Orientations sionistes dans la pensée d'Alexandre Weill
par Joë FRIEDEMANN
Extrait du Colloque INALCO, sur Aspects du SionismeParis, octobre 1976


A une époque où l'idée sioniste se trouvait encore en gestation, l'éventualité d'un retour du peuple juif sur sa Terre pouvait-elle échapper à un esprit aussi éclectique que celui d'Alexandre Weill ? Disons tout de suite que l'écrivain n'a laissé aucun ouvrage traitant du problème dans son ensemble. Au lieu de cela, mis à part un article critique sur Rome et Jérusalem de Moïse Hess, on découvre parfois, disséminés dans ses innombrables écrits, des paragraphes et des réflexions pouvant être interprétés dans le sens d'un "protosionisme" weillien plus ou moins conscient auquel, semble-t-il, il ne manquait qu'un catalyseur pour se révéler de manière plus explicite.

Pourvu à la fois d'une pensée fortement judéo-centrée ainsi que d'un patriotisme aux profondes racines, conscient de la dette immense que le judaïsme émancipé devait à la Révolution de 1789, l'écrivain ne pouvait qu'éprouver un sentiment de malaise à l'idée d'être un jour infidèle à son pays d'origine. Alsacien et Juif, il se sent attaché à la France "pays de la liberté de conscience, l'émancipatrice et la patrie de tous les juifs de l'univers" par "un lien indissoluble" (1).

Mais aussi, et c'est là que va naître l'équivoque, un courant se fait jour dans l'esprit de l'écrivain : une aspiration à un universalisme qui refuse de voir la mission d'Israël enfermée dans les frontières étroites d'un pays déterminé . A propos du problème des nationalités, l'auteur fait profession d'idées ambivalentes qui ne contribueront certes pas à clarifier les choses. Suite au traumatisme de la défaite de 1870 et à l'impact laissé par le "chauvinisme" prussien, il affirmera, d'une part, que "tout ce qui est national est borné" ; et d'autre part, il se réclamera d' une "noblesse de sang" remontant à Abraham et dont le berceau se situe en Judée, "territoire privilégié" (2) .

1. De la France de "l'élection" à la "patrie primitive"

Moïse portant les Tables de la Loi (José Ribera, 1638)
Première allusion "sioniste" dans l'œuvre de Weill : la remarque de sa mère en réponse aux questions d'un fils soucieux de connaître l'origine des émeutes antisémites qui avaient troublé la paix de son Alsace natale, aux environs de 1820 : "Nous sommes dans le Golès", "nous sommes en exil", avait-elle dit au petit Alexandre, indigné par l'injustice de ces persécutions. La remarque qui se présente dans son évidente simplicité comme la réflexion essentielle, rejoint l'observation de Herzl, témoin beaucoup plus tard de la dégradation de Dreyfus et attribuant à l'exil la responsabilité première de tous les maux dont souffrait Israël.

Ce "Golès" lui paraît révoltant et bien long, malgré toutes les bonnes et moins bonnes raisons recélées dans les Ecritures (3). Question angoissante à laquelle aucun de ses maîtres ne sera capable, et pour cause, de donner une réponse satisfaisante. A telle enseigne que, parti en quête de sa propre vérité, il ne reste plus à Weill qu'à se forger une conception originale de la tradition et de l'histoire juives. Les avatars en ce domaine, on le sait, seront nombreux.

Ainsi, dès 1848, Moïse est présenté comme le fondateur d'une nation et le pionnier de "la république théocratique". Cette admiration de l'écrivain pour un glorieux passé ne tarde pas néanmoins à subir de sérieuses anicroches, lorsqu'un peu plus tard, il se rapproche du légitimisme chrétien. Reportant sur la France et le peuple français l'élection de Dieu, traditionnellement concédée à Israël, Weill aura à ce propos des remarques à caractère assimilationniste évidente :

Peuple français, c'est toi qui as remplacé pour l'histoire moderne l'ancien peuple élu, c'est toi que Dieu a choisi pour accomplir ses desseins (4)

Puis, plus loin, dans la même article de La Gazette de France, une formule qui ne manque pas d'humour : "France où coule le lait et le miel"… Préconisant "l'ordre chrétien", seul capable de fournir "un gouvernement civilisé", l'écrivain fera de la France "le chef d'œuvre de Dieu" (5). On ne peut être plus clair. Vers 1850, Weill semble avoir choisi la voie de l'abandon des valeurs juives.
Et ce, jusqu'à l'arrivée au pouvoir de Napoléon III, époque où notre auteur affronte une crise idéologique si dramatique qu'il s'emploie dès lors à réviser ses opinions dans le sens d'un retour à une tradition empreinte d'humanisme biblique.

A partir de ce moment, on constate chez Alexandre Weill, une prise de conscience timide du sentiment national juif. Le peuple français, qui plie sous le joug impérial, n'est-ce pas un peu aussi Israël gémissant sous la domination égyptienne dans l'attente d'un Moïse qui viendrait le délivrer de la tyrannie ? Un rédempteur à l'image de ce dirigeant ayant réussi à briser les chaînes de l'esclavage et à ramener son peuple dans "sa patrie primitive" … La sortie d'Egypte et la rentrée en Canaan constituent les moments du "plus grand idéal de l'histoire universelle". C'est aussi l'instant privilégié de l'éclosion du sentiment patriotique dans le monde :

Le patriotisme est une invention des juifs, et de là, les droits de Moïse sur la Palestine (6).

Réduisant la portée de l'argument du premier occupant, la remarque tend à justifier le droit à la Terre d'Israël et l'aspiration du peuple juif à venir s'y établir pour des raisons idéologiques. Mais si l'auteur légitime la guerre de conquête menée jadis pour rentrer en Canaan, -- et ceci à l'encontre de la loi de Moïse qui, dit-il , n'admettait que la guerre défensive --, il sait aussi qu'Israël ne pourra rentrer en possession de son pays que par le rachat du sol à ses détenteurs actuels.

2 . Alexandre Weill et Moïse Hess

Moïse Hess 1812-1875


Vers le début des années quarante, au domicile parisien de Henri Heine, Weill rencontre Moïse Hess, alors rédacteur avec Marx à la Rheinische Zeitung (7) . Les deux hommes allaient se lier d'amitié. Une éducation et une évolution presque identique, l'amour de la justice et de la Bible, une même attirance pour la philosophie de Spinoza et peut-être aussi, un fond commun de naïveté les rapprochaient. Il n'est certes pas exclu qu'entre eux il y ait eu échange d'idées et d'influences.

Toujours est-il que notre auteur , profondément impressionné par la lecture de Rome et Jérusalem (8) ( publié par Hess en 1862 ) devait donner dès sa parution un compte rendu plein d'éloges dans Les Archives Israélites : "Livre remarquable sous tous les rapports, pensée, style, originalité, tout y est" écrit-il (9) . Ce jugement, il faut le dire ne sera pas partagé par tout le monde.

Donnant raison à Hess qui condamne les Juifs allemands émancipés, souvent honteux de leurs origines, l'écrivain examine en premier lieu le concept de nationalité juive, "nationalité flagrante, indéniable qui s'est maintenue à travers des siècles d'oppression et de martyre et qui doit être restaurée". Les partisans de l'assimilation, qui pensent pouvoir se fondre dans "la liberté universelle" sont dans l'erreur. A la nation juive, en effet, est échue une mission spirituelle dont Alexandre Weill donne la définition suivante :

La nationalité juive n'est ni dans le type physique, ni dans la forme politique de leur ancien état, ni dans le lien de douleur qui les lie les uns aux autres ; elle gît dans la pensée humanitaire, dans la raison philosophique, dans le but de rechercher la vérité, but que Moïse a tracé à ce peuple en lui disant : "Tu me seras un peuple de prêtres, et par toi, je bénirai tous les peuples de la terre".

Inventeur de la conscience humaine et de "l'éternelle morale", promoteur de "la fameuse devise de 1789", Israël a apporté au monde un message d'universalité, de liberté, d'amour, de justice, et ce, bien avant le christianisme. Quand les nations auront saisi la véritable portée de ce message, elles ne pourront qu'y adhérer pleinement, jusqu'à ses ultimes conséquences, aussi surprenantes soient-elles :

Loin de nier la véritable nationalité juive, (les nations) pousseront, comme dit le prophète, les Israélites par le pan de leurs habits pour les engager à reconstruire la nouvelle Jérusalem, en leur disant : "emmenez-nous, car nous sommes avec vous."

C'est ici pourtant que les dialectiques hessiennes et weilliennes vont diverger. Alors que Moïse Hess est persuadé que le message d'Israël ne sera effectivement dévoilé parmi les nations que lorsque les Juifs seront revenus sur leur Terre, Alexandre Weill, de son côté, prétend que les Juifs doivent d'abord prendre conscience de la teneur de ce message et de l'importance de la mission à accomplir, pour que la résurrection d'Israël puisse se réaliser. Cette conception rejoint l'interprétation littérale de la promesse biblique, mais dans son principe seulement. Rien, en effet, ne correspond moins aux canons de l'orthodoxie juive que le système quelque peu caraïsant d'Alexandre Weill. Selon lui, il est impossible pour les juifs de songer à une quelconque restauration nationale "avant de s'être dépouillés de toutes les scories du Talmud et de l'ancienne loi locale". Position nette, mais à laquelle, au début des années soixante, Moïse Hess ne pouvait certainement pas souscrire. Ce dernier parle en effet, dans son ouvrage, de la religion juive avec la plus grande admiration, chose qu'il s'était bien gardé de faire auparavant .

Il est d'ailleurs improbable, ajoute Weill, que l'Europe puisse un jour "rendre justice" aux Juifs, avant que ceux-ci n'aient démontré "leur nationalité virtuelle par des œuvres immatérielles et vraiment nationales". Noblesse oblige ... La résurrection du peuple doit d'abord être spirituelle, condition nécessaire qui, de surcroît, permettra au judaïsme de prouver sa supériorité sur toutes les autres croyances. Cette supériorité se manifestera par ailleurs de façon si évidente, que l'écrivain va jusqu'à prédire, et la formulation n'a sans doute pas dû plaire à tout le monde : "Quand Rome tombera, Jérusalem se relèvera."

La douzième lettre de Rome et Jérusalem examine le rôle essentiel, selon Moïse Hess, que ne manquerait de jouer la France dans cette entreprise de résurrection nationale. L'idée est certes séduisante pour un patriote comme Weill. Mais échaudé par les nombreuses crises que son pays vient de traverser, il se permet de mettre l'affirmation de l'auteur en question ... Hess , souligne-t-il, a sans doute raison de ne pas douter du "génie français" pour ce qui est du passé. Mais pour l'avenir, rien n'est plus sujet à caution. Loin d'avoir progressé, ce génie "a fait de grands progrès en arrière". Et d'ajouter :

"Si jamais la France matérialiste, antiphilosophique songe à une restauration de la nationalité juive, je crains bien que cela n'ait pas précisément lieu dans le but d'inaugurer le règne de Dieu, au nom de la vérité et pour la glorification de la justice divine."

Malgré certaines divergences politiques et religieuses, les idées révolutionnaire et l'anticonformisme de Hess ne pouvaient que plaire à Alexandre Weill. Notre auteur allait d'ailleurs conclure son compte rendu de Rome et Jérusalem en en recommandant la traduction en français.

3. Alexandre Weill, un précurseur ?

  1. S'il y a eu exil, pour Weill, c'est que l'histoire d'Israël obéit aux lois d'un strict déterminisme biblique. Les catastrophes naturelles dont parlent les Ecritures, les maux dont souffre l'Homme sont en effet, la conséquence directe de ses péchés. Ainsi la Palestine s'est transformée en désert quand ses habitants se sont détournés de la voie que leur avait indiqué le Seigneur. Postulat qui n'est rien moins que traditionnel, et sur lequel Alexandre Weill va greffer certaines conclusions portant la marque de son originalité.

    Certaines régions, de fertiles sont devenues arides. Il faut en déduire que l'exception n'est pas l'oasis, mais le désert qui apparaît de ce fait, comme l'antithèse au projet divin originel (10) . De là, la possibilité de "refertiliser" ces contrées que le Mal a contribué à rendre sauvages … Par conséquent, tranche Weill, pour rendre "son ancienne splendeur" à la Palestine, il ne faudrait pas plus "d'un siècle de paix et de travail" auquel devraient s'ajouter un progrès moral, l'abolition de despotisme,et l'établissement d'une justice égale pour tous :
    "La République de Moïse ne se relèvera que par le même principe qui l'avait créé." (11) .


    Loin cependant de s'en tenir à des considérations purement idéologiques ou théologiques, assez proches, il est vrai d'une certaine tradition orthodoxe, l'analyse weillienne amorce également la discussion à un niveau qui, sans être vraiment concret, n'en est pourtant pas éloigné. Très tôt, en effet, Weill se rendra compte que la survie de l'identité juive devait passer par la connaissance de l'hébreu et des sources du judaïsme :
    Un juif qui ne sait pas l'hébreu me l'effet d'un Peter Schlemihl qui a perdu son ombre (12) .
    La remarque est piquante, elle date de 1864. Notre auteur est d'autant plus habilité à déplorer les ravages provoqués par l'ignorance qu'il avait lui-même frôlé l'assimilation. Dévorés d'esprit matérialiste, nombre de ses coreligionnaires ne se soucient plus que des "vanités terrestres" et perdent progressivement tout sentiment d'appartenance à la "race juive". A telle enseigne, conclut l'auteur, que si cette dernière "ne se retrempe pas dans sa source nationale, elle disparaître comme race avant un siècle."

    Sans répit, l'écrivain revient sur ce thème des études hébraïques représentant pour les Juifs une nécessité vitale. Dans un article daté de 1879, il préconise la création d'une "école modèle" où l'hébreu serait la première langue enseignée (13). Un peu plus tard, précisant sa pensée, il demande de débuter cet enseignement dès l'âge de quatre ans et ce, dans "une école hébraïque gratuite et obligatoire" (14). Notons à ce propos que l'écrivain avait des prétentions de linguiste. Influencé par les recherches de grammaire historique et de philologie à son époque en plein essor, il réétudie en la développant à sa manière, l'ancienne théorie de la monogenèse du langage à partir de l'hébreu.
  2. Le quartier de Mishkenoth Shaananim fondé par Sir Moses Montefiore
    à Jérusalem vers 1860

  3. Aux environs de 1871, époque de l'essor en Palestine de l'Alliance Israélite Universelle sous l'impulsion de son ami Charles Netter qui venait de fonder Mikvéh Israel, Weill envisage la question du Retour de manière plus tangible encore. Il ne s'agit pas seulement de s'en tenir aux déclarations de principe.
    Premier problème à résoudre : celui de la domination turque en Terre Sainte… Jaffa ne pourrait-elle pas constituer "un point d'appui" pour l'acquisition, sinon de la totalité du pays, du moins de "la vallée du Jourdain" ? Pour cela il faudrait s'adresser à
    "un homme comme Montefiore (…) qui, moyennant des actions émises qui seraient prises d'emblée, trouverait la somme nécessaire pour acheter la Palestine à la Turquie avec la garantie des Puissances (15)."


    Il n'est pas interdit de rêver !… Une fois ces questions politiques et financières réglées, si on peut dire, il s'agirait de repeupler la région. S'inspirant d'un premier retour effectué par Ezra et Néhémie à l'époque du Second Temple, Weill propose de confier cette tâche à "100000 juifs, jeunes et forts", poussés par un idéal puissant, d'origine modeste -- les riches étant beaucoup trop matérialistes pour participer à une telle entreprise – et bien dirigés par "un chef ou deux"… Leur mission serait de reconstruire le Temple "sinon à Jérusalem même, du moins au cœur de la Palestine" et en outre, de cultiver la terre en la défendant si besoin est, les armes à la main …. Vision empreinte d'une bonne dose d'utopie mais où le réalisme ne perd pas ses droits ! Certes, l'auteur se rend compte des difficultés de l'opération, c'est pourquoi, il se déclare lui-même disposé, et ce n'est pas le moins surprenant de ce programme, à payer de sa propre personne !
    J'ai soixante ans, mais je ne serai pas le dernier pour partir, ni même pour me battre s'il le faut et l'on n'aura pas alors le triste spectacle de voir des Juifs égorger des Juifs pour le Roi de Prusse.
    Nous sommes en 1871, au lendemain de la guerre. La remarque souligne au passage, la situation tragique des soldats juifs français ou allemands que les hasards de leur naissance et de l'identité nationale, liées au "Golès", avaient mobilisé dans deux camps ennemis.

    Si la réalisation du programme est certes malaisée, Alexandre Weill n'en est pas pour autant prêt à négliger, ne serait-ce que provisoirement, le spirituel au profit du temporel. Ainsi, Israël ne peut légitimement revendiquer sa Terre que si les droits du Sanctuaire de Jérusalem sont préservés. En cas d'une reconstruction du troisième Temple, l'un des problèmes les plus urgents à résoudre serait celui du culte qui y serait restauré. On ne pourrait évidemment y rétablir les sacrifices, -- Weill n'aura pas été le seul à cette époque à s'exprimer en ce sens -- car "les principes philosophiques de la civilisation actuelle s'y opposent". Une nouvelle codification des cérémonies et du credo religieux, selon les canons du mosaïsme weillien, bien entendu, s'avèrent donc nécessaires et ce, de manière urgente :
    Nos réformateurs devraient songer à cela, car les temps sont proches, et cet événement est peut-être moins éloigné que nous ne pensons. Tout paraît impossible aux esprits ordinaires.
    Aspect quasi prophétique de cette observation. "Si vous le voulez, cela ne sera pas un rêve" dira Herzl, une vingtaine d'années plus tard. Réalisable, ce rêve l'est certainement, car s'il s'accompagne de la reconnaissance par les nations de l'existence "d'un seul Dieu, d'une seule foi, d'une seule loi", le retour d'Israël sur sa Terre inaugurera enfin cette ère de paix, d'ordre et de fraternité à laquelle le monde aspire depuis si longtemps.

    Un tel projet de colonisation ne pourrait d'ailleurs qu'être encouragé par les pays européens … trop heureux de se débarrasser de leurs Juifs !… des États poussés par le souci de régler les problèmes posés par les explosions de violence antisémite qui allaient se multipliant vers la fin du XIXe siècle. Il est à remarquer que Weill sera avec Bernard Lazare l'une des seules personnalités juives à s'élever contre les insinuations calomnieuses de Drumont et de La France Juive. A ce dernier qui prétendait notamment que "le sémite est négociant d'instinct", notre auteur réplique en 1886 par l'argument sioniste de la colonisation agricole juive en Terre Sainte (16).

    Deux ans plus tard, exaspéré par les attaques antisémites qui proliféraient dans la presse, Weill aura ce mot de la fin :
    Je veux vous faire un aveu. S'il y avait en Palestine une République juive ayant proclamé, non la religion stupide des rabbins (…) mais la religion universelle épurée de Moïse (…) je vous quitterais avec délice pour aller mourir à Jérusalem (17).


    Ce thème du retour sera repris une dernière fois dans Le Centenaire de l'Emancipation des Juifs, paru en 1888, onze ans avant la disparition de l'écrivain. Et de manière aussi originale que surprenante :
    "Ils n'ont point complètement perdu l'espoir de retourner à Jérusalem. Ils appellent cela leur Messie. Mais dans l'état actuel du Judaïsme, qu'y feraient-ils ? Rétablir le Temple et les sacrifices d'animaux ? (…) Y établir le Christianisme ? (…) Point n'est besoin d'aller en Palestine. Proclamer le Darwinisme et l'athéisme ? Berlin et Paris y suffiraient.
    Et pourtant, il faut que les Juifs retournent à Jérusalem y rétablir le modèle de la religion universelle dont parlent les prophètes et pour que toutes les nations disent selon la parole de Moïse : "Quelles belles lois de raison et de justice que les lois de ce peuple et que cette petite nation est un grand peuple de Dieu".
    Et ces nations ne demanderont pas mieux que d'imiter ces lois. Oui, le temps viendra où tous les peuples, comme du temps de Cyrus, renverront le peuple d'Israël dans le pays de leurs ancêtres et s'attacheront aux pans de leurs habits pour les y accompagner. Tous les mouvements politiques y contribuent , même les mouvements antisémitiques (18)."

Ce n'est certes pas dans ses optiques sionistes que réside l'originalité d'Alexandre Weill. Des auteurs comme Hess, Pinsker (19), Laharanne (20) avaient une pensée plus structurée que la sienne en ce domaine. Combattant dans l'âme, Weill n'aurait pu professer et développer des vues nationales juives de manière plus précise, sans se sentir personnellement engagé.

Il reste que notre auteur fut l'un des rares intellectuels juifs français avec Joseph Salvador (21) à se montrer conscient du problème, à une époque où le Retour à Sion, envisagé encore le plus souvent comme une utopie, n'intéressait que bien peu les milieux de l'émancipation. D'influence ou de rayonnement, il ne peut naturellement être question ici. Mais aussi modeste que soit le témoignage, il existe et constitue un apport intéressant à l'histoire du judaïsme au XIXe siècle.


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