Géographie cordiale d'Israël
Moché CATANE
Extrait de Géographie cordiale d'Israël, plaquette publiée en 1963, Ed. KKL-Strasbourg

3. - Les portes d'Israël

Jérusalem, dit le Midrache, est le centre du monde. Tous les chemins convergent vers la Cité de Dieu. Les géographes du moyen âge représentaient la terre comme un agglomérat de continents s'ordonnant autour d'un point: la Ville sainte. Même lorsque la découverte de l'Amérique vint démentir ces thèses, Jérusalem demeura aux yeux de tous un lieu idéal de rencontre entre les civilisations, et surtout entre celles qui se prétendaient les héritières d'Israël amoindri, le christianisme et l'islam. Pèlerinage par excellence, la Cité de David voyait monter vers elle, à une époque où, les voyages étaient pénibles, des gens animés d'une foi ardente.

Le port de Jaffa sur une carte postale ancienne.

Par où, ces pèlerins venaient-ils ? Beaucoup entraient en Terre sainte et en sortaient par le port de Jaffa, comme avait déjà fait, en son temps, le prophète Jonas. Un voyageur anonyme raconte en 1480 comment il quitta la Palestine :

"Samedi douzième d'août, environ minuit, nous partîmes dudit port de Jaffe auquel lieu notre gallée avoit été ancrée vingt et deux jours. Et avoit avec nous trois juifs que le patron avoit pris en Jérusalem pour mener en Candie, et avoit cle chacun huit ducats pour les mener jusques audit Candie, qui est loin de Jérusalem environ 900 milles, en retournant à Venise. Desquels juifs il fut grand noise entre les pèlerins et le patron, et disaient les pèlerins qu'il n'était pas convenable que les juifs et ennemis des chrétiens fussent ensemble, et conseillaient aucuns desdits pèlerins qu'on jetât lesdits juifs à la mer. Et adonc dit le patron à ceux qui en parlaient que si ils ne se apaisaient, que il les ferait jeter eux-mêmes à la mer."
D'autres, comme Maïmonide, mouillaient plutôt au port d'Acre, ou bien dans un autre port du nord de la Terre sainte, à Sidon, ou même, comme on disait alors, à Caïf fa. Ainsi, au mois de mars 1652, un voyageur français nommé Doubdan note les péripéties de sa croisière le long des côtes de Galilée :
"Le vent contraire nous obligea de demeurer à Saint-Jean d'Acre le lundi, mardi et mercredi, que nous en partîmes sur les huit heures du soir, à la faveur d'un petit vent de terre, assez frais et gaillard, qui nous fit passer en une heure, au clair de la lune, devant Caüffa, qui est une petite ville presque toute ruinée, aux pieds du Mont Carmel, du côté du nord, vis-à-vis de Saint-Jean d'Acre. Ce n'est plus qu'un village habité de Maures, juifs et de quelques pauvres chrétiens grecs et maronites, qui vont entendre la messe et faire leurs dévotions en l'ermitage du Mont Carmel. Elle était autrefois plus signalée pour sa force et son commerce que pour sa grandeur. Elle a eu le nom qu'elle porte à présent de Caïffe, grand-prêtre des juifs, lequel, la faisant rétablir, lui donna son nom.
Le mois suivant, Doubdan remonte vers Sidon :
"Le vendredi, au point du jour, nous fîmes prier nos Maures par un pauvre juif qui étoit avec nous dans la barque, et qui parloit un peu le franc, d'avancer chemin, afin d'arriver de bonne heure à Seyde. Mais, au contraire de marcher, ils jettent aussitôt leurs filets pour prendre leur dîner, puis se mirent à terre pour le faire cuire, le manger, et dormir plus de deux heures, pendant que nous étions rôtis entre deux braises, la roche dessous nous toute ardente, et le soleil bridant au-dessus, capable de faire cuire la cervelle au court-bouillon.
"Nous étant remis en mer, je leur fis promettre par notre juif de leur donner une tierce par-dessus les deux piastres dont nous étions convenus, à la charge de nous faire entrer ce même jour dans le camp de Seyde, duquel nous étions encore éloignés de quatre ou cinq lieues. A ce mot de tierce, ils empoignent les rames, et travaillent de toutes leurs forces avec tant de courage qu'ils avancèrent en une heure plus de quatre ou cinq milles."
Mais on employait aussi parfois le chemin de terre. En 1546, Pierre Belon, du Mans, venant d'Egypte, se joignait à une caravane qui longeait la Méditerranée, pour gagner Jérusalem. Ce Français curieux pénétrait dans la presqu'île du Sinaï jusqu'au Tor, "qui n'est pas bonnement un port, mais plutôt une plage". Après quelque huit jours de marche, la caravane quitta la côte pour monter vers la Ville sainte. Mais ce voyage fut allongé d'une journée sur la demande de quelques-uns des compagnons du Sieur Belon. Ecoutons-le :
"Nous étions partis longtemps avant jour, laissant le rivage de la Mer Méditerranée. Et, à jour ouvert, la caravane et le sanjac se reposèrent, pour obéir à quelques maranes juifs qui étoient à la troupe et lui avoient donné quelque présent pour les attendre. Les-dits ayant fait plus finement, prirent avantage le vendredi au soir et gagnèrent quelque peu le devant pour se reposer : car ils ont de coutume de ne travailler le jour du samedi. Le lendemain, qui étoit le samedi, étant bien accompagnés, gagnâmes le devant et vînmes loger en un carbachara muré, près d'un grand village qui est en forme de château.
Le frère Eugène Roger, moine récollet, missionnaire de Barbarie, décrit, en 1664, l'afflux des pèlerins :
"Ce ne sont pas seulement les catholiques qui révèrent et visitent par dévotion la Terre sainte, mais même les schismatiques, hérétiques, juifs et mahométans. De fait, j'ai vu arriver de l'Occident plusieurs Hollandois calvinistes, des Puritains anglois et des luthériens et anabaptistes d'Allemagne : mais non en si grand nombre qu'il s'y voit des schismatiques et hérétiques orientaux. Car il y en arrive tous les ans plus de 2 000, tant Grecs, Arméniens, Nestoriens, que Cophites et Abyssins, et il ne se passe aucun jour qu'il n'y arrive des Mahométans des Indes, de l'Arabie heureuse, d'Egypte, de Barbarie, de la Grèce et d'autres diverses provinces... Les pèlerins chrétiens, tant catholiques que schismatiques, hérétiques ou juifs, paient de grands tributs, autant les uns que les autres ; et il ne leur est pas permis d'entrer la première fois à Jérusalem que par la porte qui conduit à Damas, où il y a exprès un corps de garde de janissaires.
En effet, de nombreux pèlerins arrivaient aussi de Syrie par la Vallée du Jourdain. Le frère Roger nous dit à ce sujet :
"A une lieue et demie de Jéricho, tirant un peu vers l'Occident, à trois lieues de Jérusalem, il y a une autre ville dont le nom est mis en oubli, n'étant plus qu'un village nommé Bira, et par les Arabes El-Bir, c'est-à-dire puits. Il est ainsi nommé à cause d'un grand puits qui y est, lequel sert pour abreuver la plus grande partie du bétail des lieux circonvoisins. Les juifs, aussi bien que les chrétiens, qui vont de Jérusalem en Syrie, s'arrêtent et gîtent en ce lieu.
La situation n'avait guère changé au milieu du 19ème siècle, s'il faut en croire le Voyage en Syrie et dans l'Asie Mineure de Clément Pellé et Léon Galibert. Ceux-ci racontent comment ils furent reçust à Jaffa par un vieux courtier juif, dont ils rapportent les paroles comme suit :
"Les Turcs s'indignent de nos richesses, mais que font-ils, les misérables ? Fumer, dormir et réciter leurs chapelets, tandis que nous courons la ville, que nous écrivons notre correspondance, que nous visitons nos magasins, que nous faisons radouber nos vaisseaux... Tenez, Messieurs, lorsque Bonabardi vint faire le siège de Saint-Jean d'Acre, et qu'il s'arrêta à Jaffa, chez Signor Dimiani, je fus désigné pour être son drogman, et je me rendis aussitôt auprès du général. Il parlait le levantin aussi bien que moi, et il nous fut facile de nous entendre. "Eh bien, signor Azrael, me dit-il, que pensez-vous du pays ?"
- Magnifique, Altesse, mais mal gouverné.
-Est-ce que ces Turcs, décidément, ne s'occupent pas de leur besogne ?
- Niente, Sua Altezza, lui répondis-je.
- Et alors, comment vous y prendriez-vous pour faire prospérer la Syrie ?
- Je ne ferais qu'une seule chose. J'en confierais l'administration aux juifs. Nous ferions faire des routes, les caravanes seraient protégées. Nous nous mettrions en correspondance avec les juifs de Livourne, d'Italie, d'Angleterre et de Hollande : nous attirerions ici le commerce de tous les pays en déclarant port franc les quatre principaux ports de la Syrie.
Ah ! Ah ! si vous aviez vu dans ce moment Bonabardi, comme ses yeux jetaient alors de brillantes étincelles."
La baie de Haïfa sur une carte postale ancienne.
L'authenticité de ces propos est loin d'être garantie. Il n'en est pas moins vrai que ces auteurs, écrivant en 1841, semblent avoir eu quelque don de prophétie. Car aujourd'hui, malgré la fermeture totale des routes de terre, que n'empruntent plus que quelques diplomates ou observateurs de l'ONU, venant du Liban à Roch-Hanikra., de Jordanie à la Porte Mandelbaum de Jérusalem, ou d'Egypte au kilomètre 95 dans le Néguev, l'entrée en Israël et la sortie du pays sont devenues aisées, et chaque année près de cent milliers de voyageurs abordent la côte israélienne, cependant qu'un nombre un peu plus réduit, puisqu'il faut déduire les immigrants, se rembarquent.

Chose curieuse, tous les anciens ports de la côte méditerranéenne sont en sommeil, et leur place a été prise par la seule Haïfa, création du gouvernement mandataire. Ce port est le seul à recevoir des voyageurs, et il est de loin le plus important pour le frêt. Le port de Tel-Aviv, que les juifs avaient construit pour répondre à une grève des dockers arabes, en 1936, et celui de Jaffa, qui se survivait, n'ont plus aujourd'hui qu'une activité restreinte. Autour du port de Haïfa, terminus d'un pipe-line désaffecté et de ses installations, les juifs ont construit une ville haute sur les pentes du Carmel, où s'étagent des villas élégantes et confortables.

Mais d'autres portes se sont ouvertes, ignorées des anciens voyageurs. Israël, qui possède sur la Mer Rouge un rivage de dix kilomètres séparé de la masse du pays par un désert plus grand que lui, y a placé un port, Elath, à l'endroit où Salomon tenait sa flotte de l'Océan Indien. Depuis la campagne du Sinaï, le passage vers la Mer Rouge est libre, et, si les voyageurs qui arrivent en Israël par le sud sont encore rares, les marchandises commencent à y affluer, à mesure que de nouvelles relations commerciales se nouent entre Israël et les pays de l'Extrême-Orient et de l'Afrique orientale.

Une autre porte s'est ouverte, dans le ciel. L'aéroport de Lod, l'ancienne Lydda, est fréquenté par les appareils d'une dizaine de compagnies aériennes, qui y amènent et y reprennent chaque année près de cinquante mille voyageurs, et pas loin d'un million de kilogrammes de marchandises, poste comprise.

A l'époque héroïque des pèlerinages, les voyageurs devaient s'accommoder sans rechigner des possibilités qu'on leur offrait pour se nourrir et se loger. Le Sieur Nicolas Bénard, Parisien qui visita la Terre sainte en 1617, relate comme suit l'accueil qu'il reçut à Caïffa :

"Sitôt que nous fûmes à terre, il survint un certain juif truchement, envoyé de la part de l'émir, qui est le capitaine du lieu, pour savoir qui nous étions. Comme c'était bien notre intention, il nous mena en son logis, qui est une vieille ruine d'église, où il se retire, assez mal accommodé. Il nous traita à souper de poisson rôti et de pain fait comme des galettes, et de l'eau pour nous rafraîchir la mémoire. Et couchâmes dans le fondigne de ladite vieille église, à belle terre, enveloppé chacun de notre caban. Et pour un si bon traitement, lui fut payé le lendemain, pour toute la compagnie, un sequin d'or, qui étoit bon marché."
Pellé et Galibert, que nous avons déjà cités, rapportent ainsi la chère qui leur fut faite par le signor Azrael :
"C'était un souper détestable qui nous attendait : un pilau de riz tout gluant, préparé au safran et à l'ail ; une éclanche de chèvre maigre rôtie ; une salade de piment, d'oignons et d'olives ; le tout accompagné d'un pain noir, fade et indigeste. Une petite négresse, borgne et rabougrie, nous servait à table, chassait les mouches et les milliers d'autres insectes qui nous faisaient une guerre acharnée, puis de ses doigts crochus, elle attisait la mèche de la lampe, dont la flamme était environnée d'une épaisse auréole de fumée. L'eau était saumâtre et tiède. Heureusement, au dessert, signor Azrael fit apporter un panier de dattes fraîches, dont l'arome et la chair étaient exquis. Une fine bouteille de marasquin et quelques biscuits de Damas contribuèrent à nous faire oublier les prémisses alarmantes de ce repas."
Ces voyageurs français eurent, paraît-il, à se plaindre aussi de leur logement :
"Nos lits se trouvaient dressés non clans une pièce ordinaire, mais sous l'appentis d'un toit échauffé pendant le jour par les rayons du soleil. Nous préférâmes rester à la belle étoile. Nous devions nous mettre en route de très bonne heure pour Jérusalem, nous n'eûmes donc que fort peu de temps à maugréer contre notre hôte et son incivilité. Dès que le jour commença à poindre, il fut le premier levé et venant au-devant de nous : "Eh bien, Messieurs, comment avez-vous trouvé le ciel de la Syrie, nos astres si brillants, et ce calme profond qui règne partout ? Vous n'avez pas cela en Europe.
- Mais, en revanche, lui dîmes-nous, il y a un peu plus de courtoisie, un peu plus de sympathie pour les étrangers."
Aujourd'hui, l'Etat d'Israël entend devenir un pays de tourisme et attirer en grand nombre juifs et non-juifs par les possibilités qui leur sont offertes. Les hôtels de luxe possèdent, à l'intention des touristes fortunés, des milliers de chambres, et, surtout à Herzliya, sur le rivage de la Méditerranée, les palaces se multiplient. En même temps, pour les voyageurs ayant peu de moyens, des arrangements sont faits, et chacun, en excursionnant dans le pays, peut trouver un gîte dans une auberge de jeunesse. Cet équipement n'est pas encore tout à fait au point, ce qui s'explique d'autant mieux que le courant des touristes est encore assez irrégulier. Mais, peu à peu, les problèmes les plus ardus se résolvent, et tous ceux qui empruntent les portes d'Israël pour pénétrer dans le pays peuvent être sûrs d'être accueillis amicalement.


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