim, formant une cité en constante progression et absorbant sans cesse des milliers et des milliers d'antes. Et, si la sobriété fruste de ces blocs de maisons vous fait craindre que la capitale devienne une fourmilière, si ces hangars de planches ou de tôle ondulée, ces bal-cons murés d'un béton grossier, ces constructions adventices qui déparent les toits plats vous rappellent tristement les bidonvilles, allez plus à l'occident voir les quartiers résidentiels de Beth-Hakè­rem ou de Bayith-Waganc ; les bâtiments luxueux de l'Université et de la Faculté de Médecine ; l'ordonnance majestueuse et harmo­nieuse de la future Cité administrative, qui se dresse peu à peu en même temps que les arbres du parc qui l'entourera et vous comprendrez que la note sera donnée, en fin de compte, par les forces de demain qui vaincront l'inertie des forces d'hier.
Et pourtant qui est-ce qui impose le plus puissamment sa mar­que à la Jérusalem d'aujourd'hui ? Qui la fait différente de toutes les autres villes, sauf peut-être de Beué-Berak et de Safed ?
Méa-Che'arim.
Non pas la suite de sordides cours pavées grouillant d'êtres humains, qui bordent le no man's land clans l'angle nord-est, et dont les touristes américains photographient avidement le pittoresque dénuement. Mais l'esprit de Méa-Che'arim, qui peuple de caftans et de bonnets de fourrure, de châles noirs et de bas de coton tant de quartiers nouveaux, où fleurit école talmudique sur école tal­mudique.
Ces soldats de la dévotion ne sont pas si nombreux, dit-on, mais, prêts à toutes les batailles et à tous les sacrifices, ils ne laissent rien passer dans leur ville qui leur déplaise sans mani­fester leur réprobation. Et, certains que la victoire finale leur est assurée par la volonté du Très-Haut, ils n'hésitent pas à ameuter leurs cohortes barbues pour monter à l'assaut des abominations de la vie moderne.
Ne nous laissons toutefois pas trop impressionner par ces com­bats d'arrière-garde. Et surtout ne confondons pas papillotes et calotte, manches longues et cheveux couverts avec les thèses poli-tiques des Natoré-Karta. Les livreurs de lait et de pétrole, les facteurs et les boutiquiers, les employés de la 'mairie et des minis­tères qui arborent les barbes les plus touffues et les couvre-chef les plus imposants sont presque tous des citoyens conscients de

l'État d'Israël, des patriotes que leur foi en l'héritage de Moise attache encore plus fort que les autres à l'oeuvre de renaissance nationale. Loin de rencontrer chez eux l'entêtement forcené des sectateurs d'Amram Blau, on y découvre des trésors d'indulgence et de tendresse, d'amour pour leur peuple et pour leur ville, avec quelque bonhomie nonchalante et le désir passionné de voir Jéru­salem redevenir le piédestal du trône divin.
Aux congrès qui se multiplient dans la capitale — d'histoire, de Bible, d'archéologie, de Talmud — assistent, mêlés aux professeurs et aux étudiants, de petites gens de Jérusalem, chez qui la sagesse de vie et le goût des choses de l'esprit suppléent à la culture pro-fane. N'est-ce pas à cette assise de croyants que l'on doit l'atmo­sphère particulière de la Ville sainte, où personne ne semble courir après un argent maussadement gagné ou des distractions englou­ties avec une frénésie malsaine, comme à Haifa et surtout à Tel-Aviv ?
Car si Jérusalem n'est pas un camp retranché de juifs prati­quant rigoureusement les lois, si le repos sabbatique y est trans­gressé ici ou là sans vergogne, la fidélité à la tradition demeure la norme. Et cette dominante, presque insensible en semaine, déjà plus nette le sabbat, s'accentue les jours de fête et triomphe aux solennités Yle pénitence.
Il y a des heures où dans toute la ville n'existe plus rien que la prière qui monte de chaque pâté de maisons, d'autres où tous ses habitants sont assis autour de leur table pour un repas de fête ; des après-midi ou toute la cité se repose, et puis, quand vient le soir, éclate le brouhaha du triangle central des rues de Jaffa, du roi George et Ben-Y'ehouda, qui concentre toute l'agitation vespérale de Jérusalem.
Car Jérusalem est une ville qui se couche tôt. Passé onze heures, après la sortie des cinémas, tout devient désert, et les derniers autobus ébranlent à larges intervalles des artères mortes. Pourtant, dans le secret des maisons, les hommes de science veiller: sur leurs grimoires, les élèves des yechivoth, qui se sont humectés les yeux pour ne pas s'endormir, discutent longuement sur un pas-sage obscur, les réformateurs politiques ou religieux élaborent en d'interminables conciliabules des programmes et des manifestes.
Le 'calme et la fraîcheur de la 'nuit sont propices à la médita­tion, et les vieilles pierres qu'argente la lune, imprégnées d'une nouvelle couche de pensée juive, songent qu'un jour viendra ou "un soleil de piété aux rayons bénéfiques fera mûrir ces germes généreux et attirera sur la Montagne de l'Eternel tous les hommes de bonne volonté.


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